Plutôt que des tarifs progressifs dont la mise en place est coûteuse et bancale, une meilleure solution pour faciliter l’accès des ménages modestes à une énergie bon marché tout en incitant aux économies serait la distribution d’un “dividende énergie”.

Le prix de l’énergie est sur une pente croissante que l’on peut difficilement empêcher : les réserves fossiles se réduisent – et il faut d’ailleurs en consommer moins pour limiter le réchauffement climatique – ; le coût du nucléaire n’est plus aussi bon marché dès lors que l’on prend en compte les risques propres à cette énergie et le coût de démantèlement des centrales ; et les énergies renouvelables qu’il nous faut développer coûtent plus cher.

Or, selon l’INSEE, 3,8 millions de ménages français sont en situation de précarité énergétique, c’est-à-dire dépensent plus de 10% de leur budget en énergie, soit parce qu’ils ont des revenus trop faibles, soit parce que leur logement est une vraie passoire à chaleur. Et le problème n’est pas près de s’arranger.

La lutte contre la précarité énergétique passe avant tout par un important effort d’investissement dans l’isolation des logements existants, investissement qui ne pourra se faire sans l’aide de l’Etat.

La gestion de l’énergie passe aussi par sa tarification : il s’agit d’encourager les économies d’énergie (à la fois améliorer l’efficacité énergétique et réduire le mésusage et le gâchis) dans un contexte de hausse de son coût, tout en facilitant l’accès à tous les ménages à un minimum vital de ressource énergétique.

Pour cela, le gouvernement actuel propose la mise en place de tarifs progressifs pour les ménages. Le principe : le prix des premiers kilowatt/heure consommés par un ménage, ceux qui sont jugés nécessaires pour répondre aux besoins primaires, sont abaissés, mais au-delà d’un seuil de consommation, le tarif au kW/h augmente pour décourager le gâchis et le « mésusage » de cette ressource à économiser. Le même principe pourrait s’appliquer au gaz, au fuel, à l’eau, voire même pourquoi pas, à l’essence.

Mais quand bien même l’objectif d’une telle mesure est juste, les tarifs progressifs sont à la fois lourds administrativement, inefficaces économiquement et souvent inéquitables. Je présente ici une alternative, à savoir le dividende énergie, moins lourde, plus équitable et plus efficace pour réduire le gâchis énergétique.

Pourquoi les tarifs progressifs sont lourds, inéquitables et inefficaces

Aujourd’hui, la facture d’eau ou d’électricité se compose d’une partie abonnement – parfois très élevée – et d’une partie consommation au volume. Ils sont donc dégressifs : plus je consomme, plus le coût à l’unité est faible. Ceci n’encourage d’ailleurs pas à faire des économies d’énergie. Il est nécessaire de lutter contre cela en abaissant le plus possible l’abonnement (voire en l’éliminant) et en augmentant la part de la facture qui est proportionnelle à la consommation. Ceci, le gouvernement actuel le reconnaît et souhaite lutter contre, et je suis d’accord avec cet objectif.

Faut-il pour autant aller plus loin et proposer des tarifs progressifs en fonction du volume consommé ? Plusieurs raisons laissent à penser qu’une telle mesure serait lourde administrativement et juridiquement, pas toujours efficace pour inciter aux économies d’énergie et souvent injuste.

tarif energie
Usine à gaz…

Les difficultés à tenir compte de la taille du ménage.

Pour qu’une tarification progressive de l’énergie soit juste, il faudrait que la progressivité du prix dépende de la taille du ménage : le minimum vital pour un couple avec 3 enfants est bien supérieur à celui d’une personne seule. Cela demande donc de déclarer le nombre de personne vivant sous le même toit auprès de l’opérateur énergétique, ce qui peut déjà être lourd administrativement et entraîner des fraudes. Mais dans plusieurs situations courantes, ce système devient inefficace et inéquitable :

  1. Que faire lorsque la taille du ménage est variable ? Un étudiant peut vivre en semaine en studio ou en colocation et rentrer au domicile parental le week-end par exemple. Son quota d’énergie bon marché s’appliquera-t-il à sa facture dans son propre domicile ou dans celui de ses parents ? Dans les deux cas, il y aura un biais dans la progressivité du tarif.

  2. La progressivité de la consommation est aussi liée à une seule domiciliation. Or certains ménages – parmi les plus aisés – ont une résidence secondaire où ils passent leurs week-ends et leurs vacances. Ils pourraient rester sous le seuil où le tarif est bas dans chacune de leurs résidences. Non seulement cela ne les encourage pas à être précautionneux dans leur consommation, mais c’est en plus injuste socialement.

  3. Devoir contrôler cela impliquerait un coût administratif très élevé.

Les difficultés à légiférer dans un contexte de diversité des ressources énergétiques et des opérateurs.

De plus, il faudrait que les tarifs progressifs soient appliqués pour les différentes sources d’énergie domestique : l’électricité, le gaz, le fuel. Or cela pose des difficultés supplémentaires :

  1. Les difficultés règlementaires sont ainsi multipliées par trois.

  2. Comment proposer des tarifs progressifs dans chacun de ces secteurs sans biaiser la concurrence entre ces différentes sources d’énergie ?

  3. Si la mise en place de tarifs progressifs est possible lorsqu’il y a monopole, elle devient plus compliquée lorsqu’il y a plusieurs opérateurs qui se font concurrence.

  4. Enfin, de nombreux ménages ont le choix entre l’électricité et le gaz ou le fuel pour se chauffer, et on ne peut les empêcher de choisir la combinaison énergétique qui minimisera leur facture, ce qui n’encourage pas les économies d’énergie.

Ainsi donc, la mise en place des tarifs progressifs de l’énergie, en plus d’être dans de nombreux cas inefficace et inéquitable, demande une régulation lourde et anti-concurrentielle, en plus d’encourager les comportements opportunistes.

On peut lutter contre la précarité énergétique par une mesure qui aurait des avantages redistributifs comparables aux tarifs progressifs, tout en étant plus efficace économiquement et écologiquement et beaucoup moins lourde en coûts administratifs et législatifs : un dividende énergie.

La proposition d’un dividende énergie

Le coût de l’énergie est amené à augmenter et il faut accepter cette hausse comme signal de la rareté relative des ressources énergétiques et comme incitation aux économies d’énergie. Mais il faut aussi lutter contre la précarité énergétique en donnant accès à chacun à un minimum vital d’énergie.

Une proposition alternative au tarif progressif serait un tarif unique plus élevé que celui aujourd’hui, mais combiné avec le versement au ménage (ou à chaque individu adulte du ménage) d’un dividende par tête qui permettra de couvrir le minimum d’énergie pour les usages élémentaires. Si ce montant est financé par une redevance payée par les opérateurs dans le secteur de l’énergie, alors on ne change pas le résultat des entreprises du secteur. Ainsi on lutte contre la précarité énergétique tout en encourageant les économies d’énergie dès le premier kW/h.

Une redistributivité comparable

La redistributivité que l’on peut mettre en oeuvre avec un couple tarif unique – dividende énergie est assez comparable que celle d’une tarification progressive, suivant la façon dont on le calibre. Les très faibles consommateurs reçoivent même un dividende supérieur à leur consommation d’énergie.

dividende tarif énergie

Si l’on ne choisit pas comme tarif unique le tarif le plus élevé dans l’échelle des tarifs progressifs, alors les très gros consommateurs peuvent être gagnants dans la formule tarif unique – dividende énergie. Mais il faut bien voir que, par rapport à la formule actuelle de tarifs (plus ou moins) proportionnels, ces très gros consommateurs seraient particulièrement désavantagés par la hausse du coût marginal, ce qui constitue déjà une très forte incitation aux économies d’énergie et aux travaux permettant d’améliorer l’isolation.

Simplicité et clarté

Verser un dividende énergie attaché à la personne est très simple et l’on peut s’appuyer pour cela sur la CAF ou sur l’administration fiscale. Une telle mesure évite tous les comportements opportunistes des ménages. Elle supprime le biais en faveur du ménage qui a une maison secondaire. Comme c’est un montant individualisé, l’étudiant qui vit la semaine dans sa chambre d’étudiant et le week-end dans l’appartement familial n’en profite qu’une fois ; libre à lui de payer sa facture personnelle avec, ou d’aider ses parents.

Les ménages ne pourront plus jouer non plus sur le différentiel de tarif de l’électricité, du gaz et du fuel selon leur niveau de consommation pour minimiser leur consommation : ils reçoivent un dividende énergie unique et libre à eux de l’utiliser pour la ressource énergétique qui leur convient le mieux. Le système évite ainsi tous les comportements opportunistes et devient plus légitime dans l’esprit des citoyens.

Incitations aux économies d’énergie

Nous sommes aujourd’hui capables de produire ou de transformer des logements qui nécessitent très peu d’énergie pour être chauffés ou rafraichis, voire même pas du tout. Nous disposons ainsi de marges importantes pour réduire notre consommation.

Cependant, en mettant en place des tarifs progressifs, on détruit toute incitation à faire les travaux nécessaires pour atteindre cette haute qualité environementale. Au contraire, avec un tarif unique élevé couplé à un dividende énergie, on maintient les incitations sur toutes les économies d’énergie qui sont réalisables. De plus, le dividende énergie constitue un revenu continu qui pourrait être immobilisé comme garantie pour faciliter l’accès au crédit pour des travaux d’isolation, notamment pour les ménages modestes.

Si le gouvernement actuel veut mettre en place une mesure permettant de lutter contre la précarité énergétique tout en maintenant les incitations aux économies d’énergie, alors il doit se poser sérieusement la question du dividende énergie. La piste du tarif progressif sera inéquitable, inefficace en plus d’être une usine… à gaz.


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