L’organisation du travail tue le travail : telle est la conclusion qui s’impose lorsque l’on regarde de près les études de plus en plus nombreuses qui décrivent l’évolution dramatique du bien être au travail : fatigue, stress au travail, manque de sommeil, maladies professionnelles, dépression…

Une étude publiée le mois dernier montre que le stress au travail augmente le risque d’infarctus. Elle pose en réalité la question plus large des rapports entre santé et travail. En effet, c’est à tous les échelons de l’organisation de la production que la santé est mise à mal.

23% des salariés subissant un stress négatif au travail ont plus de risques de mourir d’un infarctus. Selon Marcel Goldberg qui a coordonné la partie française de cette grande étude internationale, les personnes concernées sont celles qui subissent des “contraintes fortes, par exemple des horaires, une hiérarchie stricte ou des gestes répétés” et qui ont une “faible amplitude décisionnelle face à ces contraintes”.

Si l’on en croit les résultats d’une étude récente du groupe Malakoff Médéric70% des salariés Français se disent “épuisés nerveusement par leur travail. Notamment en cause, le manque de sommeil, qui affecterait plus d’un Français sur deux. Et cela n’est pas neutre sur la productivité, puisque cette fatigue à non seulement des répercutions sur la vigilance des salariés, mais aussi sur le coût de la protection sociale. Ainsi, 21% des salariés avouent avoir envie de prendre un arrêt maladie même s’ils ne sont pas malades. De quoi relativiser les causes de la ‘fraude sociale’…

Mais au delà de cela, le stress au travail génère aussi de graves psychopathologies. Le “burnout” est une dépression provoquée par un épuisement généralisé du travailleur. Il y a aussi les états de stress post-traumatiques liés au harcèlement. Selon Marie Pezé, spécialiste de la psychologie au travail, ces souffrances peuvent être plus intenses dans les entreprises françaises qui privilégient un management s’appuyant sur “l’instabilité du travailleur”. Souvent en effet pour se débarrasser d’un travailleur protégé par son contrat de travail, certains dirigeants d’entreprises n’hésitent pas à exercer une pression insoutenable sur les épaules du salarié visé.

Mais le stress dans l’entreprise n’est qu’un des aspects du problème. Une publication plus ancienne de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) explique que la mutation et la dégradation économique dans son ensemble risque d’accroître les troubles mentaux des salariés. La crise, le chômage, la précarisation, les restructurations favorisent les dépressions graves, les toxicomanies sévères (alcool, drogue) et les troubles maniaco-dépressifs.

Les conditions de travail provoquent aussi d’autres dégâts que le stress sur la santé comme le cancer ou les troubles musculo-squelettiques. Beaucoup de travailleurs surtout dans les secteurs de la grande distribution, de la propreté et de l’agriculture souffrent de troubles musculo-squelettiques (TMS) qui sont des lésions articulaires dû au travail répétitif. Les TMS représentent 80% des maladies professionnelles.

D’un autre côté, l’exposition à tous un tas d’agents comme l’amiante, l’arsenic, le benzène, le nickel, les poussières de bois ou de cuir, les rayonnements ionisants provoquent des cancers pulmonaires, naso-sinusiens, de la plèvre.… Et beaucoup de ces cas de cancers et de TMS ne sont aujourd’hui pas reconnus comme maladie professionnelle.

La conclusion de Anne-Sophie Godon, du groupe Malakoff Médéric est sans appel : « Cette année encore le travail apparaît comme le premier facteur de risque pour la santé ».

N’oublions pas les chômeurs

En effet, ne pas avoir un emploi est bien évidemment une autre source d’angoisse et de maladie. Des trajectoires personnelles comme celle de Jean-Louis Cuscusa mort après s’être s’est immolé par le feu dans une CAF des Yvelines ou bien encore comme celles de Vincent et Chantal interviewés sur le site actuchomage.info témoignent des situations de détresse que vivent les chômeurs :

Tout comme le chômage, la dépression est un tabou : ceux qui ne les ont pas vécus ne peuvent pas comprendre. Aux yeux de beaucoup de nos concitoyens, l’enlisement dans le chômage est l’apanage des incapables et la dépression réservée aux “faibles”. Bien qu’on en parle de plus en plus, la dépression est un mal invisible dont on ne mesure ni l’importance, ni les conséquences. La personne dépressive est enfermée dans une pièce dont elle ne voit pas d’issue. Quand, d’un point de vue professionnel, économique et social, on se trouve dans une impasse et que, d’un point de vue psychologique, on perd totalement confiance en soi, en l’avenir — bref, qu’on perd le goût de la vie —, l’issue peut être fatale.

Faut-il d’ailleurs s’étonner que le chômage soit l’un des principaux facteurs de suicide ?

Des maladies économiques

À ce stade, une conclusion s’impose : c’est le système de production et de répartition des richesses dans son ensemble qui un a un impact négatif sur la santé des personnes.

Le problème est tel qu’en Grande-Bretagne un grand nombre d’entreprises sous-traitent la question du stress de leurs salariés. Au Danemark les entreprises peuvent faire appel à un fonds spécial pour développer des projets qui réduisent le stress de leurs employés. Mais en réalité c’est à la collectivité et non pas aux entreprises d’apporter les solutions.

Vivement le revenu de base !

Dans ce cadre, un revenu de base inconditionnel pour tous pourrait nettement corriger les effets négatifs de l’organisation du travail sur la santé.

Il rendrait en effet plus difficile le chantage sur la rareté de l’emploi ce qui rééquilibrerait le rapport de force en faveur des salariés. Ceux-ci pourraient alors faire valoir leur droit à des conditions de travail qui ne nuisent pas à leur santé. Les chômeurs en touchant chaque mois un revenu sans conditions se sentiraient mieux considérés. Ils vivraient dans un état d’esprit plus apaisé et seraient probablement d’avantage incités à retrouver une activité gratifiante.

Enfin, un revenu de base suffisant rassurerait les parents sur l’avenir de leurs enfants. La pression scolaire baisserait en intensité et les élèves pourraient suivre leurs études avec plus de sérénité. Les nouvelles générations seraient moins angoissées puisqu’elles disposeraient de moyens financiers garantissant leur autonomie. Elles pourraient aussi choisir leur formation et ne pas se sentir exclues de la société.

En définitif, c’est le rapport au travail dans son ensemble qui serait transformé. Et il serait temps.


Crédit photo : PaternitéPartage selon les Conditions Initiales sun dazed