Avez-vous déjà entendu parler de la légende de John Henry ? Ce héros du folklore de l’ouest américain du XIXème siècle qui serait mort au cours d’un défi contre un marteau à vapeur, incarne le mythe du combat perdu d’avance entre l’homme et la machine dans la réalisation de tâches laborieuses. 150 ans plus tard, nous n’avons toujours pas tiré les enseignements de ce défi perdu.

Article initialement publié sur le blog Plugin’ Generation

John Henry serait né esclave en Alabama dans les années 1840 où il serait devenu en grandissant l’un des plus grands “pousseurs d’acier” dans l’effort entrepris au milieu du siècle pour prolonger le chemin de fer vers l’Ouest à travers les montagnes. Un jour, le propriétaire du chemin de fer achète un marteau à vapeur pour remplacer le travail de ses ouvriers. Dans un pari destiné à prouver l’utilité de son emploi et de celui de ses équipiers, John Henry défie l’inventeur et réussit à montrer que sa force de travail est plus productive que le marteau à vapeur mais à l’issue du pari, il décède d’une crise cardiaque. Tandis qu’il s’est tué à la tâche pour augmenter sa productivité, la machine, elle, continue inlassablement son labeur.

Le propriétaire du chemin de fer, comme la plupart des décideurs en économie, est plus intéressé par l’efficacité de la production que par la santé et le bien-être de ses ouvriers. Une preuve de plus que le travail n’est pas une valeur mais un simple facteur de production.

Née durant la révolution industrielle du XIXème siècle, quand beaucoup d’ouvriers étaient mis au chômage, la légende de John Henry garde un sens profond. En témoignent les récentes avancées technologiques dans la production : la conception du robot humanoïde Ucroa HRP-4C, la décision par Foxconn de remplacer par des robots 500 000 ouvriers chinois souvent décrits comme une main d’œuvre à bas coût, la production par Panasonic de 40% des dalles d’écrans plats fabriquées dans le monde pour 2 milliards de dollars de chiffre d’affaires mensuel en employant…40 salariés dans une seule usine, ou encore l’automatisation progressive des lignes de métro dans le monde.

Des emplois menacés par la mécanisation

Comme le souligne le professeur d’économie Charles Sannat : 

Il s’agit de la même situation que celle que nous avons vécue dans l’agriculture qui occupait 60% de la population active, et qui a réussi grâce à la mécanisation non seulement à décupler les rendements et la production mais en n’employant plus que 2% de la population. Nous rentrons dans une phase ou nous pouvons et savons produire quasiment sans intervention humaine.

Et même s’il reste encore des tâches de réflexion que les machines ne sont pas en mesure d’effectuer (du moins pour l’instant),elles ne permettront pas d’enrayer le chômage massif que les travailleurs de l’industrie vont connaître. Avec Internet, le phénomène risque de s’accentuer en s’étendant aux emplois de service. Vous êtes-vous déjà demandé par exemple ce qu’il adviendrait des 500.000 salariés des banques de détail dont le travail d’intermédiaire est progressivement remplacé par les sites de banque en ligne ?

La fin de l’ère du travail est une bonne nouvelle !

Sommes-nous tous condamnés à nous sacrifier à l’autel du labeur comme John Henry ? Devons-nous nous surpasser physiquement pour prouver que notre vie animale vaut mieux que le monde de la machine ? Si vous pensez que oui, je vous conseille, pour commencer, de défier un tracteur dernier cri dans un exercice de labourage. Pour ma part, je préfère imaginer un monde sans travail salarié plutôt que de crever à essayer de reproduire les performances d’une machine. Je ne lutterai pas, cela n’aurait strictement aucun sens. Nous inventons des outils pour nous assister, et quand ceux-ci deviennent trop performants, nous n’en voulons plus !

Le travail ne doit donc plus être la pierre angulaire de la société. Certains y ont déjà réfléchi, notamment à travers l’idée du revenu de vie. Il faut aussi déconstruire notre rapport à la valeur travail, une ineptie tant d’un point de vue social que philosophique.

L’ère du travail va cesser à cause de sa raréfaction et non de sa disparition. Comme le dit l’anthropologue Paul Jorion : « Le travail disparaît, et c’est ce qu’on voulait. »


Article initialement publié sur le blog Plugin’ Generation 

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