Pourquoi ne pas profiter des fêtes de fin d’année pour faire découvrir le revenu de base à vos proches ? Une version enrichie d’Un revenu pour tous ! de Baptiste Mylondo, vient d’être publiée aux éditions Utopia. Dans Un revenu sans condition, l’auteur réaffirme l’ancrage à gauche du revenu de base qu’il défend, il en précise la philosophie et revient sur les questions de montant et de financement. Un cadeau à la fois utile et abordable par les temps qui courent 😉

Ce dernier livre est en fait une nouvelle édition, plus complète d’un livre que vous avez déjà publié sur le sujet. Qu’apporte en plus cette “version enrichie” ?

Seule une petite partie de l’édition initiale est reprise dans cette nouvelle édition. Depuis la publication de la première édition j’ai eu l’occasion de faire plusieurs conférences et de participer à de nombreux débats. Ces échanges ont enrichi ma réflexion et parfois fait évoluer ma position, sur la question du montant et du financement par exemple. C’est de cette évolution que je voulais rendre compte dans cette nouvelle édition. Sans renier pour autant mes précédents écrits, il ne m’aurait pas semblé cohérent de rééditer Un revenu pour tous ! en l’état.

Plusieurs points me semblaient mériter des approfondissements ou des développements. D’abord, je souhaitais insister sur l’ancrage à gauche du revenu inconditionnel que je défends. L’existence d’une version de droite empêche souvent des militants de gauche de réfléchir sereinement à cette idée et offre des arguments trop faciles aux opposants de gauche du revenu inconditionnel. C’est pour cela qu’il convient de rappeler qu’une version de gauche existe et que c’est de celle-là que nous devons débattre à gauche.

Je voulais également souligner l’objectif de sortie du capitalisme qui accompagne cette approche, en développant (encore trop sommairement sans doute) la question de la monnaie, de la marchandisation et de la gratuité, mais aussi en questionnant les propositions alternatives comme le “salaire à vie” défendu par le Réseau salariat par exemple, en plus du retour au plein emploi déjà abordé dans la première édition.

Enfin, dans cette réédition, je mets également en débat deux réponses à des questions ou objections qui reviennent fréquemment dans les discussions autour du revenu inconditionnel : la question des profiteurs, et celle de l’immigration. Il s’agit d’objections pénibles, mais auxquelles les partisans de l’inconditionnalité se doivent de répondre, inlassablement…

Comment la situation a‑t-elle évolué depuis la parution de la première version ? L’idée du revenu universel progresse-t-elle ?

revenu pour tousDepuis la publication de la première édition, en 2010, une élection présidentielle est passée. Cela aurait pu être un moment crucial pour le revenu inconditionnel en France, notamment après l’étonnante (et opportuniste) adhésion de Dominique de Villepin à cette idée. Avec Christine Boutin et surtout Éva Joly, le revenu inconditionnel aurait pu faire l’objet d’un véritable débat opposant versions de droite et de gauche et obligeant chaque parti à se positionner.

Malheureusement, pour des rasions diverses, aucun candidat n’a finalement défendu cette idée. Malgré tout, un débat sur cette question semble inévitable dans la plupart des partis de gauche (EELV, Parti de Gauche et Front de Gauche dans son ensemble, voire au sein du Parti socialiste…).

Au-delà, la perspective d’initiative citoyenne au niveau européen pourrait permettre de médiatiser davantage le revenu inconditionnel et la formalisation d’un réseau national qui manque encore cruellement en France pourrait également y contribuer.

Où en est la gauche sur le revenu universel ?

Elle avance, timidement. EELV, parti qui défend depuis longtemps le revenu inconditionnel, n’a pas osé l’inscrire dans son programme pour les présidentielles, dans un souci de « réalisme ». Comme si le revenu inconditionnel n’était pas une proposition réaliste !

Ensuite, les verts n’ont pas jugé utile d’inscrire cette mesure dans leur programme pour les législatives… Le mouvement transparti Utopia (dont la maison d’édition publie mon livre) continue à militer, y compris au sein du PS, pour l’instauration d’un revenu inconditionnel.

Malheureusement, cette mesure, jugée secondaire ou trop lointaine, disparaît systématiquement des revendications lors des accords politiques et des motions communes. Enfin, en ce qui concerne le Front de gauche, le revenu inconditionnel y est en débat, mais aucune position n’a encore été arrêtée.

La marge de progression est donc considérable à gauche, pour que les partis acceptent l’idée même d’un revenu inconditionnel et assument leur engagement lors des campagnes électorales.

Mais finalement, si l’idée de revenu inconditionnel doit avancer à gauche, c’est surtout du côté des syndicats, qui restent au mieux indifférents à cette idée et qui lui sont plus souvent ouvertement hostiles.

Que manque-t-il pour que le débat sur le revenu de base éclose en France ?

Quelques relais influents dans les milieux politiques et intellectuels. Si nous disposions de tels soutiens, nos opposants ne pourraient plus balayer le revenu inconditionnel d’un revers de main en le jugeant utopique, et les nombreux citoyens séduits par cette idée pourraient s’autoriser à y croire.

Baptiste Mylondo (Ottobrunn, 2012)

Le collectif a été créé suite à la médiatisation du « revenu citoyen » proposé par Dominique de Villepin, début 2011. Il est né de l’initiative de militants de gauche, d’horizons divers (PG, EELV, objecteurs de croissance, Utopia, etc.), souhaitant défendre une version de gauche du revenu inconditionnel. Pour l’heure, notre action est surtout intellectuelle et éditoriale. Nous avons organisé un colloque en mars 2012 à Montreuil, participé à plusieurs universités d’été, et nous coordonnons un dossier sur le revenu inconditionnel pour la revue Mouvements.

Nous sommes également porteurs d’un projet ambitieux d’expérimentation du revenu inconditionnel mais nous manquons encore de soutiens politiques fermes.

Comment analysez-vous, d’un point de vue éthique, la redistribution des richesses par la contrainte ?

La question est étrange. Pour y répondre, il faut revenir sur la notion de contrainte, puis s’attarder sur celle de « redistribution ». D’abord, où commence la contrainte ? La répartition des richesses est le fruit d’un rapport de force, de la confrontation de volontés aux visées souvent antagonistes. La contrainte est donc toujours présente, et tout l’enjeu politique est de définir les règles qui l’encadrent et d’appréhender cette question avec un souci de justice sociale. Il convient alors de se poser au moins deux questions : Dans une société démocratique, peut-on supporter l’existence d’îlots de pauvreté ? Dans une société démocratique, quelle est l’ampleur des inégalités de revenu que l’on peut accepter.

Je crois qu’une société démocratique et qui entend le rester doit s’efforcer d’éradiquer la pauvreté et de limiter strictement les inégalités économiques en adoptant, s’il le faut, des mesures d’encadrement des rémunérations et de redistribution des richesses. Ceci dit, le revenu inconditionnel que je défends n’entre pas dans une logique de « redistribution » des richesses, mais bien de « répartition » des richesses. Il ne s’agit pas de redistribuer une part des revenus perçus, dans une logique de solidarité voire de charité, mais de répartir équitablement l’ensemble des richesses produites au nom de la contribution de tous à leur production.

Il n’est donc pas question de spolier les producteurs d’une part de leur revenu en usant de la contrainte, mais d’user de la contrainte pour verser à chaque membre de la communauté politique la part des richesses qui lui revient.

Un revenu de base élevé ne va-t-il pas créer de l’inflation, et le revenu minimum correspondra-t-il toujours à quelque chose dans ce cas ?

Il est difficile d’anticiper l’impact économique d’un revenu inconditionnel et ce qui suit n’est qu’une projection hasardeuse. Suite à l’instauration d’un revenu inconditionnel, on peut en effet imaginer une augmentation des prix qui résulterait d’une hausse des rémunérations des emplois les plus pénibles. Puisqu’on observe une rigidité à la baisse des salaires, il est peut probable que cette hausse du niveau de rémunération des emplois pénibles soit contrebalancée par une baisse du niveau de rémunération des emplois les plus plaisants et gratifiants.

Mais finalement, l’augmentation des prix qui en résulterait serait-elle injuste ? Elle traduirait la juste rémunération versée à chaque salarié, revenant donc à appliquer à l’ensemble de l’économie les règles du commerce équitable. Pour que le revenu inconditionnel conserve toute sa pertinence, on pourrait alors en augmenter le montant pour tenir compte de l’inflation. Mais on pourrait aussi accepter une baisse quantitative de la consommation du fait de sa hausse qualitative (consommer moins mais mieux).

Vous dites dans la première édition de “Un revenu pour tous” que le versement d’un revenu de base rendrait l’impôt plus progressif. Pensez que l’effort ainsi demandé aux plus hauts revenus sera supportable ?

Concernant les plus hauts revenus, je ne milite pas pour une forte progressivité de l’impôt, mais pour un plafonnement pur et simple. Est-ce supportable ? N’ayant jamais été dans cette situation, j’ai évidemment du mal à imaginer le déchirement que cela peut représenter pour les malheureux contribuables qui se verraient ainsi confisquer une part de leur butin. Je parle bien de « butin » ici, car, à mes yeux, aucun des hauts revenus n’est mérité ni même justifiable, et en tout cas pas dans les proportions actuelles. Il s’agit donc d’une appropriation indue de richesses collectives, et ce n’est pas parce que la société de marché permet une telle appropriation que son résultat est juste. Par ailleurs, j’ai également du mal imaginer que le revenu inconditionnel plonge certains individus dans des difficultés financières particulières. C’est notamment pour éviter ce type de situation que le revenu inconditionnel pourrait être utile !

L’autre question est de savoir si l’activité économique et la société pourraient supporter une telle progressivité de l’impôt et la baisse de l’activité des plus riches qu’elle pourrait entraîner. Sur ce point, il faut rester sérieux. D’une part, la progressivité de l’impôt sur le revenu, même amplifiée, ne s’appliquerait de manière significative qu’à une faible part des contribuables. Même chose pour le revenu maximum dont je me fais l’avocat ici. Si ces contribuables sont moins motivés du fait de la baisse de leurs perspectives de profit et préfèrent réduire leurs activités lucratives en conséquence, tant mieux pour eux, il pourront profiter de leur temps libre ! D’autre part, étant objecteur de croissance, je suis convaincu que notre société de surconsommation et de surproduction supportera sans encombre la baisse de l’activité économique qui pourrait en résulter.

Le revenu suffisant que vous proposez combiné à une forte CSG est redistributif de richesses. En tant qu’objecteur de croissance, ne pensez-vous pas que cela favorisera la croissance plutôt que de la réduire ?

C’est une possibilité en effet. Une autre possibilité serait que le versement à tous d’un revenu inconditionnel permette aux salariés de réduire le temps qu’ils consacrent à leur emploi, à la production d’inutilité lucrative et à la consommation de biens et services futiles. Pour les objecteurs de croissance, l’enjeu du revenu inconditionnel est triple.

Premièrement, il s’agit de s’assurer que, même si l’activité économique décroît, chaque individu disposera de ressources suffisantes pour accéder aux biens et services essentiels. Deuxièmement, on peut imaginer verser le revenu inconditionnel en monnaie alternative, affectée, pour orienter la consommation suivant des critères éthiques et écologiques. Troisièmement, le revenu inconditionnel concrétise une revalorisation du temps libre, temps riche et non plus temps perdu, dont la valeur inestimable viendrait concurrencer celle surcotée de l’emploi et de la consommation.

Un des titre de chapitre de votre livre est “un revenu pour sortir du capitalisme”. Pour vous, ce revenu est-il une fin en soi ou est-ce une étape intermédiaire vers un système plus équilibré par nature ?

Le revenu inconditionnel n’est évidemment pas une fin en soi, et il ne s’agit pas non plus d’une mesure suffisante pour engendrer la profonde transformation sociale pour laquelle je milite.


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