De 1974 à 1979, une expérimentation sociale connue sour le nom de “Programme MINCOME” visait à mettre en place un système de revenu de base garanti dans le petite ville de Dauphin, au Canada. Evelyn Forget fait partie des rares chercheuses ayant investigué sur ce sujet. Nous l’avons interrogé pour en savoir plus sur le contexte et les résultats de ses travaux de recherche.
Bonjour Evelyn, pouvez-vous nous dire pourquoi vous vous intéressez au revenu de base ?
Je suis professeur d’économie à la faculté de médecine de l’Université du Manitoba et mon intérêt de base concerne les coûts des soins de santé. Il n’y a pas besoin de travailler très longtemps dans la Santé pour réaliser que la plupart des cas que vous traitez sont les séquelles de la pauvreté. Les gens sont malades parce qu’ils sont pauvres.
Je connaissais l’expérience Mincome qui avait eu lieu dans les années 1970, mais je ne savais pas ce qui avait émergé des résultats. Je me demandais s’il y avait moyen de « revenir en arrière » et de trouver des participants afin de voir quel effet avait eu le revenu garanti sur leur vie et celle de leurs enfants.
Pouvez-vous nous rappeler le contexte de cette expérimentation ? Ainsi que ses principales caractéristiques ?
L’expérience a été introduite en 1974 et a pris fin en 1979. Elle a été réalisée dans deux sites au Manitoba : la ville de Winnipeg (450.000 habitants à l’époque), et la petite ville de Dauphin (environ 10.000 personnes).
La particularité à Dauphin était que toutes les familles qui vivaient dans la ville (pas seulement un échantillon) ont participé à l’expérience et ont reçu le revenu garanti si leur revenu était trop bas. Tout le monde n’a pas reçu de l’argent, mais on avait promis à tous que si leurs revenus étaient assez bas, ils obtiendraient ce soutien financier. Le gens devaient simplement se présenter au bureau, remplir les formulaires et fournir leurs fiches de paie. Et bien sûr, on vérifiait leur identité.
Le but de l’expérimentation sociale était de savoir si les gens cesseraient de travailler ou travailleraient moins d’heures si on leur garantissait un revenu. Beaucoup de gens pensaient que les heures travaillées diminueraient de manière significative.
Pour ma part, j’étais curieuse de savoir s’il y avait d’autres effets – et notamment si les gens étaient en meilleure santé et s’ils restaient plus longtemps à l’école.
Justement, vous avez produit la recherche sociologique la plus importante sur cette expérimentation. Quels en furent les résultats les plus frappants ?
Mes propres recherches ne concernaient pas l’étude de l’évolution de l’effort de travail. D’autres économistes ont investigué ça dans les années 1980 et ils ont découvert que seulement deux groupes d’individus ont travaillé moins d’heures : les femmes mariées et les adolescents.
Les premières utilisaient effectivement le revenu garanti pour « acheter » elles-mêmes des congés de maternité plus longs. Quand elles quittaient le marché du travail pour donner naissance, elles restaient plus longtemps à la maison. Deuxièmement, les adolescents, et les garçons en particulier, ont réduit leurs heures de travail, car ils ont pris leur premier emploi à temps plein à un âge plus avancé.
C’était le point de départ de ma propre recherche. Je me suis demandé : s’ils ne travaillaient pas, cela signifiait probablement qu’ils restaient plus longtemps à l’école. Et c’est ensuite ce que j’ai démontré : le taux de réussite à l’école secondaire (Grade 12 = Terminale) a augmenté au cours de l’expérience.
Mes résultats les plus significatifs portent sur les coûts des soins de santé. J’ai utilisé les données des assurances-maladie pour démontrer que les taux d’hospitalisation ont diminué de 8,5% chez les sujets de l’expérience par rapport aux sujets dits « témoins ». J’ai expliqué cela par la réduction des « accidents et blessures » et la réduction des hospitalisations pour problèmes de santé mentale.
Pour consulter les détails de l’étude, cliquer ici (pdf).
Avez-vous remarqué un effet négatif sur les prix, notamment de l’immobilier ?
Non, car ces statistiques n’étaient pas spécifiquement suivies. Et puis, il faut se souvenir que nous étions dans une période d’inflation massive à travers le pays, du coup il serait difficile d’attribuer les augmentations de prix au programme MINCOME.
Concernant la faible baisse du nombre d’heures travaillées, comment analysez-vous ces résultats ? Et sont-ils similaires aux autres expérimentations nord-américaines ?
En effet, peu de gens à Dauphin ont cessé de travailler, et même parmi ceux qui avaient un emploi à temps plein, très peu ont réduit leur temps de travail. En fait, un revenu garanti bien conçu (et celui-ci a été conçu comme un crédit d’impôt remboursable) incite les gens à travailler car il complète les revenus des travailleurs pauvres et est beaucoup plus efficace que tous autres types d’aide sociale.
Les expériences américaines ont révélé les mêmes résultats.
Certains nuancent ces résultats en expliquant que les gens anticipaient le fait que cette expérience aurait une fin ? Qu’en pensez-vous ?
Le régime de prévoyance qui existait à l’époque créait de fortes désincitations au travail. À l’époque, tout dollar gagné se traduisait par une baisse égale de leurs prestations. À l’inverse, le programme MINCOME créait une incitation à travailler, car seulement 50 cents pouvaient être pris. Sans avoir la certitude que le programme se poursuivrait, la plupart des gens croyait à l’époque que ce projet pilote serait généralisé à la fin de la décennie.
Mais plus généralement je ne trouve pas que les arguments du « programme temporaire » soient très convaincants. Ils sont même parfois contradictoire : si les gens étaient vraiment irresponsables, se projetteraient-ils quatre ans dans l’avenir pour décider comment se comporter aujourd’hui ?
Comment cela se peut-il que les effets de cette expérience n’aient pas été étudiés pendant si longtemps ?
L’expérience avait été initiée par les gouvernements de centre gauche au début des années 1970. Puis ces gouvernements ont été remplacés tant au niveau provincial que fédéral, par le centre droit, notamment en raison des événements économiques des années 1970 – l’inflation, le chômage, l’augmentation du prix du pétrole, les taux d’intérêt élevés. Du coup, les gouvernements se sont désintéressés de la lutte contre la pauvreté et se sont préoccupés davantage d’autres enjeux comme la stabilisation du niveau des prix.
Quant à moi, j’ai eu connaissance de MINCOME car j’étais étudiante de premier cycle dans les années 1970, et mes profs d’économie nous disaient que cette expérience allait révolutionner la façon dont le Canada appréhendait les programmes sociaux. Selon eux, cela deviendrait le fondement de la justice sociale…
Est-ce que les habitants de Dauphin se souviennent de cette expérimentation ? Et qu’en pensent-ils ? Quid des chercheurs qui avaient travaillé sur le projet à l’époque ?
Oui, nous avons discuté avec ces deux groupes. De nombreux participants se souviennent et sont reconnaissants pour les opportunités que le MINCOME leur a offertes à eux et à leurs enfants. Tous nous ont mentionné le bienfait du programme pour l’Éducation, soit parce qu’ils avaient réussi à obtenir une formation professionnelle, soit parce que leurs enfants avaient pu étudier plus longtemps à l’école. La plupart pensent que cela aurait dû perdurer.
Les chercheurs – en particulier les enquêteurs qui étaient tous des jeunes diplômés – ont été touchés par leur expérience. Peu avaient la moindre idée de la profondeur de la pauvreté qui existait, ou même, de ce qu’était la vie rurale au Manitoba à l’époque. Aujourd’hui, beaucoup sont devenus universitaires ou sont des réformistes du système social.
Y‑a-t-il d’autres expérimentations actuellement en cours de préparation au Canada ? Et s’il fallait en faire une autre, comment vous y prendriez-vous ?
Il n’y a aucune expérience à ma connaissance. Certains voudraient faire certaines choses différemment, mais je pense que cette expérience était vraiment très bonne. Après, obtenir les statistiques de santé fut beaucoup plus facile pour moi que les chercheurs de l’époque, parce que différentes sources de données sont devenues disponibles.
Est-ce que l’expérience a contribué à la diffusion du revenu de base au Canada ?
Question intéressante… Mais hélas non, beaucoup de gens ne sont pas encore à l’aise avec le concept de revenu de base, malgré l’évidence des résultats. Je parle à beaucoup de gens qui soutiennent le concept, mais beaucoup pensent que c’est trop cher et que les gens devraient simplement travailler pour vivre. Comme dans les années 1970, beaucoup de gens pensent que nous ne pouvons pas offrir une justice sociale.
Mais on reparle quand même du revenu garanti. La presse aussi en fait régulièrement mention. Au Canada, l’un des plus importants partisans est le sénateur conservateur Hugh Segal. Je ne suis pas sûr qu’il ait l’oreille de son groupe parlementaire, mais il tire la régulièrement la sonnette d’alarme parmi les hommes d’affaires et les politiciens.
Au Canada, les personnes âgées à faible revenu reçoivent un supplément, qui est une sorte de revenu garanti pour les personnes âgées. De même, les personnes ayant des enfants à charge reçoivent une prestation sociale à ce titre. Aucune de ces aides n’est aussi importantes que ce qu’elle devrait être, mais elles existent. En fait, un bon nombre des meilleures réformes de la protection sociale ressemble beaucoup à un revenu de base, bien qu’elles ne concernent qu’une partie de la population.
Je pense que la prochaine étape est bien évidemment d’envisager un revenu garanti pour le reste de la population.
Cette perspective est-elle d’actualité au Canada ?
Cette question n’est malheureusement pas à l’ordre du jour, du moins pas sous le nom de « revenu annuel garanti ». Je pense que les gens sont plus à l’aise avec des dispositifs comme le « crédit d’impôt familial remboursable », ce qui revient à la même chose. Nous évoluons progressivement vers le RAG (Revenu Annuel Garanti) au fil du temps, mais les événements économiques actuels interviennent de toute façon.
L’une des difficultés auxquelles nous sommes confrontés au Canada est notre système fédéral : seul celui-ci pourrait soutenir un tel système, mais les politiques sociales relèvent de la responsabilité des provinces. Il sera difficile de convaincre toutes les provinces d’accepter un tel régime social, ou alors il faudrait un leadership fort au niveau national. Or, je ne vois pas le gouvernement actuel faire une telle chose…
Le chemin est encore long, mais nous avons d’ardents défenseurs de cette idée dans l’échiquier politique. Tant que nous continueront de faire vivre cette idée, elle sera prise en compte !
Photo de couverture : La Gare de Dauphin, Manitoba railsr4me – Traduit et adapté de l’anglais par Raphael Willems & Stanislas Jourdan
Alors que rejoindre et participer activement au développement d’une monnaie à Dividende Universel ne requiert pas un préalable insurmontable qui est d’avoir un accord politique général.
C’est pourquoi sans aucun préalable ceux qui veulent véritablement voir émerger une monnaie à Dividende Universel rejoignent des projets qui en réalise la forme comme OpenUDC
Un pays qui ne conrole pas sa monnaie, ne peut en aucune façon penser à un revenue de base. C’est rédicule de penser qu’un pays emprunte son argent avec intérèt à une banque privé (Banque du Canada) pour aider ses concitoyents à avoir un système de santé, un système d’éducation, de bonnes routes et ponts, et pour les services sociaux nécessaires à un pays industrialisé comme le Canada ou autre.
le revenu de base à 1200 €/mois : possible. La valeur qui se profile à notre horizon c’est la qualité du travail et ce , grâce à l’état d’esprit des travailleurs ayant une conscience, aimant le travail et la créativité. La consommation de tous y compris les retraités, les sans travail, la jeunesse etc. assurera la prospérité du pays d’autant que la santé sera meilleure et que tout un chacun pourra faire de sa vie ce qu’il veut : se former, voyager, créer ou inventer de nouvelles activités, etc.La terre est de + en + peuplée et il y a de – en – de travail pour tous, donc c’est la solution. Les conditions suivantes sont à respecter sinon on retrouverait la pauvreté et l’injustice actuelle : ne pas augmenter les coûts des loyers et de la consommation : rien ne le justifie : les propriétaires ne rénovent pas annuellement les appartements qu’ils louent, les produits sont toujours les mêmes et de – en – consommables vu la pollution ! les taux des crédits bancaires doivent être fixes et non variables. Le salaire de base doit bénéficier à partir de 16 ou 18 ans. En effet s’il était donné à partir de la naissance il y aurait une explosion démographique et il y a déjà trop de monde sur terre. Le calcul de l’impôt ne devra se faire qu’au dessus de ce seuil.
Je partage intégralement votre point de vue sauf votre conviction que l’attribuer à partir de la naissance provoquerait une explosion démographique.En effet il suffit de fixer le nombre d’enfants bénéficiaires par famille.Ceci devrait suffire à dissuader celles et ceux qui selon vous sont prêts à “faire ” autant d’enfants que possible pour vivre sans soucis.
Elections générales d’avril 2015 se déclarent favorables à l’instauration d’une telle allocation. Acet égard, l’expérience conduite dans la petite ville de Dauphin (Canada) de 1974 1979 est particulièrement encourageante si l’on considre que seule la volonté
[…] le monde, certains pays ont déjà expérimenté plusieurs types de revenus de base : la Namibie,l’Alaska, et plus récemment l’Inde et le […]
Le sujet est très intéressant, quoique je le découvre pour la première fois. Mais, j’ai plutôt eu l’impression (ce n’est qu’une impression), que le RDI est une affaire des Grandes économies ou des pays développés. Je profite donc pour m’interroger si cela est réalisable dans mon “petit coin d’Afrique” où je vie, ou également la pauvreté est quasi endémique.