En Allemagne, les mesures visant à accroitre les « pressions à travailler » introduites il y a 10 ans sont en conflit avec l’engagement de l’État de garantir la dignité humaine… Et ont contribué à faire émerger une contre-proposition radicale : le revenu de base inconditionnel.

Un article du Guardian traduit de l’anglais par Aurélien Cabanillas.

Il y a exactement dix ans, le marché du travail allemand était soumis à la première des réformes Hartz IV, comme on les appelait. Leur mise en place, par l’habile chancelier de centre-gauche Gerhard Schröder, fut un moment critique qui changea la manière dont le gouvernement allemand gère la pauvreté.

Les changements étaient criblés de ces anglicismes que les bureaucrates aiment saupoudrer à chaque modernisation. Durant la dernière décennie, les sans-emplois allemands ont été médusés par un kaléidoscope de nouveaux termes Denglisch, de Jobcenter (Pôle Emploi) à Personal Service Agentur (Agence de Service personnalisé) en passant par Mini-Job et BridgeSystem (système permettant aux chômeurs âgés de prendre leur retraite anticipée à partir de 55 ans, NdT). Mais les mesures recommandées par la commission Hartz – nommée d’après son président, Peter Hartz, ancien dirigeant de Volkswagen – se ramenaient à ceci : rassembler les allocations de chômage et les allocations sociales en un seul paquet bien ficelé.

L’effet immédiat fut l’aggravation de la situation de ceux qui vivaient des allocations (en 2013, le taux standard est de 382€ par mois et par personne, plus le coût d’un “logement adéquat” et des soins médicaux). Mais le facteur de changement le plus profond fut l’introduction d’un contrat, rédigé entre le “chercheur d’emploi” et le “Jobcenter”, qui définit ce que chaque partie promettait de faire pour permettre au chercheur d’emploi de retrouver un fiche de salaire. Celui-ci fut couplé avec des “sanctions” – en d’autres termes, suppressions d’allocations – si le chercheur d’emploi échouait à honorer sa part du contrat. Avec ces deux mesures, l’Allemagne en est venue à accepter l’interprétation moderne du terme “incitation” sur le marché du travail : la doctrine selon laquelle les pauvres ne travaillent que si on ne leur fait pas de cadeau.

Manifestation contre les réformes Hartz

Depuis, une flopée de débats ont eu lieu autour des résultats réels ou des bénéfices des réformes Hartz. Le chômage, à long ou à court terme, a sans aucun doute considérablement diminué en Allemagne depuis le 1er Janvier 2003, mais les critiques disent que c’est seulement parce que la plupart des sans-emplois sont forcés d’accepter le premier boulot qu’ils trouvent – et finissent souvent avec boulot à temps partiel si peu rémunéré qu’ils sont toujours dépendants de l’aide sociale. Toujours est-il que la flexibilité qui permet aux employeurs – en particulier les grandes compagnies industrielles – d’embaucher et de virer les travailleurs à temps partiel en rotation selon les aléas du marché extérieur a certainement aidé l’Allemagne à tirer son épingle du jeu de la crise économique globale de ces trois dernières années.

Mais il demeure difficile d’ignorer que les réformes Hartz ont eu deux effets sociaux. Tout d’abord, ces lois ont contribué à accroître les inégalités en Allemagne. D’après un rapport de l’OCDE d’Avril 2012, “l’Allemagne est le seul pays [de l’Union Européenne] où les inégalités des revenus du travail entre le milieu des années 90 et la fin des années 2000 ont augmenté – phénomène accentué par une inégalité croissante dans la moitié inférieure de la distribution.” Le rapport désigne ensuite “un ensemble de réformes de 2003 destinées à accroître la flexibilité du marché du travail”, pour aider à comprendre la “modération des salaires”.

Hartz a ouvert un boulevard pour le revenu de base”

Deuxièmement, le concept même de Hartz a ouvert un boulevard pour une vieille idée qui lui est idéologiquement opposée : le revenu de base, ou bedingungsloses Grundeinkommen. L’idée est que chaque citoyen reçoive simplement un revenu inconditionnel, sans conditions de ressources, de statut salarial ou de recherche d’un emploi, permettant de fait à chacun de faire plus ou moins ce qu’il veut de sa vie. Le site web du mouvement allemand pour le revenu garanti de base fait coïncider l’explosion de sa fréquentation avec la quatrième et dernière phase des réformes Hartz, dont l’application remonte à 2005.

Hartz IV, qui continue d’attiser la colère au point de pousser un activiste à la grève de la faim l’automne dernier, a intensifié le débat autour de cette alternative radicale. Même si aucun des grands partis ne l’a adopté dans son programme politique, tous – y compris l’Union chrétienne-démocrate d’Angela Merkel – ont évoqué le concept dans leurs débats internes.

La constitution en renfort

Pour couronner le tout, les avocats du revenu de base ont même profité du renfort de la Loi Fondamentale, la Constitution allemande. En effet, certains éléments des réformes Hartz ont enfreint la constitution et sa célèbre phrase d’ouverture “la dignité humaine est inviolable”. Selon ce texte, l’État allemand est obligé de garantir à ses citoyens une vie compatible avec “la dignité humaine”. Or, une décision de justice de 2010 a indiqué que le montant standard du Hartz IV n’est pas calculé d’une manière qui garantisse ce principe.

De même, un tribunal de Berlin a statué en Avril 2012 que le montant mensuel alloué dans le cadre de Hartz IV était trop faible de 36€ (ou 100€ par famille) pour être en conformité avec les exigences constitutionnelles. Ce n’est certainement pas assez – et ne le sera probablement jamais – pour mettre à bas l’ensemble du concept de Hartz, mais le conflit avec l’idéologie du workfare devient de plus en plus apparent.


Crédit image : PaternitéPas d'utilisation commercialePartage selon les Conditions Initiales NiceBastard PaternitéPartage selon les Conditions Initiales dustpuppy – Traduction : Aurélien Cabanillas