Dans la 2ème partie de son ouvrage « La nuit des Temps » paru en 1968, l’écrivain de science-fiction et journaliste René Barjavel décrit une société utopique dont les membres se voient verser l’équivalent d’un revenu de base en droit de tirage sur les ressources. 

Il avait bien analysé que notre productivité serait telle qu’on pourrait séparer le travail et revenu en répartissant les richesses sous la forme d’un revenu de base pour tous. La seule limite qu’il ait trouvée et explorée dans son roman, est l’exigence de l’universalité d’un tel processus car la civilisation qui n’appliquerait pas cette organisation jalouserait et menacerait l’autre. Dans le texte ci-dessous, Eléa, un de ses personnages, a été retrouvée dans un vaisseau caché dans les glaces. Elle raconte comment était organisée sa société :
Chaque vivant de Gondawa recevait chaque année une partie égale de crédit, calculée d’après la production totale des usines silencieuses. Ce crédit était inscrit à son compte géré par l’ordinateur central. Il était largement suffisant pour lui permettre de vivre et de profiter de tout ce que la société pouvait lui offrir.

Chaque fois qu’un Gonda désirait quelque chose de nouveau, des vêtements, un voyage, des objets, il payait avec sa clé. Il pliait le majeur, enfonçait sa clé dans un emplacement prévu à cet effet et son compte, à l’ordinateur, était aussitôt diminué de la valeur de la marchandise ou du service demandés. Certains citoyens, d’une qualité exceptionnelle, tel Coban, directeur de l’Université, recevaient un crédit supplémentaire.

Mais il ne leur servait pratiquement à rien, un très petit nombre de Gondas parvenant à épuiser leur crédit annuel. Pour éviter l’accumulation des possibilités de paiement entre les mêmes mains, ce qui restait des crédits était automatiquement annulé à la fin de chaque année. Il n’y avait pas de pauvres, il n’y avait pas de riches, il n’y avait que des citoyens qui pouvaient obtenir tous les biens qu’ils désiraient.

Le système de la clé permettait de distribuer la richesse nationale en respectant à la fois l’égalité des droits des Gondas, et l’inégalité de leurs natures, chacun dépensant son crédit selon ses goûts et ses besoins.

Une fois construites et mises en marche, les usines fonctionnaient sans main‑d’œuvre et avec leur propre cerveau. Elles ne dispensaient pas les hommes de tout travail, car si elles assuraient la production, il restait à accomplir les tâches de la main et de l’intelligence. Chaque Gonda devait au travail la moitié d’une journée tous les cinq jours, ce temps pouvant être réparti par fragments.

Il pouvait, s’il le désirait, travailler davantage. Il pouvait, s’il voulait, travailler moins ou pas du tout. Le travail n’était pas rétribué. Celui qui choisissait de moins travailler voyait son crédit diminué d’autant. A celui qui choisissait de ne pas travailler du tout, il restait de quoi subsister et s’offrir un minimum de superflu.

Les usines étaient posées au fond des villes, dans leur plus grande profondeur. Elles étaient assemblées, accolées, connectées entre elles. Chaque usine était une partie de toute l’usine qui se ramifiait sans cesse en nouvelles usines bourgeonnantes, et résorbait celles qui ne lui donnaient plus satisfaction.

Les objets que fabriquaient les usines n’étaient pas des produits d’assemblage, mais de synthèse. La matière première était la même partout : l’Énergie universelle. La fabrication d’un objet à l’intérieur d’une machine immobile ressemblait à la création, à l’intérieur d’une femme, de l’organisme incroyablement complexe d’un enfant, à partir de ce PRESQUE RIEN qu’est un ovule fécondé. Mais, dans les machines, il n’y avait pas de PRESQUE, il n’y avait que le RIEN.

Et à partir de ce rien montait vers la ville souterraine, en un flot multiple, divers et ininterrompu, tout ce qui était nécessaire aux besoins et aux joies de la vie. Ce qui n’existe pas existe.


Texte soumis par Virginie Deleu

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