Le 26 juillet dernier, Chypre a dévoilé un programme visant à mettre en place un « revenu minimum garanti » d’ici à l’été 2014. Mais contrairement aux apparences, cette mesure diffère en de nombreux points de l’idée d’un revenu de base universel que nous défendons.

Adaptation d’un article publié en anglais sur basicincome.org.uk.

Alors que le pays essaie de se remettre sur pied après un plan de sauvetage dramatique qui a secoué l’économie de la petite île, le Président Chypriote Nicos Anastasiades a fait une annonce surprenante pour un conservateur : il a promis que tous les citoyens du pays auraient droit, d’ici juin 2014, à un « revenu minimum garanti ».

En principe, le plan paraît intéressant : « Les bénéficiaires seront nos concitoyens qui n’ont qu’un revenu inférieur à celui permettant de leur assurer une vie digne, sans prendre en compte l’âge, la classe ou la situation professionnelle » a affirmé Anastasiades.

Le plan inclut aussi des mesures visant à rationaliser le système social et fiscal de Chypre. Ainsi le Président a‑t-il précisé que le programme serait « financé par des aides sociales distribuées par des ministères et différents services de l’Etat, qui ont auparavant été mal ciblées et souvent données arbitrairement. » Le principe a d’ailleurs été salué dans un second article du Cyprus Mail.

Quelques promoteurs du revenu de base se sont réjouis de la nouvelle : « Si le programme prend effet comme décrit, ce sera le premier vrai « revenu de base garanti » (RBG) au monde, tel que défini par le Réseau américain du revenu de base garanti » s’est enthousiasmé le site Basic Income News. Cet article a par conséquent connu un certain succès sur les réseaux sociaux.

Un bémol de taille

Malheureusement, une citation importante d’Anastasiades parue dans le Cyprus Mail est passée plus inaperçue :

« La seule condition préalable, mais absolument nécessaire, est qu’ils ne refusent pas les offres d’emploi et qu’ils s’impliquent dans les programmes de continuation de l’emploi déterminés par l’Etat »

Ce qui semblait être un grand pas vers un revenu de base universel s’avère en fait être une réforme rétrograde visant à forcer les gens à se présenter inlassablement sur le marché du travail, pour ne pas se voir retirer l’aide sociale. Et de fait, cela n’a finalement plus grand chose à voir avec le principe d’un revenu de base inconditionnel tel que défini par le Réseau Mondial du Revenu de Base (BIEN):

Un revenu de base est un revenu alloué à tous sur une base individuelle, sans condition de ressources ni nécessité de travail. C’est une forme de revenu minimum garanti qui diffère en trois points importants des mesures existant déjà dans plusieurs pays européens :

  1. Il est distribué aux individus plutôt qu’aux foyers ;
  2. il est alloué sans tenir compte des revenus provenant d’autres sources ;
  3. il est alloué sans condition de performance d’un travail ou d’acceptation d’un emploi s’il est proposé.

Bien que reconnaissant que la proposition était un « pas courageux dans la bonne direction », la jeune initiative citoyenne grecque pour un revenu de base pointe du doigt les défauts de cette proposition de revenu minimum, et notamment l’effet de stigmatisation et la trappe à pauvreté que la conditionnalité du revenu minimum garanti implique généralement :

Typiquement, si les bénéficiaires doivent prouver qu’ils sont « assez pauvres » pour mériter un revenu de soutien, cela bloque leurs efforts pour ne plus dépendre de cette allocation.

Un plan poussé par la Troika !

Il convient aussi de noter que l’idée de la réforme ne vient pas de nulle part, et encore moins de l’unique bonne volonté du Président (conservateur !) chypriote. En réalité, le principe du revenu minimum proposé à Chypre faisait partie du mémorandum signé en mars dernier par le gouvernement chypriote et la troïka, celui-là même qui a déclenché le plan de sauvetage de 10 milliards d’euros pour Chypre… et l’austérité qui l’accompagne. On peut ainsi lire en page 26 de ce document :

La réforme de l’assistance publique prévue doit s’assurer que l’assistance sociale serve de filet de sécurité pour garantir un revenu minimum à ceux qui ne sont pas en mesure de subvenir à un niveau de vie basique, tout en conservant les incitations à accepter un emploi, garantissant la cohérence avec une réforme du système social.

En conclusion, il paraît clair que le revenu minimum garanti en question est une proposition bien distincte de ce que l’on pourrait qualifier de revenu de base, même si c’est un sujet que les promoteurs d’un revenu de base doivent surveiller de près. L’émergence d’un débat plus large sur le revenu de base ne peut qu’être facilitée par ce genre de réformes. A suivre donc !


Crédit image :Attribution Nicolas Raymond