Entretien avec Daniel Raventos, professeur à l’Université de Barcelone et militant de longue date pour le revenu de base.

Entretien initialement publié en espagnol sur sinpermiso.info, traduction par Noélie Buisson-Descombes.

On parle et on écrit de plus en plus sur le concept de revenu de base. Cinq longues années après le début de la crise économique dévastatrice dans laquelle nous sommes plongés, nombreux sont ceux, militants de divers mouvements sociaux, membres ou non de partis politiques, syndicalistes et simples citoyens, qui pensent aujourd’hui qu’il faut sérieusement étudier cette proposition. Parmi ses défenseurs, beaucoup sont convaincus que, face aux difficultés qu’imposent à l’immense majorité les politiques économiques mises en oeuvre pendant la crise, il faut prendre un tout autre chemin, changer de paradigme. D’autres ne voient pas les choses ainsi. Peut-on le financer ? S’agit-il d’un chèque pour chacun, qui remplacerait les services publics, comme l’affirment certains ? Quels sont les défenseurs de cette proposition dans la société ? Ce sont ces questions, entre autres, que Marilo Hidalgo a posées à Daniel Raventos pour la revue Fusion. La version que nous publions ici à la suite de cette interview est bien plus détaillée.

Marilo Hidalgo (MH): Cela fait un certain temps que vous proposez que le revenu de base (RB) soit reconnu comme un droit. Mais quelle est la pertinence de cette démarche dans la situation actuelle de pauvreté et d’explosion des inégalités que traverse l’Europe ?

Daniel Raventos (DR): La crise économique et les mesures de politique économique prises par l’Union Européenne depuis ses débuts, ont eu pour effet d’aggraver la pauvreté et les inégalités sociales. Le revenu de base, dans l’acception que j’utilise, est une dotation monétaire inconditionnelle à toute la population, et est une des composantes d’une politique économique diamétralement opposée à celle que nos dirigeants conduisent actuellement.

Comme j’en ai déjà fait mention plus d’une fois, toute politique économique est d’abord politique, ensuite économique : on décide d’abord (plan politique) qui elle va favoriser, puis on met en oeuvre les outils (économiques) pour faire cela. Le revenu de base serait une mesure de politique économique visant à garantir l’existence matérielle de toute la population, c’est-à-dire clairement une alternative à ce que nous vivons actuellement La politique économique qui règne actuellement a été très bien résumée par mon ami économiste mexicain Alejandro Nadal il y a quelques semaines : “Pendant que sévit la pire crise de la tragique histoire du capitalisme, les pouvoirs en place profitent de la conjoncture pour s’en prendre à ce qui reste de l’État-Providence et des acquis sociaux.”

MH : Selon vous, quels besoins ce revenu devrait-il pouvoir couvrir, et qui le recevrait ?

DR : Toute la population le recevrait, par définition du principe d’un revenu universel. Et il faudrait un montant au moins égal au seuil de pauvreté.

L’universalité et l’inconditionnalité, qui sont spécifiques au RB, déroutent et déstabilisent certaines personnes. Ce qu’on entend souvent dire c’est quelque chose comme : “Les riches aussi le percevraient ? C’est ridicule!”. Mais à partir du moment où l’on comprend que, bien que tout le monde reçoive le revenu de base, tout le monde ne sort pas gagnant de la réforme, cette perplexité disparaît (ou en tous cas, cela devrait se produire chez tous ceux qui abordent la question avec bon sens). Bien sûr, il y aura toujours des manipulateurs qui continuent d’insister, comme des abrutis finis, sur des fantasmes qu’ils s’inventent et qui, comme tous les fantasmes, n’ont aucune forme de réalité. Mais il ne faut pas être trop sévères vis-à-vis de la bêtise et des mauvaises intentions : elles sont le fruit de la malchance, c’est comme ça. Dans toutes les propositions sérieuses de financement d’un revenu de base, les riches y perdent. Nous sommes quelques-uns qui nous acharnons à le répéter depuis deux décennies, et nous pensons l’avoir démontré.

MH : Comment ce revenu serait-il financé ? Est-ce envisageable dans la conjoncture actuelle ?

DR : ça tombe bien : Jordi Arcarons, Lluis Torrens et moi-même venons de publier il y a quelques semaines un rapport préliminaire sur une étude de financement du RB qui sortira sous sa forme détaillée dans les mois qui viennent. Je peux d’ores et déjà vous résumer la partie catalane de nos résultats, que nous avons pu terminer car en Catalogne nous disposions d’un échantillon de 250 000 déclarations d’impôts sur le revenu 2010. Si nous avions un échantillon similaire au niveau de l’Espagne, nous pourrions aussi calculer les modalités pour tout le royaume. Ces conclusions, en pleine crise économique, sont donc les suivantes :

Nous partons de l’objectif de financement d’un revenu universel de 7 968 euros par an pour tous les adultes et 1 594 pour les mineurs catalans. Ce montant n’est pas arbitraire, c’est celui du “revenu suffisant” catalan, fixé chaque année lors du vote du budget de la communauté autonome. Cet indicateur a été créé par la loi 13/2006 du 27 juillet. Cet indicateur, selon la communauté autonome catalane, sert à déterminer la situation de besoin matériel pour accéder à certaines prestations et allocations. Dans notre proposition pour financer le revenu de base, en plus des prélèvements actuels, c’est-à-dire sans toucher à un euro d’aucun autre service public (si quelqu’un avait un doute, nous ne touchons ni à la santé ni à l’éducation nationale), sauf les prestations monétaires qui deviendraient redondantes avec l’instauration de ce RB, voici d’où viendrait l’argent : une réforme de l’impôt sur le revenu, la somme cumulée des prestations monétaires remplacées par le revenu de base et la création de nouveaux impôts conformément aux propositions du syndicat des inspecteurs des impôts, GESTHA.

La grande majorité des contribuables, comme de ceux qui ne paient pas d’IRPP, y gagnerait par rapport à la situation actuelle. Seuls 10 à 15% de la population, les plus riches, y perdraient. Une part similaire garderait à peu près le même niveau de revenu disponible, et entre 70 et 80% des gens, moins aisés que les deux autres groupes, y gagnerait. En d’autres termes, on observerait une vaste redistribution des foyers les plus riches vers le reste de la population. C’est le contraire de ce qui s’est produit ces dernières décennies, particulièrement les toutes dernières années.

Ce n’est pas compliqué, mais les gens ne comprennent pas toujours. Il y en a qui se méprennent sur le revenu de base en pensant qu’il s’agit de distribuer un revenu à toute la population indépendamment de ce que possèdent et reçoivent les gens avant la mise en oeuvre du revenu de base. Comme ce propriétaire foncier andalou qui était d’accord avec la réforme agraire républicaine parce que “entre ce qu’il avait déjà et ce qu’on allait lui donner…”. On comprend comment, au vu de cette interprétation du “revenu de base” (entre guillemets), beaucoup s’offusquent du fait que les riches “touchent aussi le revenu de base”. Je peux le répéter mais pas le dire plus clairement : le “revenu de base” (encore entre guillemets) compris ainsi est une ineptie et une hérésie à presque tous points de vue. J’ai un exemple récent de cette méprise catastrophique, dans un récent article de V. Navarro où l’on peut lire que “une version du RB consiste à ce que chaque citoyen, par droit de citoyenneté ou de résidence, reçoive un chèque du trésor public d’un montant défini pour garantir une vie digne”. Il ne s’agit pas d’un chèque à toute la population en marge du système fiscal et de la politique économique, comme le laisse entendre cette description. En bref, il ne s’agit pas d’une formule mathématique grossière telle que “population x montant du RB = tant de millions d’euros ou tel pourcentage du PIB”.

Dans l’article dont je parle on lit : “Même ainsi, en multipliant le nombre de citoyens et de résidents par un revenu de base de 8 551 euros par an (60% du revenu médian du pays), on obtient le chiffre de 37% du PIB”. Comme je l’ai dit, c’est une erreur monumentale. Et il s’agit encore moins, comme cet article de V. Navarro avance : “(…) quiconque se considère progressiste ne peut pas croire que la meilleure solution à nos carences sociales serait de donner un chèque à chaque citoyen et résident pour qu’il se bouge un peu et paie lui-même des services privés qui viendraient se substituer aux services publics, car ce revenu s’y substituerait”. En effet ! Mais cette alternative ne se trouve que dans l’esprit de l’auteur cité et peut-être d’un défenseur excentrique de cette proposition, et certainement pas chez les militants pour le revenu de base qui l’avons défendu en Espagne dans diverses conférences publiques depuis au moins vingt ans. Et naturellement, ce n’est pas le modèle de l’association Red Renta Basica (Réseau Revenu de Base, ndlt) car, dans toutes les différentes manières que nous avons de défendre cette proposition, personne n’a dit ni écrit rien qui ressemble à “un chèque qui remplacerait les services publics”.

Disons-le encore une fois : dans notre modèle de micro-simulation, lors de l’instauration du revenu de base, les riches y perdent avec la réforme fiscale nécessaire à son financement. Et la majeure partie de la population y gagne.

Il s’agirait d’une grande redistribution moins inégalitaire que l’actuelle, et j’espère que ma brève explication du modèle de micro-simulation l’illustre clairement. Et ce modèle, je tiens à le préciser, permet un grand nombre de combinaisons, c’est-à-dire que le montant de 7 968 euros cité est une possibilité mais le modèle peut calculer de nombreux autres montants, inférieurs ou supérieurs.
Est-ce envisageable dans la conjoncture actuelle ? Cette question suppose de s’intéresser à deux aspects au moins. On peut se demander si cela est envisageable économiquement, ou si ça l’est politiquement. La faisabilité économique ne fait selon moi aucun doute, comme je pense l’avoir évoqué précédemment. La faisabilité politique sera envisageable si l’on modifie les catégories sociales que l’on décide de favoriser avec nos politiques économiques.

L’économie n’est pas indépendante de la politique. Les riches sont les grands gagnants des mesures économiques prises depuis des lustres, et la majeure partie de la population se fait avoir. Je crois qu’on ne peut pas s’attendre raisonnablement à ce qu’une politique économique différente de celle menée actuellement et qui favoriserait la majorité non fortunée de la population vienne des partis politiques qui ont gouverné le Royaume d’Espagne ces dernières décennies. C’est la conclusion à laquelle on arrive en analysant les faits et les actes, et bien entendu pas les déclarations. Et plus généralement, la mise en oeuvre en Espagne du revenu de base dépendra, comme toute mesure sociale qui se prétend sérieuse et pas une supposition plus ou moins ingénieuse, de la qualité de son analyse et surtout de la capacité de la population à l’identifier comme l’une des mesures capables de résoudre sa situation sociale.

La mise en oeuvre d’un revenu de base dépendra finalement du nombre de personnes prêtes à le défendre et disposées à lutter pour l’obtenir.

MH : Cette mesure ne pourrait-elle pas contribuer à faire baisser l’incitation au travail ou du moins aux travaux les moins rémunérés ?

DR : Je vais partir du principe que cette question se réfère au travail rémunéré et non aux travail domestique ou bénévole, qui demandent une analyse distincte.

Ce serait merveilleux ! Faire baisser l’attractivité des emplois les moins rémunérés, et en effet je crois que cela se produira, entraînerait une pression salariale à la hausse ou pousserait à la mécanisation de ces emplois. Souvenons-nous que pour quelques bons économistes qui en plus de l’économie, comprenaient le monde de classes sociales dans lesquelles ils vivaient, par exemple chez Kalecki, l’outil principal du grand capital, passé et présent, pour discipliner la classe ouvrière, est l’existence d’un excédent de population, c’est-à-dire d’un corps de réserve pour l’industrie. Avec la crise, cet excédent de population ne fait que croître. Avec un revenu de base, cet outil serait grandement affaibli. Voilà la composante subversive du revenu de base ou, avec plus de modestie, ce qui le rend insupportable aux yeux des amis des grandes inégalités sociales et du capitalisme néolibéral en place.

Plus généralement, certaines critiques qui peuvent être vraies dans le cadre de certaines allocations monétaires conditionnelles, à savoir la désincitation au travail, n’ont aucun sens s’agissant du revenu de base. Souvenons-nous que le revenu de base est inconditionnel, et donc compatible avec d’autres sources de revenu. Ce n’est pas le cas des dotations conditionnelles, comme les revenus minimums d’insertion de nombreuses communautés autonomes du royaume rétrograde espagnol. Quoi qu’il en soit, j’aimerais ajouter que cette critique si récurrente sur la soi-disant désincitation à l’emploi du revenu de base est l’un des thèmes les plus souvent traités dans les écrits sur le revenu de base ces dernières décennies. Dans une économie où officiellement 25% de la population active est au chômage, et plus de la moitié des jeunes actifs (!), cette critique relève plus de l’obscurantisme que d’une compréhension rationnelle et concrète du monde. Elle relève plus d’un mélange de grotesque, de ridicule et d’avarice que d’une analyse posée.

MH : Cela fait un certain temps qu’un revenu de base fonctionne en Alaska. Quels sont les résultats ?

DR : Un revenu de base existe en Alaska depuis plus de 30 ans, et il est financé par un fonds souverain. On parle ici d’un montant annuel qui fluctue selon les prix du pétrole, entre autres facteurs. Il oscille entre 800 et 2 000 dollars par an. C’est-à-dire qu’il ne s’agit pas du revenu de base financé par une fiscalité progressive dont je suis partisan parmi tant d’autres. Je crois qu’il faut bien avoir cela à l’esprit pour éviter des méprises ou des commentaires ignorants comme “c’est parce qu’en Alaska ils ont du pétrole qu’ils peuvent financer un revenu de base”. De toute manière, il faut quand même dire qu’une mesure aussi simple que cette humble rente alaskienne a fait de cet État le moins inégalitaire des États-Unis.

Le cas de l’Alaska a également donné lieu à quelques réflexions annexes, dont l’une m’intéresse particulièrement, à savoir : les défenseurs du revenu de base ont parfois des opinions très différentes sur les plans philosophique, économique et politique. Et, cela ne va pas vous surprendre, il importe autant de se mettre d’accord sur le montant du revenu de base que sur le mode de financement. Il y a des défenseurs du revenu de base dans tous les courants politiques. Mais en Espagne les partis de gauche dominent incontestablement les débats.

MH : Cela fait de nombreuses années que vous militez pour le revenu de base, avec les difficultés que ça implique. Quelles sont les raisons personnelles qui vous ont poussé à défendre cette idée ?

DR : À l’origine mes motivations étaient politiques, bien qu’il y ait eu d’autres raisons autant économiques que philosophiques. Je vais essayer de résumer l’argument le plus fort que j’aie peut-être jamais trouvé en faveur du revenu de base, en des termes sans doute bien différents de ceux que j’utilisais au début des années 90 lorsque j’ai commencé ma thèse doctorale sur ce thème.

Chaque personne naît avec des différences importantes : certains sont plus habiles que d’autres, d’autres plus intelligents, d’autres plus attirants sexuellement, d’autres plus riches, d’autres tombent plus souvent malades alors que d’autres sont plus forts… Certaines de ces caractéristiques sont déterminées en premier lieu par des causes génétiques, et d’autres par des causes sociales. Focalisons-nous sur les causes sociales de ces différences, car les causes génétiques nécessitent d’être traitées à part. Bon, toute société qui se dit juste doit garantir l’existence matérielle de toute sa population. Ce que je veux dire, c’est que l’existence sociale des personnes de cette société ne peut dépendre d’un autre ou des autres. Et si cette existence sociale matérielle se voit gravement attaquée par un ou plusieurs pouvoirs privés (multinationales, groupes mafieux, banques, églises…), l’État doit intervenir de façon républicaine pour garantir l’existence sociale de chacun de ses membres.

En réalité, très souvent il fait le contraire : l’État intervient pour permettre aux grands pouvoirs privés d’acquérir encore plus de pouvoir : réformes du code du travail favorables au grand patronat, restriction des droits des travailleurs, privatisation des services publics, etc. Une des formulations les plus claires et les plus efficaces d’exprimer en partie ce que je veux dire est celle du juge de la Cour Suprême américaine de 1916 à 1939, Louis D. Brandeis : “Nous pouvons avoir la démocratie, ou nous pouvons avoir une richesse concentrée entre les mains de quelques-uns, mais pas les deux.” Le revenu de base, si son montant est égal ou supérieur au seuil de pauvreté, est l’un des moyens les plus intelligents selon moi, dans le cadre d’une économie monétaire telle que presque toutes les économies du monde, pour garantir cette existence matérielle. Pour garantir la base matérielle de la démocratie. Il est bien entendu que le revenu de base, pris isolément, ne garantit pas cette existence matérielle qui est un des fondements de la liberté, mais il me paraît être un élément fondamental.

Et je vais ajouter une autre raison à ma défense du revenu de base, qui me tient de plus en plus à coeur au fur et à mesure que les années passent. Lorsque l’on en débat politiquement dans des Parlements ou dans d’autres assemblées, le revenu de base dérange beaucoup ceux qui, à droite, ont toujours dit qu’il est facile de critiquer la société actuelle, mais beaucoup plus difficile de proposer des alternatives raisonnables. Eh bien, en voilà une. Et ça les inquiète. Vient alors une seconde étape, celle du dénigrement agressif et émotionnel : “On entretiendrait les paresseux”, “On ne peut pas le financer parce qu’il n’y a pas d’argent” (contrairement au moment où il s’agit de sauver une grande banque, par exemple : tout d’un coup l’argent est là), “Plus personne ne voudrait travailler”, “ça créerait un appel d’air pour l’immigration”, etc., etc.

MH : Pensez-vous qu’on verra l’instauration d’un revenu de base en Europe à court, moyen ou long terme ?

DR : Est-ce que nous le verrons de notre vivant ? Pour moi cela dépend fondamentalement de deux facteurs dont j’ai parlé plus haut. La mise en oeuvre du revenu de base dépend, premièrement de la qualité de son analyse, comme toute mesure sociale sérieuse, et pas spéculative et plus ou moins fantaisiste ; et deuxièmement et surtout, de son adoption par une grande partie de la population comme l’une des mesures qui valent la peine d’être défendues, soutenues et encouragées.

Pour ce qui est du premier facteur, la qualité des analyses, heureusement nous disposons depuis très longtemps d’une matière de grande qualité. C’est vrai que certains publient des écrits sur le revenu de base qui me paraissent peu heureux, venant de la droite comme de la gauche. Il y a de tout, et il en va de même des critiques de cette proposition, de droite et de gauche : certaines sont pertinentes, d’autres relèvent du délire pur et dur.

En ce qui concerne le deuxième facteur, le mouvement est encore jeune, mais l’adhésion sociale à l’idée du revenu de base va je crois augmenter dans l’avenir immédiat, comme il a gagné en puissance au cours de ces dernières années, et de manière non négligeable. Cela peut paraître paradoxal à plus d’un point de vue, mais la crise y contribue. De plus en plus de gens, militants ou non de partis politiques, sont convaincus que face aux difficultés auxquelles est soumise l’immense majorité, difficultés qui viennent des politiques économiques mises en oeuvre lors de la crise, il faut opérer un changement de cap radical et sortir du statu quo. Les façons de l’exprimer sont très diverses mais on peut le résumer ainsi : “le premier des droits, avant toute choses, est d’exister.” Et le revenu de base est une bonne manière, concrète et quantifiée, pour garantir cela, le droit de chaque personne à l’existence.

Voici quelques signes de l’adhésion grandissante au revenu de base. Pendant l’année 2013 nous recueillons des signatures dans différents États de l’Union Européenne pour propouvoir le revenu de base. Il s’agit d’une espèce d’initiative législative populaire européenne (l’Initiative Citoyenne Européenne pour un Revenu de Base, ndlt) pour tout le territoire de l’Union. Second symptôme : le prochain symposium sur le revenu de base, le treizième donc, est organisé à San Sebastian durant l’avant-dernier week-end de novembre et par l’assemblée locale de Guipuzcoa, gouvernée par Bildu (coalition indépendantiste basque, ndlt). Encore un symptôme : j’ai reçu un texte d’un militant de la CUP (Candidatura d’Unitat Popular, organisation politique indépendantiste catalane, ndlt) qui écrit que le revenu de base “permet de garantir notre existence matérielle, l’un des principaux piliers de toute société”. Des partis politiques comme Anova (parti souverainiste galicien), alternatiba (membre de Bildu) ou Equo (nouveau parti défendant l’écologie, la participation politique citoyenne, la justice sociale, l’équité et les droits de l’Homme, ndlt) défendent le revenu de base.

Au sein d’autres organisations politiques comme IU (Izquierda Unida, équivalent du Front de Gauche en Espagne, ndlt), ICV (Iniziativa per la Catalogna Verde), ERC (Esquerra Republicana de Catalunya, gauche républicaine catalane, ndlt), il y a de fervents partisans de l’idée. En parallèle, de plus en plus de membres de syndicats, de militants de mouvements sociaux et de citoyens et citoyennes souhaitant contribuer à l’amélioration du monde qui les entoure sont partisans du revenu de base. Il y a donc des raisons de répondre que nous verrons peut-être le revenu de base mis en oeuvre dans un avenir pas si lointain. C’est un objectif très ambitieux, c’est vrai, mais vu ce qui se passe et ce que subi la grande majorité non riche de nos concitoyens, je pense que ça vaut la peine d’essayer.

Peut-être qu’avec le revenu de base, il va se passer quelque chose de semblable à ce que le grand écrivain Arthur C. Clarke disait des “nouvelles idées” : “Chaque nouvelle idée passe par trois étapes. Premièrement : ça n’arrivera jamais, ne me fais pas perdre mon temps. Deuxièmement : C’est possible, mais ça ne vaut pas la peine. Troisièmement : Je savais depuis le début que c’était une bonne idée !”. Le revenu de base n’est plus vraiment une “nouvelle idée”, mais ce serait bien que l’on passe rapidement sur les deux premières étapes. Pour tous ceux qui ne font pas partie des riches, et, pourquoi pas, en vertu du le bon sens.


Daniel Raventos est professeur à la Faculté de sciences économique et sciences de l’entreprise de l’Université de Barcelone, membre du comité de rédaction de sinpermiso et Président du réseau Red Renta Básica. Il est membre du comité scientifique d’ATTAC. Son dernier livre s’intitule Qu’est-ce que le Revenu de Base ? Questions (et réponses) les plus fréquentes (El Viejo Topo, 2012)

Traduction de Noélie Buisson-Descombes

Crédit photo : AttributionShare Alike Stan Jourdan