Signe que l’idée du revenu de base suscite une adhésion grandissante, Europe Écologie-Les Verts (EELV) a décidé, à une large majorité, de défendre officiellement ce droit fondamental à une existence digne lors de son congrès des 15 et 16 novembre derniers. Le sénateur de Paris Jean Desessard, membre d’honneur du Mouvement Français pour un Revenu de Base et porteur de la motion adoptée, revient pour nous sur les perspectives ouvertes par ce remarquable succès.

Jean Desessard, vous êtes sénateur de Paris depuis 2004. Depuis combien de temps défendez-vous le revenu de base ?

J’ai soumis l’idée du revenu d’existence universel au vote de l’assemblée générale du parti Les Verts (devenu EELV depuis 2009, ndlr) pour la première fois en 1992. Hélas, je n’ai obtenu que 30% des votes, pas assez pour inclure le revenu de base dans le programme du parti. J’ai retenté ma chance en 1998, avec le même résultat.

À l’époque j’animais également le Mouvement National des Chômeurs et Précaires, en plus de mon travail au sein du parti. Ceci rendait difficile un travail de fond sur le revenu de base. J’ai donc décidé de préparer cette motion avec mon équipe et de militer en faveur du revenu de base au sein d’EELV à partir de juin 2013.

Le programme d’EELV pour les présidentielles, nommé « Vivre mieux », faisait mention du revenu de base dans ses pages, sans qu’il y ait un réel consensus sur le sujet. Qu’a changé le succès de votre motion ?

L’adoption de la motion ponctuelle signifie concrètement qu’EELV prend une position claire, et inscrit officiellement et durablement la mise en place d’un revenu de base inconditionnel dans son programme politique. Désormais, au Sénat comme ailleurs, je pourrai défendre le revenu de base au nom d’EELV.

Motion pour un revenu d’existence universel

Europe Écologie Les Verts réaffirme clairement sa volonté de mise en place pour toute citoyenne et pour tout citoyen d’un revenu d’existence universel, inconditionnel, cumulable avec d’autres revenus, y compris salariés, d’un montant suffisant pour vivre décemment.

Comment définissez-vous le revenu de base et que signifie-t-il pour vous ?

J’adhère à la définition du Mouvement Français pour un Revenu de Base (MFRB), dont je suis membre d’honneur.

Le revenu de base fait écho à une société inclusive, qui n’exclut personne. Adopter le revenu de base, c’est acter le fait que le droit à une existence digne est un préalable indispensable à l’appartenance et la participation à la société. C’est une évolution culturelle, une nouvelle forme d’organisation collective, de solidarité qui permet à chacun de satisfaire ses besoins essentiels et de ne pas être exclu.

Un rapport au Sénat sur la précarité des jeunes a montré qu’ils sont surreprésentés dans la catégorie des pauvres (20% en moyenne contre 15% pour la population française dans son ensemble, ndlr). Comment est-il possible qu’on ne leur donne pas le RSA ?! (le RSA n’est versé que très rarement aux moins de 26 ans, ndlr) Ils ont le droit de voter mais pas le droit de sortir de la pauvreté et participer pleinement à la société ?

La conditionnalité des dispositifs actuels pose aussi le problème des effets de seuil. Que ce soit vis-à-vis du RMI hier ou du RSA aujourd’hui, le revenu de base élimine ces effets de seuil car il est inconditionnel et donc cumulable avec tout autre revenu. Ainsi, comme on ne perd rien lorsque l’on reprend une activité rémunérée, on a toujours intérêt à travailler !

assemblée

Pensez-vous, comme certains défenseurs du revenu de base, que son instauration pourrait conduire les individus à envisager différemment leur rapport au travail ?

On crève de cette division du travail qui sur-spécialise, et finalement aliène car l’activité perd son sens dans des tâches trop répétitives et dont on ne maîtrise pas la finalité, qui n’est pas forcément orientée vers le bien-être collectif.

L’ouvrier qui intervient dans la chaîne de production d’un produit vendu à l’étranger et ne voit en général pas la finalité ou l’utilité sociale de sa production est dans une situation opposée à la personne qui fait un boulot aussi pénible, voire plus, comme préparer le terrain pour la construction d’un théâtre, mais qui en voit la finalité et l’utilité sociale.

Le revenu de base inconditionnel peut aider les individus à refuser des conditions de travail trop pénibles et peu valorisantes tout en permettant à la société de prendre conscience de la dimension sociale du travail, au sens de lien social et de cohésion. Il peut permettre ainsi de s’adonner à des activités plus enrichissantes, parce que choisies. Dans le contexte actuel de chômage de masse, il pourrait faciliter une répartition plus équitable de l’emploi.

Vous avez participé à l’assemblée générale constituante du MFRB, qui se penche actuellement sur la question de la réforme fiscale permettant la mise en place du revenu de base. Dans le contexte actuel d’annonce de réforme fiscale par le Premier ministre Jean-Marc Ayrault, une fenêtre s’ouvre. Quelles sont vos idées à ce propos ?

Le revenu de base ne peut pas se penser sans une réforme fiscale permettant et rationalisant son financement ; il doit s’inscrire dans une réorganisation collective de notre société. Ce qui m’intéresse par conséquent c’est d’avoir sur la table des propositions concrètes pour la mise en place d’un revenu de base.

EELV est pour l’individualisation de l’impôt sur le revenu et la suppression des quotients familial et conjugal, je l’ai dit à Jean-Marc Ayrault ! Combinée à d’autres éléments, une telle réforme supprimerait un tas d’effets pervers du système actuel, notamment le fait qu’il favorise principalement les familles nombreuses riches. Cela permettrait par ailleurs de financer le revenu de base.

Dans un communiqué de presse, le MFRB salue le succès de votre motion et rappelle que, même si la classe politique stagne sur l’idée du revenu de base, elle est portée par les membres de pratiquement tous les mouvements politiques. Pensez-vous qu’EELV puisse donner l’exemple en soutenant le MFRB ?

La classe politique n’est pas la mieux armée aujourd’hui car elle a tendance à avoir peur de la nouveauté. Malheureusement, le conformisme en est un symptôme caractéristique.

Néanmoins, le succès de la motion que j’ai portée montre que rien n’est figé. EELV peut déjà informer ses membres de l’existence du MFRB et pourquoi pas travailler avec ce dernier. J’ai d’ailleurs appelé les membres d’EELV à signer l’Initiative Citoyenne Européenne (ICE) pour le revenu de base.

Comment voyez-vous l’avenir du revenu de base dans votre parti, et votre combat ?

Je vais travailler à ce que le Bureau exécutif prenne position prochainement ainsi qu’à la promotion de l’idée dans les différents courants du parti. D’ici à la fin janvier, mon équipe doit travailler sur une plaquette présentant ma vision du revenu de base.

À terme, j’aimerais plancher sur l’idée de dotation en nature pour l’autonomie et l’indépendance contre services à la communauté (Bruno Théret parle de service civique ou encore d’impôt en nature, ndlr). Je pense à la mise à disposition d’équipements collectifs, à côté du revenu de base.


crédits photos : PaternitéPartage selon les Conditions Initiales stanjourdan / PaternitéPas d'utilisation commercialePas de modification Sénat