L’entrepreneur allemand Götz Werner est célèbre pour ses positions iconoclastes et parce qu’il défend le revenu de base inconditionnel. 

Interview par le journal autrichien Wiener Zeitung, traduction par Sébastien Desautel.

M. Werner, vous êtes partisan d’un revenu de base inconditionnel et vous avez écrit plusieurs livres sur le sujet. Vous êtes aussi entrepreneur et fondateur de la chaîne de drogueries DM. Combien serait payé un apprenti chez DM par le biais du revenu de base ?

Götz Werner : Je vous propose un autre point de départ de réflexion : un jeune homme ou une jeune femme vient au monde, va à l’école, apprend, pour ensuite aller conquérir le monde. Puis, il fait un apprentissage dans le but de mieux comprendre ce qu’il veut conquérir. Ce développement se trouve au premier plan. Mais pour cela, il a besoin d’un revenu. Un revenu suffisamment élevé pour qu’il puisse en vivre – l’expérience nous montrera de quel montant il s’agira – sur la base d’un revenu de base. Dans tous les cas, il nous faudra proposer des postes de travail attractifs pour que les meilleurs apprentis s’investissent dans notre entreprise. Le montant du salaire s’orientera par rapport à l’attractivité du poste de travail.

Vous croyez que tout le monde se lèvera et retroussera ses manches ?

Je ne le crois pas, je le constate : l’homme veut travailler. L’homme est un être actif. S’il ne veut rien faire, c’est qu’il y a un problème dans sa socialisation.

Qui s’oppose au revenu de base en Allemagne ?

Tous ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas réfléchir à l’idée, c’est pareil en Allemagne comme en Autriche. Les petits bourgeois par exemple.

Parce que les pays sont plein de petits bourgeois ?

Parce que les gens tendent à la petite bourgeoisie – ils se figent et s’accrochent.

Ne serait-ce pas plutôt de la jalousie ? Pourquoi est-ce que quelqu’un d’autre devrait recevoir quelque chose lorsque je dois travailler ?

Lorsque je fais quelque chose qui a du sens pour moi, quelque chose avec lequel je peux m’identifier, alors ce travail n’est jamais un devoir. Ce n’est pas une attitude productive que de penser que l’on “doit” travailler. Si vous voulez vraiment être journaliste, alors ce n’est pas un travail que vous devez faire, mais une activité pleine de sens que vous voulez faire.

J’imagine que nombre d’employés souhaitent réaliser quelque chose d’utile, mais reçoivent des ordres de leurs supérieurs hiérarchiques dans lesquels ils ne voient pas de sens.

C’est justement pourquoi nous avons besoin d’un revenu de base, pour que chacun puisse dire : « Ce sera sans moi. C’est sympathique tout ça, mais cela ne correspond pas à mes idées. Je change d’activité. » Le revenu de base met les gens en position de pouvoir dire non.

Comment se positionnent les partis allemands vis-à-vis du revenu de base ?

Il y a dans chaque parti des courants pour un revenu de base, mais jusqu’ici la plupart ne se trouvent qu’à la base de ces organisations. L’idée est rejetée par les politiciens du SPD [le parti social-démocrate allemand] et par beaucoup d’autres partis de gauche. Plus un parti est positionné à gauche, plus il s’accroche au fétiche du travail.

Y‑a-t-il des partisans du revenu de base au CDU (l’union démocrate-chrétienne allemande) ?

Dieter Althaus, l’ancien ministre-président de Thuringe a plaidé en sa faveur…

Cela ne l’a pas emmené loin.

C’est un autre problème, mais jamais un partisan du revenu de base n’avait existé à un tel niveau du SPD. Le président du SPD, Sigmar Gabriel, a récemment déclaré que le revenu de base était un affront pour les personnes qui travaillent.

En Autriche, c’est l’inverse. Ce sont plutôt les partis de gauche qui plaident pour un revenu de base.

Ce sont quand même les partis de gauche qui sont en fin de compte devenus populaires en argumentant sur l’identification avec le travail.

Vous plaidez pour un renouvellement permanent dans votre entreprise et ailleurs. Dans l’UE et en Allemagne, la tendance est plutôt à l’immobilisme et au conservatisme.

Renouvellement signifie évolution. Et une évolution se déroule, vous pouvez le constater chez les enfants, par étapes. Chez les enfants, on a quelque fois l’impression qu’il ne se passe rien, mais en fait il se passe beaucoup de choses. L’évolution est un peu comme un feu couvant. On ne remarque rien, on ne sent presque rien et, tout d’un coup, quelqu’un ouvre une porte et la maison est en flammes.

Qu’est-ce qu’on peut sentir en Allemagne ?

Ça sent le changement, parce que beaucoup de gens se rendent compte que la situation sociale ne peut perdurer ainsi. L’homme apprend par prise de conscience ou catastrophe. Soit on prend conscience, soit ça explose.

Pourtant, ça se passe très bien pour la CDU qui reste au gouvernement et qui est loin de foncer dans le mur.

Les problèmes que nous avons ne seront pas résolus, que la CDU soit au gouvernement ou non. Les citoyens sont les souverains et les hommes politiques ne peuvent mettre en place que ce que les gens saisissent.

Nous avons besoin d’un changement fort dans la conscience de la société. Vous ne résolvez aucun problème en appliquant les solutions du passé, mais en faisant autrement.

Quels sont les problèmes auxquels l’Allemagne doit s’atteler ?

La question du revenu ! Nous n’avons jamais été aussi bien qu’aujourd’hui. En d’autres mots, la communauté allemande, autrichienne aussi, est aujourd’hui en mesure de produire des biens et des services comme jamais auparavant. La question est : pourquoi autorisons-nous la pauvreté ? Face à ce problème, nous ne nous interrogeons jamais sur la question du revenu. Nous couplons toujours et encore travail et revenu : le revenu « colle » au travail, au lieu de coller à la personne.

Que le travail soit rationalisé, c’est la meilleure chose qui puisse nous arriver. Imaginez, vous devez écrire vos articles par sténographie et télex comme par le passé. La rationalisation est positive, l’homme doit être libéré des travaux stupides et monotones. Mais ce n’est pas une raison pour faire disparaître le revenu. Le revenu doit être attaché à l’être humain : c’est l’idée du revenu de base inconditionnel.

Le problème, c’est que nous pensons toujours que c’est le travail qui est rémunéré. C’est une erreur. Ce qui doit être payé, c’est par exemple le fait que vous soyez en mesure de faire cette interview. L’interview en tant que telle n’a pas de prix. Ou bien, comment voulez-vous mesurer la valeur de cette interview ? Ou la valeur du travail d’un enseignant ou d’un juge ? Oui, le revenu n’est pas la rémunération du travail mais le moyen de réaliser un travail. Il s’agit là d’un tournant copernicien dans notre façon de penser. Cette prise de conscience est un énorme défi.


Traduction par Sébastien Desautel

Crédit photo : PaternitéPas d'utilisation commerciale Certains droits réservés par GLS Bank