Rencontre avec Marcus Brancaglione et Bruna Augusto, représentants et co-fondateurs de l’association ReCivitas, connue pour avoir expérimenté le revenu de base pour la première fois au Brésil. En tournée européenne depuis le mois de septembre, Marcus nous fait part des enjeux liés à ce projet expérimental d’un revenu de base de 30 Réais (environ 12€), alloué chaque mois aux habitants du village de Quatinga Velho, dans l’État de São Paulo, entre 2008 et 2014.
Dans quel contexte l’association ReCivitas a‑t-elle été créée ?
ReCivitas a été fondée en 2006 par quatre personnes, dont Bruna et moi. Nous étions dans la ville de Paranapiacaba, dans l’État de São Paulo et avions initialement prévu de monter un projet sous plusieurs angles : environnemental, éducatif, historique et de préservation du patrimoine. Or, en nous penchant sur les problématiques de la ville, nous avons constaté que les enjeux étaient avant tout liés à une situation socio-économique extrêmement précaire.
Nous avons alors misé sur le constat suivant : si nous voulons aider les habitants de Paranapiacaba, il faut leur donner les moyens financiers de s’en sortir. C’est à ce moment-là que nous avons pensé à la mise en place d’un revenu de base.
Il faut savoir que le revenu de base, qui est l’idée d’une allocation versée à chaque personne de manière inconditionnelle pour lui donner les moyens de vivre dans des conditions décentes, est intégré dans la Constitution brésilienne depuis 2004, grâce au travail de promotion mené par le sénateur Supplicy.
C’est de l’idée d’un revenu de base que s’est inspiré par exemple le programme Bolsa Familia, impulsé par le président Lula. Ce programme, qui octroie une somme d’argent aux familles les plus défavorisées à condition notamment de scolariser leurs enfants, a certes permis à de nombreuses personnes de sortir de l’extrême pauvreté, mais a induit des dérives de corruption, et reste un système avilissant et humiliant du fait de sa conditionnalité.
Le projet d’expérimentation d’un revenu de base nous a donc paru être l’outil micro-économique le plus efficace et nous avons décidé de nous lancer.
Un tel projet d’allocation pour tous les habitants d’un village implique des moyens financiers importants. Où avez-vous trouvé les fonds ?
Tout d’abord, nous avons contacté des représentants politiques, mais aussi des chefs d’entreprises pour proposer des partenariats de tous types. Nous avons dépensé beaucoup de temps et d’argent pour rencontrer des membres du gouvernement et nous étions même parvenus à plusieurs accords informels. C’était même passé dans la presse, nous nous prenions en photo avec les élus qui soutenaient ouvertement le projet. Mais le jour où il a fallu débourser de l’argent pour pouvoir lancer le projet, plus personne n’était présent et nous nous sommes retrouvés à nouveau seuls.
Cette situation a marqué un grand tournant dans l’histoire de ReCivitas, car elle a engendré des réflexions intenses sur la façon de poursuivre notre projet. C’est alors que nous avons réalisé que tout l’argent dépensé pour les rencontres officielles avec des élus ou des entrepreneurs aurait déjà pu servir au financement du projet.
Nous avons donc pris la décision de rester indépendants et de financer notre projet par nos propres moyens. Nous avons également reçu de l’aide de la part d’organisations internationales et de donateurs qui soutenaient l’idée du revenu de base.
Toutefois, avec nos ressources plus modestes, nous ne pouvions pas rester à Paranapiacaba avec ses 1 000 habitants et il nous a fallu trouver un village plus petit, dans lequel il serait possible d’instaurer un revenu de base à la hauteur de nos moyens. C’est là que nous avons trouvé le village de Quatinga Velho, d’environ une centaine d’habitants.
Comment vous êtes-vous organisés pour mettre en place ce projet ?
Le premier paiement d’un revenu de base a eu lieu en octobre 2008, d’un montant de 30 reais par personne. Avant de commencer notre projet, nous avions fait du porte-à-porte pour discuter du projet avec les habitants du village. Une trentaine de personnes a d’abord accepté de nous suivre dans sa mise en œuvre. En 2014, la quasi-totalité des habitants de Quatinga Velho avait accepté de recevoir un revenu de base inconditionnel du même montant, à l’exception de quelques propriétaires terriens qui ne voyaient pas l’intérêt de s’impliquer dans un projet pour 30 Rs mensuels.
Le paiement s’effectuait chaque mois et était donné directement dans la main du bénéficiaire, ou des parents quand il s’agissait d’enfants. Nous venions également pour des échanges plus informels, ou pour des initiatives de troc de jouets ou de livres.
Quels résultats avez-vous pu constater ?
Par le biais d’échanges informels, mais aussi au travers d’études indépendantes, nous pouvons dire que l’attribution d’un revenu de base n’a pas eu d’effet révolutionnaire auprès de la population de Quatinga Velho, mais plutôt positif et progressiste. Le processus a été évolutif : les gens ont commencé par acheter des vêtements, des médicaments et de la nourriture, puis du matériel pour faire des travaux dans leurs maisons qui étaient dans un état très précaire. Avec le temps, nous avons pu constater que des petits commerces se créaient et que les auto-entrepreneurs se faisaient plus nombreux. Certaines personnes avaient même créé un restaurant dans leur cuisine !
Mais nous avons surtout pu constater que le revenu de base permettait aux familles de faire face à des accidents de la vie qui n’étaient pas forcément prévus : maladies, décès, etc. Une mère m’a même dit une fois que sans son revenu de base, elle n’aurait jamais pu acheter les médicaments pour son bébé et qu’il serait certainement mort à l’heure actuelle…
Nous avons également noté que la constance d’un revenu mensuel permettait aux gens de mieux s’organiser : épargner pour pouvoir faire ensuite un achat important, voire même emprunter. Le panel des possibilités s’est élargi et le revenu de base a permis de mettre en place un système de microcrédit autogéré par les habitants du village, sur la base de la démocratie directe.
Pour résumer, le revenu de base a permis une évolution très progressive d’émancipation et d’indépendance économique et sociale.
Pourquoi le projet s’est-il terminé ?
Au début du projet, nous avions discuté avec les habitants du village sur le montant d’un revenu de base qui leur permettrait de vivre correctement et la réponse qui revenait le plus souvent était de 50 Rs. Nous n’avions pas les moyens de financer un revenu de base à 50 Rs, mais nous avions convenu, en accord avec les villageois, d’un montant qui leur permettrait pour le moins de subvenir à leurs besoins vitaux, qui était de 30 Rs.
Or, entre le début et la fin du projet, le Brésil a souffert d’une forte inflation qui a diminué le pouvoir d’achat de tous les Brésiliens de façon considérable. Si à l’époque 30 Rs permettaient de subvenir aux besoins de base, aujourd’hui, cela ne vaut plus rien et, après des mois d’agonie, le projet a dû se terminer. Ça a été traumatisant pour tous, à la fois pour les habitants et pour les porteurs du projet. Je te disais tout à l’heure que le revenu de base avait permis à une maman de sauver son bébé, je n’ose pas imaginer ce que ça implique aujourd’hui.
De là est sorti tout de même quelque chose de bon. Avec les habitants de Quatinga Velho, nous avons décidé de créer un Fonds Permanent qui serait indépendant et permettrait à quiconque à travers le monde d’investir dans ce projet et lui permettre un caractère durable. Notre rêve est qu’au moins une génération entière puisse en bénéficier.
Pour moi, le revenu de base doit être une victoire qui doit se mener par une lutte sociale menée par le peuple. Les politiques suivront ensuite. De fait, le Parti des Travailleurs a par exemple inscrit le revenu de base dans son programme, sans que rien de concret n’ait été fait depuis.
L’exemple de notre projet au Brésil, ou encore ceux qui ont été menés en Inde et en Namibie sont certes à une échelle encore très petite, mais ils nous ont permis de montrer les bienfaits d’un revenu de base.
Or, le revenu de base n’est pas juste une question d’aider ceux qui en ont besoin, c’est bien plus un droit social qui doit permettre à chacun de pouvoir faire face aux aléas de la vie. C’est un droit qui doit permettre à chacun de s’émanciper et de choisir le chemin qu’il veut suivre. Les personnes qui recevront un revenu de base inconditionnel et universel ne seront pas vues comme des assistés mais comme des citoyens qui bénéficient d’un droit qui ne doit et ne peut pas leur être refusé.
Il n’est même plus question de se demander si une telle idée est possible ou non, si elle est souhaitable ou non. Il est maintenant question de concrétiser un projet dont l’heure est venue et de construire un nouveau modèle de société qui remettra l’humain au cœur des préoccupations.
Plus d’informations sur le projet de ReCivitas :
Voila une idée révolutionnaire ! et humaine. Philosophiquement j ai toujours pense que si nous pouvions ressentir les besoins de l autre quelque soit sa position, et si nous pouvions imaginer notre grandeur en fonction de la grandeur humaine, alors le plus grand combat de l homme serait de faire en sorte que l homme soit dans des conditions humaines décentes sur toute la terre et dans tous les temps.
Il y a tant de gaspillages d‘argent a construire des projets dits de développement, qui ne reflètent que nos visions, dans des infrastructures et du fonctionnement onéreux, qui se terminent en végétation alors que repartis en simple droit de vie auprès des mêmes cibles, cet argent aurait permis a tous de mieux voir la vie comme un champ de possibilités intéressantes.
Le développement véritable, c est simplement arriver a faire en sorte que l autre améliore sa situation comme il l envisage et non pas l inciter a vivre comme “on devrait”.
Bravo, ce n est certes pas une voie simple, mais c est une voie vraie en tout cas.