Jeudi dernier, salle Gaveau à Paris, le think-tank GénérationLibre organisait une grande conférence autour du revenu de base, à laquelle plusieurs centaines de personnes ont assisté. Une quinzaine d’intervenants se sont succédé pour aborder la question du revenu universel, parmi lesquels des politiques – entre autres Delphine Batho (PS) et Frédéric Lefebvre (LR) – des philosophes ou des économistes. Le Mouvement Français pour un Revenu de Base (MFRB) était présent pour l’occasion et vous raconte l’événement.

Ouverte par les économistes Marc de Basquiat, président de l’AIRE (Association pour l’Instauration d’un Revenu d’Existence) et Jean-Eric Hyafil, co-fondateur du MFRB, la première table ronde a été l’occasion de rappeler brièvement la complexité du système socio-fiscal français – rendu illisible par une multiplicité d’aides – que le revenu de base permettrait de simplifier.

Pour Jean-Eric Hyafil, ce besoin de réforme fiscale peut par exemple se réaliser en suivant un scénario en trois étapes. D’abord, une automatisation du versement du RSA pour tous les bénéficiaires, car 68% des bénéficiaires du RSA activité n’en font aujourd’hui pas la demande. Ensuite, l’individualisation de ce versement, en ne se préoccupant pas du statut – célibataire ou en couple – du bénéficiaire. Et enfin l’étape la plus importante : l’universalisation de ce versement à l’ensemble de la population.

Conférence Génération Libre le 4/02/16
Marc de Basquiat à la tribune. Au second plan, Jean-Eric Hyafil.

De très nombreux intervenants

Une seconde table ronde était consacrée aux expérimentations du revenu de base et à sa philosophie. Philippe Van Parijs y a rappelé les trois grands principes du revenu de base. Son inconditionnalité car il ne dépend pas d’une nationalité et n’exige pas de contrepartie. Son individualité car il ne dépend pas de la situation familiale. Son universalité car il n’est pas réduit ou affecté par les autres sources de revenu. Il a également souligné son attachement à la liberté qu’apporterait le revenu de base en augmentant le pouvoir de négociation des travailleurs sur le marché de l’emploi.

Lionel Stoléru, économiste et ancien homme politique, a ensuite rappelé comment Richard Nixon et Valéry Giscard d’Estaing avaient déconsidéré dans les années 1970 l’idée du revenu de base qui leur était suggérée sous la forme d’un impôt négatif, en l’accusant d’encourager l’oisiveté et la fainéantise dans la société. 

Enfin, Eduardo Suplicy, économiste et ancien sénateur de Sao Paulo, a présenté l’expérience brésilienne de la Bolsa familia. Instaurée en 2003 sous la présidence de Lula da Silva, la Bolsa familia vise à accorder une somme d’argent aux ménages à bas revenus à condition de scolariser les enfants. Ce programme a été un véritable succès, sortant plus de 12 millions de familles de la pauvreté. Le principe du revenu de base est à présent entré dans la constitution, et l’ancien sénateur a demandé à la présidente brésilienne Dilma Rousseff d’étudier la mise en place d’étapes pour instaurer un véritable revenu de base.

Concernant les implications économiques du revenu universel, Alain Madelin a mis en garde sur le risque de mal cibler la lutte contre la pauvreté en allouant le revenu de base de façon universelle plutôt qu’en le concentrant sur les personnes en situation de pauvreté. Cette idée reviendrait pourtant à stigmatiser ceux qui bénéficierait d’une telle allocation et passerait à côté du caractère émancipateur du revenu de base. 

Benoît Thieulin, l’auteur du rapport du Conseil National du Numérique sur les transformations du travail à l’ère du numérique, a introduit la troisième table ronde consacrée au lien entre économie numérique et revenu de base. Dans un discours enthousiaste, il a expliqué qu’il n’était « pas réaliste de faire rentrer les nouveaux usages du numérique dans l’ancien cadre de l’économie et de la protection sociale ». La transformation du salariat, la pluriactivité, les activités non marchandes sont autant de valeur ajoutée pour la société que le modèle social ne prend pas en compte aujourd’hui. C’est pour ces raisons qu’il a introduit l’idée du revenu de base comme réforme de la protection sociale dans le rapport du Conseil National du Numérique remis à la Ministre du Travail le 6 janvier dernier.

Diana Filippova, coordinatrice du think-thank OuiShare, a soutenu Benoît Thieulin en affirmant que le revenu de base contribuerait à redistribuer la richesse issue du travail immatériel et des données fournies quotidiennement aux entreprises du numérique, notamment aux réseaux sociaux. 

Un débat démocratique sur le revenu de base doit s’instaurer

Enfin, la conférence s’est terminée par des conclusions politiques, en présence de Delphine Batho (PS), Frédéric Lefebvre (LR), Karima Delli (EELV) et Sylvie Goulard (MoDem). Delphine Batho, qui avait déposé un amendement au projet de loi numérique pour une étude de faisabilité du revenu de base, est revenue sur la faible croissance dans notre société, qu’elle considère comme structurelle. Dans cette perspective, elle considère que le revenu de base « n’est pas l’assistanat pour tous ; c’est le basculement dans un nouveau modèle écologique, numérique et social ». Elle a également tendu la main à Frédéric Lefebvre, affirmant la nécessité de travailler tous ensemble pour ne pas enterrer cette idée. 

Main tendue que ce dernier a volontiers saisie ; pour lui, « le gouvernement n’a pas le droit de passer à côté de ce débat ». Les députées européennes Sylvie Goulard et Karima Delli ont quant à elles témoigné du caractère transpartisan des travaux qu’elles mènent quotidiennement au Parlement de Strasbourg. 

Il y a donc une prise de conscience au niveau politique qu’un débat démocratique sur le revenu de base doit s’instaurer. Pourquoi pas, comme l’a affirmé Benoît Thieulin dans une interview en ligne ici, dans le cadre des élections de 2017 ?

Une conférence qui a donc marqué une nouvelle étape dans la réflexion autour du revenu de base ? Salle Gaveau, ce soir-là, les intervenants se sont accordés pour dire que le revenu de base était maintenant entré dans le débat public. Reste à l’expérimenter, à échanger sur les différentes propositions pour parvenir à son instauration !


Photo : MFRB – Licence CC.