De plus en plus de voix s’élèvent pour situer la cause essentielle de la crise dans le monopole des banques commerciales sur la création monétaire. Le revenu de base pourrait non seulement atténuer les conséquences de la crise, mais être surtout un levier politique pour agir sur sa cause, en transformant les modalités de création monétaire.

Maurice Allais, prix Nobel d’économie 1988, grand spécialiste de la monnaie et promoteur du revenu de base, proposait en son temps de retirer aux banques leur monopole sur la création monétaire. L’histoire n’en a pas tenu compte. Sur fond de mondialisation, le pouvoir des banques commerciales sur la création monétaire n’a cessé de s’amplifier et de se déréguler. Depuis les années 30, d’autres économistes avant lui en avaient déjà décrit les conséquences : bulles spéculatives, explosion de la dette, creusement abyssal des inégalités, chômage et pauvreté. 

Nous ne détaillerons pas ici les mécanismes de création monétaire par les banques et leurs conséquences délétères (voir l’approche D dans cet article). De nombreux membres du Mouvement Français pour le Revenu de Base (MFRB) les connaissent et n’en sont pas dupes. Ils estiment que la création monétaire par la dette, et le monopole qu’exercent les banques sur cette création, sont illégitimes. Il leur parait évident que ce système crée artificiellement deux classes d’humains : une infime minorité qui a le pouvoir de créer la monnaie, et l’immense majorité qui ne l’a pas. Cette scission de la société en deux classes bénéficiant dans les faits de droits différents, leur apparaît contraire aux droits humains selon lesquels : “Tous les êtres humains naissent et demeurent libres et égaux en dignité et en droit”.

Selon eux, il est illusoire de penser qu’un revenu de base qui ne prendrait pas en compte la création monétaire puisse sauver la paix sociale. Ils redoutent même qu’un revenu de base par redistribution tel qu’il pourrait se mettre en place en première instance, aboutisse au résultat contraire si le jeu politique lui faisait jouer le rôle de rempart pour maintenir un statu quo social qu’ils jugent inique. Il parait donc essentiel d’étudier des formes du revenu de base impliquant la création monétaire, voire qui seraient complètement fondées sur celle-ci.

La création monétaire réservée aux banques, un modèle obsolète

Remettre en question le monopole de la création monétaire par les banques privées relève du tabou, tant c’est la règle centrale du jeu économique. Aussi incroyable que cela puisse paraître, à la différence du Monopoly™ dont la règle est écrite et reconnue, celle de l’économie réelle commence à peine à être divulguée. En effet, cette règle est ce que certains théoriciens des jeux appellent une “règle homéostatique” que tous les acteurs appliquent aveuglément, sans la nommer et sans aucune question, tant que le jeu n’est pas arrivé à un certain niveau d’obsolescence.

Sur cette règle, les politiciens de tous bords sont parfaitement muets depuis des décennies, hormis au hasard de quelques déclarations électorales (« Mon ennemi c’est la finance » François Hollande).

Après Maurice Allais, pendant de longues années, aucun économiste officiel ne s’est interrogé publiquement sur ce sujet. Mais depuis peu, certains parlent à nouveau de création monétaire. Ils sont de plus en plus nombreux à le faire, et de manière très alarmiste. 

Pour n’en citer que quelques uns : Gaël Giraud et Steve Keen (professeurs d’économie), Lord Adair Turner (directeur de l’autorité britannique de régulation des services financiers), Bernard Lietaer (ancien Directeur de la Banque nationale de Belgique), François Morin et Bernard Maris (anciens conseillers de la Banque de France), Mervin King (ancien gouverneur de la Banque d’Angleterre), les économistes rassemblés au sein de l’initiative Monnaie-Pleine, etc. Bernard Maris résume la critique de ces économistes : la création monétaire n’a plus rien d’un service public. Sa privatisation complète conduit tout droit à une guerre de tous contre tous…

Si les acteurs institutionnels mettent soudainement en doute la règle du jeu restée taboue pendant si longtemps, c’est le signe que le jeu a atteint son niveau d’obsolescence et qu’il menace de s’effondrer. Il va donc falloir proposer d’urgence de nouveaux candidats pour remplacer le modèle de création monétaire actuel. 

Comme on va le voir, les modèles alternatifs envisagés par différents acteurs institutionnels visent à redonner à la création monétaire un certain caractère de service public. D’autres approches visent à l’attirer dans le sens des communs. Toutes ces propositions ont partie liée avec la notion de revenu de base.

Domaine privé des banques, service public, ou communs ?

Avant d’entrer dans les détails, précisons que dans tous les cas, il ne s’agit pas de distribuer de la monnaie gratuite à gogo. Non, il s‘agit de rendre à tous et à chacun le premier et le principal pouvoir régalien qu’est la création monétaire, tout simplement en la centrant sur chaque individu. Elle pourrait remplir ainsi la fonction du revenu de base, ce que certains appellent dividende universel, permettant à chacun d’alimenter la vie économique. Nous allons voir qu’il existe deux types d’approches pour le réaliser.

Quelle que soit l’approche considérée, les objections fusent. La première se résume généralement à ceci : « En quoi de la monnaie créée à partir de rien et attribuée à tous, aurait-elle une valeur si cela ne correspond à aucun travail ni à aucune ressource ? ». En guise de réponse, il est facile d’observer que la création monétaire telle qu’elle est pratiquée actuellement par les banques sort aussi de nulle part. Elle est souvent purement spéculative, et en plus d’être inéquitable, elle ne correspond à rien pour l’économie réelle. Le dividende universel, au contraire, permettrait aux individus de vivre, d’échanger, de travailler, de mutualiser leurs ressources, et finalement d’entretenir les richesses léguées par leurs prédécesseurs, ou encore d’en créer de nouvelles.

Précisons enfin que les formes du revenu de base par création monétaire dont il est question ici ne doivent pas être confondues avec celle reposant sur la taxation des flux financiers (de type taxe Tobin). À nos yeux, cette idée revient à essayer de se chauffer en tentant de prélever quelques flammes du feu de l’enfer. La taxation des flux financiers, aussi louable qu’elle puisse être, validerait implicitement le système de création monétaire qui en est à l’origine, et qui semble promis à la désintégration. Non, ici, il est au contraire question de modifier la source de ce système.

Il existe deux types de visions pour réaliser cela :

  1. Distribution par un centre de pouvoir d’unités de compte qu’il a créées ex-nihilo. Dans le meilleur des cas, la vision sous-jacente est de considérer la création monétaire comme un service public. Cette distribution serait effectuée suivant un réseau centralisé ou décentralisé, respectivement selon les approches 1 et 2 introduites ci-après.
  2. Mise en œuvre sans centre émetteur, auto-régulée et transparente, d’unités de compte par chaque citoyen, afin qu’il puisse alimenter les flux économiques. Dans ce cas, la création monétaire, ou plutôt le protocole monétaire qui la supplanterait serait un commun. Cette mise en œuvre serait réalisée suivant un réseau pair-à-pair. Voir les approches 3 et 4 introduites ci-après.

Les implications de ces deux visions en terme de pouvoir sont évidemment considérables. Elles se déclinent en quatre approches de revenu de base par création monétaire envisagées par différents acteurs. Les deux premières approches présentées ci-après (1 et 2), montrent que la pression des événements pousse les institutions à aller bon gré mal gré dans cette voie. Mais quand elles s’y engagent, c’est souvent en dernier ressort, à petits pas, à mots couverts, de manière presque clandestine. Surtout, leur démarche ne remet pas en question le dogme de la monnaie-bien sur lequel nous reviendrons plus loin.

Au contraire, les approches suivantes (3 et 4) sont des initiatives citoyennes d’intérêt public, élaborées de manière aussi transparente que possible en s’appuyant sur des logiciels libres.

Approche 1. Quantitative Easing pour le Peuple (QE4People)

Dans le contexte de la crise généralisée que traverse l’Europe, le mouvement européen QE for People, proche du MFRB et du réseau UBIE, demande à la Banque Centrale Européenne (BCE) d’attribuer une part de création monétaire aux européens, plutôt que de refinancer les banques privées comme en 2008 — cela ne relance pas l’économie réelle — ou de baisser les taux sous zéro — un suicide probable.

Mario Draghi, président de la BCE, a jugé lui-même cette idée « très intéressante » avant d’ajouter : « Nous n’avons pas encore vraiment étudié le concept ». Pourtant , son économiste en chef, Peter Praet, confirme que cette arme monétaire, appelée monnaie hélicoptère, figure bien dans l’arsenal de la BCE

Un QE4People montrerait que la création monétaire est encore pour une part un service public qui peut agir sur l’activité économique réelle — Des précédents en Australie et aux USA ont montré que cela est efficace. Il pourrait en outre déclencher une certaine prise de conscience sur le lien qui pourrait être tissé entre création monétaire et revenu de base — Voir ce que certains économistes déterrés en ont dit par le passé. 

Si tant est qu’il y ait une volonté politique de le faire, se pose la question de l’ajustement du montant et de la récurrence du QE4People. La situation est complexe en raison de l’opacité du système financier. Tant que l’on ne disposera pas d’une mesure comptable précise de la création monétaire bancaire réelle, et que l’on ne se sera pas résolu à en retirer une part aux banques privées, le QE4People restera bien loin d’un revenu de base digne ce ce nom.

Approche 2. Comptes des citoyens à la Banque centrale

Si elle n’est pas traitée à l’échelle européenne, l’instabilité politique que nous vivons actuellement, à laquelle n’est pas étranger le mode de création monétaire incontrôlé et inéquitable, pourrait conduire à un repli des États sur eux-mêmes.

La Suisse, connue pour son indépendance, donne le ton. L’Initiative Monnaie Pleine propose que la création monétaire légale de la Banque Nationale de Suisse (BNS) soit donnée sans dette, soit à la confédération, soit aux cantons, soit directement aux citoyens. Par ailleurs, il est aussi question que chaque citoyen détienne par l’intermédiaire de sa banque un compte de titres monétaires de la BNS, comme cela se pratique déjà sous d’autres latitudes, par exemple en République de l’Équateur. Dans ce cas de figure, les banques commerciales deviendraient de simples prestataires de services financiers auxquels la création monétaire à l’effigie de monnaie centrale serait interdite. 

Ce modèle, qui s’apparente à un QE4People récurrent et à l’échelle d’un État, doublé d’une réforme de la fonction bancaire, pourrait inspirer d’autres pays voulant se démarquer de l’Union Européenne. En 2015, la Banque Centrale d’Angleterre s’est proposée d’étudier ce type de mesure et d’émettre une monnaie digitale spécifique pour la mettre œuvre, (voir ici, page32). Le mouvement Positive Money a publié un rapport sur ce sujet qui inspire aujourd’hui le gouvernement néerlandais.

Notons qu’il se pose dans ce cas le même problème que dans le QE4People. À savoir celui du calcul de la création monétaire nécessaire et suffisante pour assurer un revenu de base. Il se pose aussi la question de l’harmonisation entre les différents pays de leurs créations monétaires respectives, tout comme elle se pose aussi dans le cas précédent entre l’Europe et le reste du monde.

Approche 3. Réseau distribué de création monétaire

Cette initiative citoyenne d’intérêt public présente une approche à la fois théorique et pratique. Du point de vue théorique, elle répond (entre autres) à une objection courante : « Comment fixer une création monétaire qui ne dépende pas de l’arbitraire du pouvoir et des aléas politiques conduisant probablement à exploser la masse monétaire et à créer une inflation hors de contrôle, ou bien l’inverse : une implosion et une déflation ? ».

La réponse, ce sont les maths. En effet, une théorie existe. Elle s’appelle la Théorie Relative de la Monnaie (TRM) due à Stéphane Laborde (initialement un ingénieur Télécom). La TRM rejoint les travaux de l’économiste Yoland Bresson sur la valeur temps. Elle permet de calculer le montant d’un dividende universel en fonction de l’espérance de vie moyenne des individus, de la masse monétaire, et du nombre de personnes dans la communauté monétaire, afin que la création monétaire soit égalitaire et ne privilégie pas les membres de la communauté actuelle au détriment de ceux des générations à venir. Stéphane Laborde qualifie cette co-création monétaire de « symétrique dans le temps et dans l’espace ». 

La meilleure implémentation pratique d’un réseau distribué de création monétaire est à ce jour le générateur de monnaies libres appelé Ucoin, fonctionnant selon les principes de la TRM et utilisant les technologies blockchain et Web of Trust (WoT).

Chacun peut d’ores et déjà tester Ucoin. Une première mise en œuvre à l’échelle d’un territoire vient d’être lancée en Mayenne. Ucoin est bien entendu un logiciel libre. Pour le moment, à notre connaissance, il n’existe pas dans le monde d’équivalent aussi abouti.

Approche 4. Protocole monétaire entre banques individuelles

L’initiative citoyenne d’intérêt public baptisée Système Monétaire Équilibré (SME), initie l’idée selon laquelle la notion de monnaie deviendrait obsolète au profit de celle de protocole. Elle est complémentaire d’autres idées que l’ont trouve entre autres ici et dans le monde académique.

Le SME propose de créer une coopérative de banques individuelles. Il s’agit d’une organisation non centralisée, mettant en place un protocole comptable générique, permettant à chaque citoyen de se créer un compte de paiement électronique. Ce compte libérerait régulièrement une avance monétaire personnelle mathématiquement équivalente pour tous, quels que soient les choix libres et indépendants que chacun fait pour les paramètres de sa propre comptabilité individuelle. Une part de cette avance individuelle serait renouvelée naturellement pour permettre à chacun de disposer du minimum de biens et de services nécessaires pour vivre — c’est la fonction revenu de base. Une autre part serait consacrée au financement participatif selon les désirs des individus afin de faire exister des projets communs. Cette organisation ne serait donc pas une banque, mais une coopérative organisant l’émergence de banques individuelles. Chacun, équipé d’un logiciel ad-hoc, deviendrait son propre banquier, teneur de son propre compte de paiement, créateur de sa propre part d’unités de compte monétaires, part identique à celle mise en oeuvre par tout autre citoyen.

L’avancée conceptuelle du SME est qu’il s’agit d’un système distribué d’enregistrement des flux économiques, dans lequel les unités de mesure n’ont pas plus de valeur que les degrés Celsius ou les centimètres. Ainsi disparaîtraient l’illusion de la monnaie-bien qui laisse accroire que des unités de mesure puissent être crées ou prêtées, et donc l’escroquerie de l’achat de devises (on ne paie pas en degrés Celsius pour obtenir des centimètres).

En application du travail théorique réalisé, une démonstration pratique du SME est en développement. Les membres du MFRB qui souhaiteront la tester seront bientôt invités à se manifester. Des liens et documents seront prochainement communiqués.

Alors, combien ?

Combien ? Telle est la question, simple, que posent souvent en premier lieu ceux qui découvrent l’idée du revenu de base. Les différentes approches d’un revenu de base par création monétaire n’offrent pas de réponse simpliste. Elles sont au contraire de nature à faire réfléchir car elles remettent en cause nombre de nos préjugés et de nos illusions sur la monnaie et sur l’économie.

Selon l’approche 1, « si l’argent créé à travers le QE était plutôt réparti entre tous les habitants de la zone euro, chaque citoyen pourrait recevoir jusqu’à 175 euros par mois », calcule le mouvement QE4people. On le voit, cette somme est relative au QE classique que pratique régulièrement la BCE dans la conjoncture actuelle. Elle est donc dépendante de l’évolution de cette conjoncture. Avec l’approche 2, il semble impossible d’évoquer un chiffre pour la même raison, d’autant que le calcul devrait se faire pays par pays. 

Pour ce qui est des approches 3 et 4, on peut tenter avec beaucoup de prudence quelques calculs en appliquant leurs cadres conceptuels respectifs à la zone Euro telle qu’elle est aujourd’hui. Cet exercice n’a qu’une portée limitée car le monde monétaire sur lequel il se base comprend une part invisible et il est en transformation à vitesse grand V. Par ailleurs, ces approches ne sont en rien équivalentes aux approches 1 et 2, notamment en terme de pouvoir citoyen, et donc de société.

Selon l’approche 3, en s’en tenant aux données officielles de la BCE – sous réserve qu’elles reflètent l’entièreté de la création monétaire, ce dont on peut douter – il est possible de calculer grâce à la TRM, le montant théorique que devrait prendre le dividende universel dans la zone Euro : 559 € par mois pour chaque européen, inconditionnel et cumulable avec les autres revenus. Cela correspond en gros au montant du RSA tel qu’il est attribué de manière conditionnelle en France. Si les données de la BCE sont sous-estimées – on ne sait pas dans quelle proportion –, ce serait un montant encore supérieur. Mais encore une fois, cela n’a un sens que relatif.

L’approche 4 part du besoin : combien faut-il pour vivre chaque mois ? Le seuil de pauvreté à 60% du revenu médian donne une bonne indication. C’est environ 900 € par mois actuellement en France, ou 2200 F. en Suisse, par exemple. Ce seuil est relatif aux prix observés dans chaque lieu. Selon le protocole SME, ce montant est la base de l’échelle de mesure que chacun est libre de choisir, et à laquelle toute autre grandeur comptable est relative. Le protocole du SME assure mathématiquement que chacun dispose du montant de l’échelle pour vivre chaque mois, sachant que chacun est libre d’ajuster tous ses paramètres comptables relativement à sa situation personnelle et indépendamment des choix des autres, tout en maintenant la réciprocité, c’est-à-dire sans léser personne ni se léser soi-même.

Comment ?

Pour conclure, tentons de formuler une hypothèse concernant l’évolution à court, moyen et long terme. Comment les approches introduites ci-dessus peuvent-elles se développer ?

En suivant l’approche 1, il semble difficile d’imaginer que la BCE fasse soudainement autre chose que ce qu’elle a toujours fait, à savoir lâcher du lest par petites touches de centaines de milliards d’Euros créés ex-nihilo, pour faire surnager le système au gré des aléas. Cette approche du revenu de base par création monétaire pourrait donc, sans doute, se mettre en place par bricolages politiques successifs. Le QE4people n’est d’ailleurs pas le seul à réclamer de la création monétaire. Il pourrait y avoir ensuite un Green-QE pour la transition énergétique, voire d’autres encore pour telle ou telle cause désespérée – un jour peut-être pour le démantèlement des centrales nucléaires ? 

Si le QE4people et les autres QE pouvaient contribuer à la création d’un revenu de base et servir à réparer les maux légués par le XXe siècle, pourquoi pas ? Mais cette démarche à l’échelle européenne résistera-t-elle aux incessants conflits de légitimité et de souveraineté qui pourraient conduire au repli des nations sur elles-mêmes ? Résistera-t-elle aux nations qui se proposent en gros de faire la même chose (selon l’approche 2) de manière disparate et à plus petite échelle ? 

Enfin, combien de temps durera cette vieille ingénierie financière et les dogmes dont elle est le véhicule, face au rouleau compresseur technologique ? Toute prévision semble futile. Néanmoins, comme le souligne Joi Ito (MIT), Bitcoin, le logiciel libre qui défraie la chronique depuis quelques années, et ses variantes, ne sont pas mûrs, moins pour des raisons techniques que de gouvernance. Ils sécrètent de nouveaux pouvoirs placés entre des mains qui n’ont a priori aucune légitimité pour les exercer. Les banques traditionnelles pourraient en faire les frais. Selon certains analystes, elles pourraient même perdre à terme 95% de leur activité. Le pouvoir serait ainsi confisqué entre de nouvelles mains qui ne sont a priori pas plus légitimes que celles de leurs prédécesseurs. 

Qu’en est-il des approches 3 et 4 ?

Au contraire de ce qu’entreprennent les Institutions, les banques et les nouveaux acteurs des technologies financières (FinTech), ces initiatives citoyennes d’intérêt public se préoccupent avant tout d’éthique, de légitimité, et de gouvernance. 

Tout le monde reconnaîtra qu’il s’agit là de bien belles idées mais bien peu jugeront qu’elles ont la moindre chance de s’imposer face aux logiques usuelles de profit et de pouvoir. Pourtant, nous pensons que cela sera le cas. En effet, dans le changement global de perspectives que nous traversons, de nombreux éléments laissent penser que la légitimité constitue un avantage évolutionnaire déterminant des systèmes d’information, qu’ils soient monétaires ou autres. 

Ces approches vous feront peut-être songer aussi à Bitcoin évoqué plus haut. Cependant, Bitcoin est à plusieurs égards un contre-exemple de ce qui est envisagé ici. Sa monnaie (le bitcoin) est intrinsèquement spéculative et n’inclut aucune idée d’inconditionnalité. Au contraire, les derniers entrants paient plus cher que les premiers. Néanmoins, Bitcoin a le mérite de montrer qu’une forme de comptabilité distribuée est possible, sans tricheurs qui se créeraient des unités de compte de manière cachée.

Selon nous, la vulgarisation de ce type de logiciel devrait rendre légitime une discussion politique approfondie sur les systèmes monétaires possibles. On finirait par reconnaître que l’unité de compte monétaire n’est pas un bien comme le veut le dogme de la monnaie-bien, mais seulement l’enregistrement d’un flux. La notion même de monnaie serait dépassée par celle de protocole, et le protocole monétaire en question pourrait devenir un jour une propriété intellectuelle faisant partie des communs !

Comme Bitcoin l’a montré, il n’est nul besoin d’attendre l’aval d’une Haute Autorité pour commencer à les construire. Et, à la différence de Bitcoin, ces initiatives citoyennes n’ont aucun caractère clandestin ou spéculatif. Elles entendent rester ouvertes et transparentes, et coopérer entre elles autant qu’il est possible. 

Un jour qui sait, si les acteurs se parlent et si naît enfin un débat éclairé n’excluant personne, toutes ces approches doivent pouvoir se rencontrer pour trouver une formule réaliste, positive et durable du revenu de base et de la création monétaire.


Image : L.L. de Mars, Copyleft.