Benoît Lavenier vit en Mayenne. Il est porteur du projet du Sou, une monnaie libre locale en cours de développement basée sur la Théorie relative de la Monnaie (TRM) de Stéphane Laborde. Carole Fabre, membre fondatrice du MFRB, l’a rencontré. Entretien.
Bonjour Benoît, peux-tu présenter brièvement ton parcours et comment tu es arrivé à vouloir créer une monnaie libre en Mayenne ?
J’ai toujours été dans l’incompréhension face au concept de « chômage ». Petit, je voyais déjà les ressources présentes, les besoins, et ne comprenais pas qu’il puisse y avoir des gens au chômage. Jusqu’à ce que je découvre par hasard une vidéo d’Etienne Chouard avec Myret Zaki. Comprendre ainsi le rôle de la monnaie a tout éclairé. C’était en juillet 2012. En août, j’entrais dans un SEL (Système d’Échange Local) près de chez moi. En octobre, nous fondions un collectif visant à créer une monnaie alternative – Le collectif Monnaie Mayenne – avec des membres des Villes en transition.
Avec les membres du collectif, nous avons beaucoup lu sur le sujet des monnaies : les monnaies locales complémentaires (MLC), les travaux de Bernard Lietaer, etc. Nous avons fait venir deux fois Philippe Derudder pour des conférences, participer aux rencontres nationales des MLC, etc. Mais renoncer à la création monétaire et à ses possibilités ne nous satisfaisait pas. Nous avons donc mis le collectif en stand-by le temps de mûrir tout ça… Nous ne voulions pas dépenser autant d’effort pour une solution non viable, non satisfaisante d’un point de vue éthique. Trop de concessions sur le sens de la démarche n’étaient pas envisageables pour nous.
Qu’est-ce qui t’as le plus marqué quand tu as découvert la Théorie Relative de la Monnaie de Stéphane Laborde ?
En 2014, j’ai vu une première vidéo sur les monnaies libres de Stéphane Laborde. Je n’ai d’abord pas compris. Cela me paraissait trop technique, loin d’une démarche éthique et pas assez pédagogue pour moi. J’ai continué de chercher, avant d’y revenir et de commencer à échanger par Internet avec Stéphane et Cédric Moreau. Ce qui m’a beaucoup plu dans cette théorie, c’est la vision à long terme, minimaliste, applicable sans avoir à attendre que tout le monde soit d’accord.
En juin 2015, je me suis décidé à venir aux 5e Rencontres des Monnaies Libres, à Montreuil, où j’ai pu jouer au jeu de La Corbeille, appelé maintenant Ğeconomicus. Les blocages que j’avais, notamment vis à vis de la masse monétaire en croissance continuelle, ont pu être levés. Il m’a fallu du temps, mais je ne voulais pas me lancer avant d’avoir bien compris l’ensemble.
Le fonctionnement de la création monétaire par revenu de base – appelé Dividende Universel (D.U.) dans les monnaies libres – m’a semblé une solution élégante, à la fois simple, juste entre les membres, aujourd’hui et pour les générations futures. Un autre effet notable est d’intégrer une sorte de redistribution, des plus riches vers les plus pauvres, mais sans la sensation négative d’imposition. Ce n’est pas non plus une fonte, comme cela est mise en œuvre dans la plupart des MLC, qui est compliquée à organiser et à faire comprendre aux usagers, mais plutôt une convergence passive vers la moyenne – cf ce diagramme.
Et donc, début 2015, nous avons pris la décision de relancer le collectif, en organisant un jeu Ğeconomicus. Nous avons lancé une campagne de dons pour aider au lancement, et trouvé un nom à notre monnaie : le Sou. Toute la dynamique actuelle s’est mise en place : recrutement de 2 jeunes en alternance, nouveaux bénévoles, création de l’association Le Sou, conférences lors de festivals, etc.
Quelle a été ton engagement et ta participation au générateur de monnaies libres uCoin ?
À ma grande surprise, j’ai compris que mon métier d’informaticien pouvait être utile dans cette nouvelle passion pour une économie plus juste. Étant pragmatique par nature, j’ai donc commencé à développer sur les terminaux de paiement, en cherchant à faciliter la compréhension et l’utilisation pour le grand public et les professionnels. Les commerçants par exemple ont des contraintes très fortes : beaucoup de transactions, beaucoup de clients, peu de temps, en plus des exigences compatibles… Une première version de test, pour smartphone Android (uCoin App), a vu le jour mi-2015. Depuis, le travail continue pour d’autres types de téléphones (iOS, Windows Phone) avec une nouvelle application : Cesium. Un outil d’achat/vente en ligne est également en cours de développement, accompagné d’un annuaire particuliers/professionnels. Le champ d’application de tous ces outils sera d’abord local, par le Sou.
Venons-en au Sou. Comment comptes-tu commencer ?
Notre idée est de démarrer une monnaie libre de test auprès des professionnels, en octobre 2016, en utilisant le générateur uCoin. Même si la monnaie doit être au service de tous, les entreprises ont de fortes contraintes, en terme d’outils de paiement, dont il faut tenir compte en premier lieu. Des particuliers seront également sollicités, en moindre nombre, durant cette expérimentation. Pendant six mois, nous apporterons les modifications et améliorations demandées, avant d’ouvrir la communauté monétaire aux particuliers. Pour que la monnaie soit portée par un maximum d’acteurs, nous souhaitons atteindre mille inscrits.
Plusieurs questions d’un membre du MFRB, peux-tu y répondre ?
- Je suis sur Monnaie M depuis un certain temps et le but du revenu de base dans Monnaie M n’est pas de faire vivre les gens avec mais simplement de réduire le poids de la thésaurisation en limitant la concentration du capital. Avec 1 seul M par mois, on ne peut pas parler de revenu suffisant pour se passer de vendre des choses sur la plateforme, et donc de travailler pour gagner de l’argent. Le Sou intégrera-t-il un revenu de base suffisamment élevé pour garantir à tous ses utilisateurs un complément de revenus intéressant en parallèle des euros qu’ils utilisent ?
Il y a nécessairement une phase de transition avec l’utilisation de monnaies libres et non libres. Il s’agit d’opérer un changement de rapport à la monnaie, en revenant à un des fondements de la monnaie : la monnaie comme unité de mesure. Quand on décide d’utiliser une unité de mesure commune, par exemple le mètre, doit-on dire si un mètre sera suffisant pour mesure telle ou telle chose : une maison, ou une route, etc. À priori non. Il y a une différence entre l’unité de mesure (ici le mètre) et ce que l’on mesure avec (les maisons, les routes).
De même, lorsqu’une communauté choisit une unité pour mesurer des valeurs économiques, a‑t-elle besoin de savoir si l’unité de référence, le Dividende Universel, est suffisante pour mesurer ce qui sert à vivre durant un mois ? À priori non.
Le Dividende Universel n’est pas un revenu, mais simplement une source, décentralisée, de co-création de monnaies. Le montant initial importe en réalité assez peu. Pour le comprendre, j’invite vraiment à expérimenter en jouant à Ğeconomicus.
- Le fait de verser un revenu de base dans une monnaie libre locale impose-t-il obligatoirement d’adopter une monnaie exclusivement scripturale ? Et si oui, pourquoi ?
Passer par une monnaie numérique n’est pas obligatoire – on s’en aperçoit en jouant à Ğeconomicus. Une monnaie papier serait simplement beaucoup plus lourde à administrer : distribution du dividende, risque de fraudes et de corruptions, risque d’erreur dans le calcul de l’augmentation de la masse monétaire (de 10 % par an), etc. Un algorithme immuable et incorruptible, comme le permet la blockchain, automatise un travail fastidieux.
Par ailleurs, une monnaie à base numérique n’empêche pas la création de moyen de paiement papier, comme l’Euro aujourd’hui.
- Dans le cadre d’une monnaie libre locale, peut-on envisager le versement d’un revenu de base en utilisant la méthode de l’impôt négatif, pour éviter de faire gonfler la masse monétaire comme c’est le cas dans le modèle Monnaie M ?
Le fait que la masse monétaire augmente en permanence n’est pas un problème en soi, car sa croissance est connue et fixe – 10% par an. Utiliser le Dividende Universel pour fixer les prix, comme il suit lui aussi cette croissance, annule l’illusion de croissance perpétuelle. En d’autres termes, il suffit de diviser par le DU tous les montants manipulés (masse monétaire, prix, etc.). C’est parfois difficile à percevoir mais, effectivement, une augmentation infinie d’une quantité n’est pas un problème, dans la mesure où elle reste purement comptable. Une simple division fait disparaître le problème.
Dans notre projet du Sou, nous formons les entreprises et les particuliers à exprimer leur prix en fonction du DU. Par exemple, 0,01 DU de Sou pour tel objet, 10 DU de Sou pour tel autre. Après tout, on parle déjà de prix au kilo : quelle différence ?
Pour conclure, ta vision à long terme ?
De beaux changements sont en marche. Cela me plaît, d’autant qu’ils peuvent se faire sereinement et en douceur. Plus qu’une révolution, c’est pour moi davantage une transition vers un modèle plus durable.
Il me semble utile de s’appuyer sur des structures humaines existantes héritées du passé (entreprises, associations, institutions, etc.) quand cela est possible. Pour toute personne, le changement demande beaucoup d’énergie et confiance. Faire preuve de pédagogie, de patience et de douceur, est plus efficace, à mon sens, qu’un passage en force. Ceux qui voudront quitter doucement l’ancien paradigme économique pourront le faire doucement, à leur rythme : l’autre avantage des monnaies libres, c’est de pouvoir débuter sans attendre que tout le monde se décide, ou encore que la majorité tranche. Même un millier de membres, d’une communauté économique libre, offrira déjà une belle prospérité. Statistiquement, presque tous les métiers y seront déjà représentés. J’ai hâte de vivre ces dix prochaines années, pour en percevoir les premiers effets !
Avec le collectif qui lance le Sou, nous organisons la 7e Rencontre des Monnaies Libres à Laval, du 2 au 5 juin 2016 (toute l’info ici). On y parlera et expérimentera les monnaies libres. J’insiste notamment sur la participation au jeu Ğeconomicus qui aura lieu le samedi 4 juin. L’expérience a montré que beaucoup trouvent réponse à leurs questions en pratiquant ce jeu grâce auquel la Théorie Relative de la Monnaie devient très simple à appréhender. Vous êtes les bienvenus.
Photo : Benoît Lavenier – DR.
Croyez-vous que le gouvernement va vous laisser faire ?
Les monnaies complémentaires sont acceptées à condition d’avoir une valeur identique à l’euro et de devoir être achetées en euro.
Les monnaies alternatives des SEL sont acceptées à condition que les échanges ne soient pas professionnels.
Pour faire simple les politiciens veulent bien de ces monnaies à condition qu’elles soient presque inutiles…
Quid d’une monnaie libre ?
Bonjour, quelle drole de pensée, que de croire avant l’heure que nous sommes “empêcher” par l’Etat d’inventer de nouvelle voie !
Est-il seulement possible de légiférer AVANT qu’une innovation n’existe réellement ? A t’on pu interdir Internet ? ou le BitCoin ? Non, ces choses ont existées d’abord, avant les lois qui tentent (sans y parvenir) de les limiter. Nous sommes beaucoup plus libres que nous le coryons.
Nos limites sont avant tout dans nos têtes. Beaucoup de politiques veulent par ailleurs du changement ; La population veut aussi de nouvelles solutions. Peut-on arrêter une idée aussi forte que celle du revenu de base alliée à la technologie de la BlockChain ? …à chacun sa réponse. j’ai trouvé la mienne ! ;o)
Que proposez vous de votre côté (qui dépend de vous et pas des autres) ?
Et répondre sans attaquer, tu sais faire ?
@O “Et répondre sans attaquer, tu sais faire ?”
Semble être une question auto-contradictoire et donc parfaitement inutile.
Très bon article ! Une remarque : c’est Ğeconomicus avec un Ğ et pas un G, merci de corriger (copier/coller la lettre, ou bien étudier comment la frapper ici).
Merci pour cet article !