En 2015, le gouvernement finlandais a déclaré vouloir mettre en place un revenu universel, proposition qui a eu d’importantes retombées médiatiques en France et dans le monde. Le gouvernement de centre-droit, par le biais de l’organisme de sécurité sociale finlandaise Kela, est en train de mettre en place cette expérimentation de revenu de base, qui devrait démarrer début 2017. Faisons le point sur l’avancée du projet de revenu universel finlandais.

Les déclarations médiatiques qui ont eu lieu depuis l’hiver dernier ont conduit à penser qu’un revenu de base serait appliqué directement en Finlande : en réalité, rien n’a été acté concernant sa mise en place, mais un processus d’expérimentation a été mis en œuvre. Alors, quelle forme prendra l’expérience finlandaise ?

Cette expérimentation, qui devrait commencer début 2017, aurait une durée de deux ans. Elle serait financée par une enveloppe budgétaire de 20 millions d’euros, auxquels devraient s’ajouter une réallocation des minimas sociaux pour les personnes participant à l’expérience. Des groupes de tests régionaux et nationaux devraient être mis en place. L’expérience serait obligatoire pour les 2000 citoyens choisis aléatoirement pour faire partie de la population-test, pour éviter les biais de sélection, c’est-à-dire les cas où seules les personnes volontaires participeraient à l’expérience.

En mars dernier, l’organisme Kela avait remis un rapport préliminaire dans lequel il détaillait les différentes formes que pouvait prendre un revenu de base en Finlande. Ils en retenaient ainsi trois principales :

  • Un revenu de base « complet », dont le montant devrait être élevé (1000/1500 euros), car il remplacerait les assurances sociales (chômage, maladie, retraites). Si son montant était inférieur (800 euros par exemple), ce revenu de base ferait beaucoup de perdants parmi les personnes les moins aisées. Cette piste n’a pas été retenue pour l’expérience, le montant élevé posant notamment des questions de financement à très court terme compte-tenu du budget de 20 millions d’euros débloqué pour l’occasion.
  • Un revenu de base « partiel », dont le montant serait moins élevé, entre 550 et 600 euros par mois, qui remplacerait les minima sociaux mais garderait intacte la protection sociale assurantielle. Son montant devrait être au moins égal aux minima sociaux actuels, pour que les personnes bénéficiaires ne soient pas perdantes par rapport à leur situation précédente. C’est cette piste qui a été retenue comme point de départ de l’expérimentation finlandaise.
  • La troisième option était celle d’un impôt négatif, qui a été écartée par Kela et le gouvernement.

À ce stade, Kela a relevé plusieurs difficultés juridiques qu’il est intéressant de présenter, car elles sont proches des difficultés que pourrait connaître la France dans l’expérimentation d’un revenu de base. Ces difficultés, comme l’expliquent plusieurs chercheurs en lien avec Kela [1], sont de deux ordres :

  • Sur le plan constitutionnel, une expérience d’aussi grande importance pose une question essentielle : une expérimentation de redistribution aussi importante menace-t-elle l’égalité entre les citoyens prenant part à l’expérience et les autres ? Sur ce point, des expériences passées en Finlande ont montré que si la différence de traitement entre les deux groupes est raisonnable, que cette expérience est nécessaire pour améliorer les politiques publiques, que les résultats ne peuvent être obtenus par d’autres moyens, qu’elle est limitée dans le temps et qu’elle ne se fait pas au détriment des personnes participant à l’expérience, alors cette expérimentation a de fortes chances d’être considérée comme constitutionnelle. En France, la réforme constitutionnelle de mars 2003 et la loi sur les expérimentations d’août 2003 proposent un cadre pour le Parlement et les collectivités territoriales pour déroger au principe d’égalité devant la loi à titre expérimental, dans des conditions proches de la Finlande, ce qui permettrait la mise en place d’une expérimentation sous certaines conditions. Les collectivités locales peuvent également être à l’initiative d’expérimentations, même si celles-ci ne font pas forcément partie de leurs compétences.
  • Au niveau européen, la question du caractère exportable du revenu de base se pose, pour qu’il soit en conformité avec le droit européen. En clair, dans quelle mesure est-il possible de réserver le revenu de base aux seules personnes résidant sur le territoire, et non à celles qui décident par exemple de partir vivre à l’étranger ? La réponse dépend ici des aides sociales que ce revenu de base remplacerait. S’il venait à remplacer le chômage et une partie de la protection sociale assurantielle par exemple, ce revenu de base aurait de fortes chances d’être « exportable ». En revanche, si on se restreint à un revenu de base partiel ne remplaçant que les minimas sociaux et les éventuelles allocations logement, alors celui-ci pourrait se limiter aux personnes résidant sur le territoire.

Le gouvernement a également lancé une consultation à la fin du mois d’août, ce qui a relancé le débat médiatique sur l’expérience finlandaise. Le gouvernement souhaite ainsi présenter au Parlement cette proposition d’expérimentation, développée dans un projet de loi rendu public, pour qu’elle soit intégrée au budget 2017. Leur proposition actuelle, serait un revenu de base de 560 euros, déjà expérimenté sur les personnes de 25 à 58 ans, dont le but serait de lutter contre le chômage, en ciblant plus particulièrement les personnes actuellement bénéficiaires d’aides sociales.

Plusieurs personnes en Finlande, et notamment certains partis de gauche (Left Alliance), dénoncent le cadre trop restreint de cette proposition. En effet, celle-ci ne retient qu’un seul montant pour l’expérience, 560 euros, et ne réduit la population cible qu’aux chômeurs sans s’intéresser aux entrepreneurs, à une partie des travailleurs à temps partiel, aux étudiants, etc. Plusieurs raisons ont été avancées pour expliquer cela : la contrainte budgétaire de l’expérimentation, les délais pour soumettre le projet de loi au Parlement, les limites de la rupture d’égalité entre les citoyens, ainsi que des contraintes d’ordre technique et administratif. 

Rien n’a cependant été décidé de façon précise : suite à la consultation lancée par le gouvernement, le processus d’amendement du projet de loi débutera mi-septembre, et Kela doit remettre un rapport final à la mi-novembre qui déterminera le cadre précis de l’expérimentation. Rendez-vous dans trois mois pour découvrir les détails de l’expérience finlandaise !


[1].

Laura Kalliomaa-Puha, Anna-Kaisa Tuovinen, Olli Kangas, “The Basic Income Experiment in Finland”, Journal of Social Security Law, Issue 2, 2016

Illustration CC BY Sepi V.