Un livre réunissant des arguments contre le revenu universel est récemment paru chez Lux Éditeur. Pierre Madden en fait la revue dans un article publié sur le site du réseau mondial pour le revenu de base (BIEN).

Adaptation française : Fanny Vidalenche

Seth Ackerman, Mateo Alaluf, Jean-Marie Harribey, Daniel Zamora. Contre l’allocation universelle, Lux Éditeur. Kindle Edition, 2016

C’est un livre écrit par et pour les intellectuels français. Les notions hégéliennes et marxistes sont comme autant de points au baseball. Néanmoins, le message est clair et la raison de l’opposition vigoureuse au revenu de base (RDB) est claire. Certains des points qui invitent au scepticisme sont bien pris. Faire remonter les origines du revenu de base jusqu’à Thomas More et Thomas Paine est en fait un peu exagéré. Le même passage familier de More est toujours cité, mais en avez-vous jamais vu un autre ? Il s’agit ici d’un mythe a posteriori pour établir sa légitimité.

Pour ce groupe d’auteurs, le concept du RDB fait partie de l’idéologie néolibérale. « Le concept de RDB est lié à l’émergence du néolibéralisme tant dans sa réponse à la crise [dans la protection sociale d’après-guerre] que dans la conception de la justice sociale qu’elle incarne ». De plus, selon l’économiste Lionel Stoléru « l’économie de marché peut prendre en compte la lutte contre la pauvreté absolue » mais « elle est incapable de digérer des remèdes plus forts contre la pauvreté relative ». Cette dernière se réfère à l’inégalité des revenus plutôt qu’à la privation.

Le néolibéralisme s’oppose à la notion de droits sociaux. Un généreux RDB serait bien trop cher sans coupures dans les dépenses « collectives » telles que la sécurité sociale, l’éducation, les pensions publiques, la santé, etc. Les forces du marché remplaceraient l’idée et les institutions de justice sociale. L’« égalité des chances » défendue par le néolibéralisme conduirait à une société plus méritocratique, mais non moins injuste, prétendent les auteurs.

Ce n’est pas un secret que la richesse a augmenté de façon spectaculaire depuis les années 1970, mais que les riches en ont profité de manière disproportionnée. Le revenu de base est considéré par les auteurs comme un cheval de Troie au cœur de la Société Sociale, dont le but est de défaire tous les programmes sociaux développés au 20ème siècle avant l’avènement du néolibéralisme. Les partisans de la gauche libertaire soutiennent que le revenu de base serait le « chemin capitaliste vers le communisme », comme le dit Philippe Van Parijs lui-même. Le revenu de base est perçu comme une synthèse des utopies libérales et socialistes.

Une description des attitudes conflictuelles vis-à-vis du travail illustrera le mieux la divergence des approches. Le point de vue classique de gauche est que le travail d’un citoyen définit sa contribution à la société et tend à confondre travail et emploi. Il appartient à la société de valider l’effort de travail de chaque membre. Les auteurs affirment que les partisans du RDB refusent d’accepter l’idée que le travail peut être un facteur d’intégration sociale, de sorte que ceux-ci pensent que le plein emploi n’est pas un objectif utile. Au contraire, « l’utilité sociale d’une activité ne peut être établie comme valide a priori ; elle doit être soumise à l’approbation démocratique. »

Ce que l’approbation démocratique signifie dans la pratique n’est pas expliqué, mais alors les Suisses ont été invités à approuver un revenu de base avec peu de détails fournis et 23% ont voté en faveur.

Un autre argument en faveur du revenu de base est qu’il permettrait aux aidants naturels à domicile de prendre soin des jeunes, des malades et des personnes âgées. Les auteurs de ce livre refusent l’idée que ces activités sont valables au sens marxiste. Croire autrement, disent-ils, c’est « épouser des propositions néoclassiques omniprésentes dans la pseudoscience économique ». Certaines féministes s’opposent également au revenu de base parce qu’elles le voient comme un piège pour garder les femmes dans des rôles traditionnels.

Alors, est-ce que le revenu de base est en réalité un complot néolibéral pour détruire les protections sociales développées dans les années d’après-guerre par l’état social qui sont inextricablement liées à la force du travail ? Si ce n’est pas une conspiration, le revenu de base est présenté comme le point culminant de l’utopie du libre marché dans notre imagination collective néolibérale.

Les quatre écrivains de cet essai sont nostalgiques de temps plus cohérents :

Depuis Durkheim, la tradition sociologique considère que dans les sociétés développées, la division du travail et la spécialisation résultante des fonctions produisent une solidarité qui assure la cohésion sociale. L’affectation des personnes à des postes sociaux ne dépend pas seulement de leur propre volonté. Les forces sociales impersonnelles, le déterminisme, démentent les prétentions qui attribuent au mérite individuel seul les possibilités d’émancipation. Plus l’individu est autonome, plus il est tributaire de la société. Nous ne pouvons donc être que nous-mêmes, ancrés dans notre individualité, dans la mesure où nous sommes des êtres sociaux. »

Ce n’est plus le monde dans lequel nous vivons. Dans une économie de partage post-industrielle, nous sommes encore des êtres sociaux, mais l’emploi où le travail est opposé au capital ne nous définit plus. Les auteurs socialistes nostalgiques soupçonnent légitimement les objectifs néolibéraux de couper les programmes sociaux existants, mais ils ont une longue histoire et un large soutien. S’assurer que les bénéficiaires du revenu de base ne reçoivent pas moins qu’avant fait partie de toute discussion ou test sérieux du revenu de base. La vigilance est toujours appropriée, mais pas au point, comme on dit en français, de trébucher sur les fleurs tissées dans le tapis.

Biographie du critique : Pierre Madden est un dilettante zélateur basé à Montréal. Il a été un linguiste, un chimiste, un coordonnateur des achats, un planificateur de production et un avocat. Son intérêt pour le revenu de base est, dit-il, personnel. Il pourrait bien l’utiliser maintenant !