Réponse du Mouvement français pour un revenu de base à la tribune de Guillaume Allègre parue le 10 janvier 2018, Revenu universel : l’impossible expérimentation.
Le MFRB, qui œuvre depuis 2013 à l’instauration en France d’un revenu de base conforme à sa charte, répond à la tribune de Guillaume Allègre, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Celui-ci pointe l’impossibilité et l’ineffectivité de mener une expérimentation. Rappelant l’intérêt que peut représenter la mise en place d’expérimentations ciblées, nous proposons d’expérimenter un revenu de base au sein d’une communauté politique (une ville par exemple) pour en analyser les effets sociaux. Nous tenons également à souligner l’intérêt d’initiatives comme celle de l’association Mon Revenu de Base qui permettent de nourrir le débat public sur un sujet aux enjeux multiples. Enfin, nous tenons à proposer à M. Allègre et à toutes les personnes doutant de l’intérêt de lancer des expérimentations, de travailler avec nous à une solution politique de mise en place d’un revenu de base réellement universel, inconditionnel et individuel en France.
Le Mouvement français pour un revenu de base (MFRB) et ses membres réfléchissent et œuvrent pour l’instauration d’un revenu de base universel depuis 2013. Nous avons organisé plusieurs événements, publié de nombreux articles, mené des réflexions approfondies sur le sujet. Celles-ci ont été nourries au fil des mois par des rencontres entre militants, chercheurs, hommes et femmes politiques et organisations de la société civile intéressés par le sujet. Ce travail a été effectué dans l’optique de faire avancer une idée qui nous semble non seulement juste, mais capable de répondre à certaines problématiques sociales, économiques et politiques actuelles. Ces travaux ont mené notamment à la publication de trois ouvrages sur le sujet. Le dernier, publié en 2017 aux Editions du Détour, représente notre vision de ce qu’un revenu de base pourrait permettre de construire : Vers une société du choix.
Cette réflexion et l’étude des résultats d’expérimentations passées nous ont permis d’acquérir des savoirs et de développer un recul critique sur les biais inhérents à tout projet d’expérimentation d’une mesure aussi complexe. La limitation dans le temps, les sélections de bénéficiaires aléatoires ou parfois reposant sur le volontariat, et la non-inclusion des « contributeurs nets » (ceux qui verraient leur revenus diminuer à cause de l’imposition que supposerait un revenu de base) en font partie. De même que l’impossibilité de prévoir ce qu’il se produira aux niveaux macrosocial ou macroéconomique en cas de mise en place d’un revenu de base à l’échelle d’un État. Ayant conscience de ces limites, le MFRB apporte néanmoins son soutien aux initiatives expérimentales de revenu de base.
Une expérimentation, pour toutes les raisons pré-citées et pour d’autres encore, ne peut être parfaite. Avoir conscience de ces limites peut cependant permettre de les prendre en compte dans la mise en place et d’en tirer de riches enseignements. Ces derniers pourraient ainsi s’avérer essentiels dans le choix d’instaurer ou non un revenu de base universel pour tous les Français.
Les expérimentations ciblées
Une expérimentation sur un public ciblé, avec un choix effectué par tirage au sort, permettrait grâce à un groupe de contrôle de mettre en évidence l’impact de la mesure. Nous pourrions évaluer les possibles modifications de comportements vis-à-vis de l’emploi, des loisirs, de la famille, des aides sociales, de la consommation, ou plus simplement à la précarité et aux risques d’exclusion sociale.
Si le revenu de base est pensé comme un formidable outil d’émancipation et de choix pour tous les individus, il permet aussi d’améliorer la situation économique et sociale des personnes touchées par la pauvreté.
Certes, les expérimentations ciblées sur une catégorie de population semblent limitées pour une étude d’impact pertinente. Le choix des critères est de ce fait très important et permet de tirer plusieurs enseignements au niveau de l’expérimentation, mais aussi d’offrir de nouvelles perspectives à bon nombre d’individus. Par exemple, une expérimentation de revenu de base pour les agriculteurs, comme le MFRB le propose, pourrait ouvrir de nouvelles pistes de réflexion afin de répondre à plusieurs enjeux auxquels fait face le secteur agricole : lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale des travailleurs, aide à la transition vers des modèles de production plus durables et à l’installation de jeunes, etc. Il est à noter que la Confédération Paysanne défend actuellement la mise en place d’un « revenu paysan ».
Expérimenter à un niveau communautaire
Des expériences ciblées sont déjà en cours, notamment en Finlande avec un nombre de bénéficiaires limité à 2000 chômeurs tirés au sort sur l’ensemble du territoire finlandais. La France pourrait être réellement innovante et à la pointe de la recherche sur le sujet du revenu de base. Elle pourrait voir plus grand et tester un revenu de base universel, inconditionnel et individuel sur un « site de saturation ».
L’expérimentation la plus proche d’un véritable revenu de base, serait celle testée dans ce que la chercheuse Evelyn Forget appelle un « site de saturation » (saturation site). La saturation signifiant que toutes les personnes de la ville éligibles bénéficient du dispositif. Imaginons une communauté politique, soit par exemple une ville ou une communauté de communes de plusieurs milliers d’habitants (disons entre 5 000 et 20 000). Elle distribuerait à toute sa population, sans distinction un revenu de base universel sur une période relativement longue, entre trois et dix ans. Cette méthode permettrait de mieux évaluer les changements de comportements dans les diverses catégories de populations représentées.
Mais plus qu’une évaluation purement économique, cette expérimentation aurait l’avantage de mieux saisir le rôle du « multiplicateur social » que peut entraîner l’instauration d’un revenu de base. Cet effet a déjà été mis en exergue dans les travaux d’Evelyn Forget consacrés à l’expérimentation dénommée MINCOME, qui s’est tenue de 1974 à 1979 dans la ville de Dauphin au Canada (12 000 habitants). Ce « multiplicateur-social « permet à la chercheuse de conclure que l’effet positif d’un revenu de base dépasse les seules personnes qui le perçoivent, mais touche toutes les personnes de la communauté qui jouissent de la prospérité commune, du mieux-être, de la baisse des hospitalisations, de la fin de la culpabilité de recevoir des aides sociales.
Ainsi, comme le dit Guy Standing à propos de l’expérimentation du Madhya Pradesh en Inde, « le tout est plus grand que la somme des parties ».
Ce type d’expérimentation permettrait de saisir les implications sociales que produirait l’instauration d’un revenu de base à l’échelle communautaire.
Nous ne pouvons qu’encourager les personnes s’intéressant au revenu de base d’entreprendre une expérimentation comme celle-ci, ce qui ferait de la France, un pays qui a souvent été précurseur en termes d’avancées sociales.
Créer le cadre du débat
Les expérimentations, en plus des informations qu’elles peuvent nous donner, ont également un intérêt très important pour la démocratie dans laquelle nous vivons. Elles permettent de nourrir le débat public sur une mesure qui changerait beaucoup de choses dans le quotidien du pays qui la mettrait en application. Ces discussions et confrontations d’opinions sont très importantes dans le processus démocratique, car elles permettent aux citoyens et aux décideurs de se forger une opinion sur un sujet. Celles-ci ne peuvent que s’enrichir de données (si imparfaites soient-elles) récoltées dans le cadre d’une expérimentation.
L’enjeu peut être également, grâce aux résultats d’une expérimentation, de faire percevoir l’impôt qui financerait un revenu de base comme un investissement qui profiterait à l’ensemble de la communauté plutôt que comme une charge reposant sur les plus privilégiés. Une initiative citoyenne comme Mon Revenu de Base permet de créer les conditions de ce débat et, ainsi, de mettre à l’agenda politique et médiatique une mesure qui aurait peut-être été oubliée par nos dirigeants, après le bref éclat en 2017.
Si les expérimentations sont inutiles… mettons en place un revenu de base inconditionnel, universel et individuel.
Monsieur Allègre, si une expérimentation de revenu de base, quelle que soit sa forme, ne sera jamais satisfaisante… Alors pourquoi ne pas faire un choix politique fort et élaborer un plan de mise en place progressive d’un revenu de base pour tous les Français ? Celui-ci pourrait commencer par une automatisation et une individualisation du RSA, son élargissement aux 18 – 25 ans, ou encore par le versement d’un revenu garanti à tous les agriculteurs, ou autres groupes choisis. Cela jusqu’à ce qu’en cinq, dix ou quinze ans, toutes les personnes éligibles touchent de leur naissance à leur mort ce revenu. Nous pourrons alors certainement évaluer la multitude d’effets sur la société que produirait un revenu de base. Mais mieux encore, nous pourrions envisager un véritable chantier pour mettre en place dès à présent un revenu distribué à l’ensemble de la population française, sans condition et sans exigence de contrepartie.
Faisons le pari ambitieux qu’un revenu de base peut permettre d’apporter une réponse aux problématiques de pauvreté, d’évolution de l’emploi et de recherche de liberté réelle pour tous les individus.
Le Mouvement français pour un revenu de base se tient à la disposition de toutes les personnes intéressées par un tel projet, que cela passe par une expérimentation ou que nous décidions d’établir dès aujourd’hui un plan de mise en place progressive ou directe de revenu de base. Nous sommes fermement convaincus des multiples bienfaits que celui-ci pourrait apporter. Nous sommes prêts à faire des propositions pour concrétiser ce projet, et nous poursuivrons notre travail de sensibilisation, de recherche et de plaidoyer jusqu’à la mise en place d’un revenu de base inconditionnel versé à tous les citoyens.
Un article de Clément Cayol, pour le Mouvement français pour un revenu de base
Je pense qu’il ne faut pas tester que le revenu de base. Il faut normalement tester l’ensemble du dispositif comprenant un prélèvement en particulier capable de financer le revenu de base. Ainsi testons par exemple une grande CSG de l’ordre de 45 à 50% remplaçant les cotisations non contributives et l’impôt sur le revenu pour environ la moitié des recettes et finançant le RSA socle pour tous les adultes et entre 200 et 300 euros par enfant pour l’autre moitié des recettes, en supprimant dans le même temps la plupart des allocations (il resterait disons une AAH plus petite et une fourniture de logement à loyer adapté). Regardons en particulier quels sont les perdants, quels sont les gagnants et comment on peut basculer du système actuel vers ce système sans faire hurler personne et à déficit public constant. L’erreur de raisonnement vient en effet du fait qu’on semble raisonner “toutes choses égales par ailleurs” or il est bien évident que tout change avec le revenu de base…
Pour compléter l’article et faire une proposition d’expérimentation au niveau d’une communauté j’ai écrit un papier sur ce sujet : http://alternative21.blog.lemonde.fr/2017/12/01/suggestions-aux-presidents-de-departement-pour-une-experimentation-du-revenu-universel/
“Mais mieux encore, nous pourrions envisager un véritable chantier pour mettre en place dès à présent un revenu distribué à l’ensemble de la population française, sans condition et sans exigence de contrepartie.”
Bonne idée ! Ce serait plus productif que perdre du temps et de l’énergie avec des expérimentations dont on ne peut espérer aucun retour.