Article original traduit par Corentin Blanco, membre du Mouvement français pour un revenu de base (MFRB).

En résumé :

  • Une expérience de 12 ans sur le revenu de base au Kenya montre que les gens dépensent généralement leur argent pour acheter des produits de première nécessité.
  • Contrairement aux mythes répandus, les gens ne semblent pas travailler moins ou de dilapider son argent à mauvais escient.
  • Des recherches plus poussées permettront éventuellement de déterminer si ces résultats initiaux constituent une anomalie ou s’il s’agit de l’expérience typique d’une personne touchant un revenu de base.

Maurice Owiti a 47 ans et travaille comme soignant dans un village rural kenyan. Dans une communauté pauvre comme la sienne, Owiti a la chance d’avoir un emploi. Cependant, il devait constamment faire des sacrifices pour réunir chaque mois les 20$ nécessaires afin de payer les frais de scolarité de son fils.

Or, à la fin de l’année 2016, un organisme de bienfaisance appelé GiveDirectly s’est présenté et a annoncé à Owiti et à des dizaines d’autres résidents qu’ils recevraient 22$ par mois pendant les 12 prochaines années. GiveDirectly est une plateforme philanthrope permettant à un donateur d’envoyer de l’argent à des familles touchées par l’extrême pauvreté dans des pays en développement. Ainsi cette organisation a pu mettre en place une expérimentation sur le revenu de base, un système qui consiste à donner aux gens un revenu sans condition, juste parce qu’ils sont en vie.

Comme le revenu de base est de plus en plus envisagé comme un moyen efficace pour réduire la pauvreté, les gens ont commencé à spéculer sur la façon dont il pourrait se manifester à grande échelle.La mesure inciterait-elle les gens à travailler plus ou moins ? Est-ce qu’ils dépenseraient tout l’argent immédiatement ? D’où viendraient les fonds ? Cette expérimentation à grande échelle – l’une des plus importantes jamais conçues – nous apportera à coup sûr de nombreuses réponses.

La principale idée reçue sur le revenu de base déjà démontée

Au cours des 13 mois qui se sont écoulés depuis que GiveDirectly a commencé son expérience, Owiti et ses collègues villageois ont doucement et tranquillement réfuté l’idée erronée la plus répandue au sujet du revenu de base, à savoir que les gens qui reçoivent de l’argent sans contrepartie cesseront de travailler et gaspilleront l’argent sur des vices comme le jeu, la drogue ou l’alcool.

Des preuves anecdotiques et presque toutes les recherches empiriques ont montré que les transferts monétaires inconditionnels aident les gens à améliorer leurs conditions de vie. Les bénéficiaires utilisent souvent ce revenu pour payer les frais de scolarité de leurs enfants, acheter des médicaments, réparer leur maison et investir dans leur petite entreprise pour accroître leur richesse. Alors que certains utilisent l’argent pour des « biens de la tentation », la majorité des bénéficiaires défient le stéréotype selon lequel les personnes pauvres seraient moins responsables que les autres et dépenseraient cet argent à mauvais escient. 

« Si cet argent devait être donné à tout le monde, ce serait une très bonne chose », a déclaré Edwin Odongo Anyango, un bénéficiaire de 30 ans au Kenya. Anyango gagne de l’argent principalement grâce au travail manuel.

Il a confié que l’argent du revenu de base lui a permis d’acheter du lait sur une base plus régulière et de payer les frais de scolarité de son enfant. Sa femme, également bénéficiaire, a investi l’argent dans son entreprise de vente de vêtements d’occasion. Pour Anyango, « cet argent crée de l’espoir, et quand les gens ont de l’espoir, ils sont heureux. »

Caroline Teti, la directrice de GiveDirectly sur place, travaille avec les villageois sur une base quasi-quotidienne pour s’assurer que l’expérience se déroule bien. L’étude s’est étendue pour inclure des dizaines de villages et des milliers d’autres personnes à la mi-novembre, mais ‚jusqu’à présent, Teti n’a observé que quelques personnes qui semblent abuser de l’argent.

Même ceux-là, a‑t-elle dit, ont tendance à partager l’argent entre les achats pratiques et les petits plaisirs. « Les gens ont des besoins », selon Teti. « Surtout dans les communautés pauvres comme celle-ci, si elles ont un revenu de base, il sert directement à satisfaire leurs besoins. »

Les abus se font extrêmement rares

Des recherches ont révélé que les dépenses des gens pour l’alcool et les cigarettes ont en fait diminué lorsqu’ils ont reçu des transferts monétaires directs. Face à un avenir plus prometteur, de nombreuses personnes cessent d’utiliser des « biens de la tentation » pour faire face à une situation désespérée, ont découvert les chercheurs. Dans le village avec lequel GiveDirectly travaille, des entrevues poussées avec près d’une douzaine de bénéficiaires ont montré que la plupart des gens ont travaillé davantage depuis le début de l’étude.

Avec seulement an de recul nous pouvons difficilement tirer de grandes conclusions. Il est encore possible que de prochaines études démontrent que les bénéficiaires de GiveDirectly ont utilisé leur argent sur des vices après avoir couvert leurs besoins de base. Mais jusqu’à présent, les résultats sont encourageants. Quand on donne aux gens dans le besoin les moyens d’améliorer leur vie, c’est de cette façon qu’est utilisé l’argent.

Pour aller plus loin :

  • Arte, Kenya : les pionniers du revenu universel, 24mn, 2017
  • Participer aux actions du Mouvement français pour un revenu de base et lancer des expérimentations en France : https://www.revenudebase.info/adherer

Photo : Chris Weller/Business Insider