Pourquoi ne pas profiter des fêtes de fin d’année pour faire découvrir le revenu de base à vos proches ? Une version enrichie d’Un revenu pour tous ! de Baptiste Mylondo, vient d’être publiée aux éditions Utopia. Dans Un revenu sans condition, l’auteur réaffirme l’ancrage à gauche du revenu de base qu’il défend, il en précise la philosophie et revient sur les questions de montant et de financement. Un cadeau à la fois utile et abordable par les temps qui courent 😉
Ce dernier livre est en fait une nouvelle édition, plus complète d’un livre que vous avez déjà publié sur le sujet. Qu’apporte en plus cette “version enrichie” ?
Seule une petite partie de l’édition initiale est reprise dans cette nouvelle édition. Depuis la publication de la première édition j’ai eu l’occasion de faire plusieurs conférences et de participer à de nombreux débats. Ces échanges ont enrichi ma réflexion et parfois fait évoluer ma position, sur la question du montant et du financement par exemple. C’est de cette évolution que je voulais rendre compte dans cette nouvelle édition. Sans renier pour autant mes précédents écrits, il ne m’aurait pas semblé cohérent de rééditer Un revenu pour tous ! en l’état.
Plusieurs points me semblaient mériter des approfondissements ou des développements. D’abord, je souhaitais insister sur l’ancrage à gauche du revenu inconditionnel que je défends. L’existence d’une version de droite empêche souvent des militants de gauche de réfléchir sereinement à cette idée et offre des arguments trop faciles aux opposants de gauche du revenu inconditionnel. C’est pour cela qu’il convient de rappeler qu’une version de gauche existe et que c’est de celle-là que nous devons débattre à gauche.
Je voulais également souligner l’objectif de sortie du capitalisme qui accompagne cette approche, en développant (encore trop sommairement sans doute) la question de la monnaie, de la marchandisation et de la gratuité, mais aussi en questionnant les propositions alternatives comme le “salaire à vie” défendu par le Réseau salariat par exemple, en plus du retour au plein emploi déjà abordé dans la première édition.
Enfin, dans cette réédition, je mets également en débat deux réponses à des questions ou objections qui reviennent fréquemment dans les discussions autour du revenu inconditionnel : la question des profiteurs, et celle de l’immigration. Il s’agit d’objections pénibles, mais auxquelles les partisans de l’inconditionnalité se doivent de répondre, inlassablement…
Comment la situation a‑t-elle évolué depuis la parution de la première version ? L’idée du revenu universel progresse-t-elle ?
Depuis la publication de la première édition, en 2010, une élection présidentielle est passée. Cela aurait pu être un moment crucial pour le revenu inconditionnel en France, notamment après l’étonnante (et opportuniste) adhésion de Dominique de Villepin à cette idée. Avec Christine Boutin et surtout Éva Joly, le revenu inconditionnel aurait pu faire l’objet d’un véritable débat opposant versions de droite et de gauche et obligeant chaque parti à se positionner.
Malheureusement, pour des rasions diverses, aucun candidat n’a finalement défendu cette idée. Malgré tout, un débat sur cette question semble inévitable dans la plupart des partis de gauche (EELV, Parti de Gauche et Front de Gauche dans son ensemble, voire au sein du Parti socialiste…).
Au-delà, la perspective d’initiative citoyenne au niveau européen pourrait permettre de médiatiser davantage le revenu inconditionnel et la formalisation d’un réseau national qui manque encore cruellement en France pourrait également y contribuer.
Où en est la gauche sur le revenu universel ?
Elle avance, timidement. EELV, parti qui défend depuis longtemps le revenu inconditionnel, n’a pas osé l’inscrire dans son programme pour les présidentielles, dans un souci de « réalisme ». Comme si le revenu inconditionnel n’était pas une proposition réaliste !
Ensuite, les verts n’ont pas jugé utile d’inscrire cette mesure dans leur programme pour les législatives… Le mouvement transparti Utopia (dont la maison d’édition publie mon livre) continue à militer, y compris au sein du PS, pour l’instauration d’un revenu inconditionnel.
Malheureusement, cette mesure, jugée secondaire ou trop lointaine, disparaît systématiquement des revendications lors des accords politiques et des motions communes. Enfin, en ce qui concerne le Front de gauche, le revenu inconditionnel y est en débat, mais aucune position n’a encore été arrêtée.
La marge de progression est donc considérable à gauche, pour que les partis acceptent l’idée même d’un revenu inconditionnel et assument leur engagement lors des campagnes électorales.
Mais finalement, si l’idée de revenu inconditionnel doit avancer à gauche, c’est surtout du côté des syndicats, qui restent au mieux indifférents à cette idée et qui lui sont plus souvent ouvertement hostiles.
Que manque-t-il pour que le débat sur le revenu de base éclose en France ?
Quelques relais influents dans les milieux politiques et intellectuels. Si nous disposions de tels soutiens, nos opposants ne pourraient plus balayer le revenu inconditionnel d’un revers de main en le jugeant utopique, et les nombreux citoyens séduits par cette idée pourraient s’autoriser à y croire.
Le collectif a été créé suite à la médiatisation du « revenu citoyen » proposé par Dominique de Villepin, début 2011. Il est né de l’initiative de militants de gauche, d’horizons divers (PG, EELV, objecteurs de croissance, Utopia, etc.), souhaitant défendre une version de gauche du revenu inconditionnel. Pour l’heure, notre action est surtout intellectuelle et éditoriale. Nous avons organisé un colloque en mars 2012 à Montreuil, participé à plusieurs universités d’été, et nous coordonnons un dossier sur le revenu inconditionnel pour la revue Mouvements.
Nous sommes également porteurs d’un projet ambitieux d’expérimentation du revenu inconditionnel mais nous manquons encore de soutiens politiques fermes.
Comment analysez-vous, d’un point de vue éthique, la redistribution des richesses par la contrainte ?
La question est étrange. Pour y répondre, il faut revenir sur la notion de contrainte, puis s’attarder sur celle de « redistribution ». D’abord, où commence la contrainte ? La répartition des richesses est le fruit d’un rapport de force, de la confrontation de volontés aux visées souvent antagonistes. La contrainte est donc toujours présente, et tout l’enjeu politique est de définir les règles qui l’encadrent et d’appréhender cette question avec un souci de justice sociale. Il convient alors de se poser au moins deux questions : Dans une société démocratique, peut-on supporter l’existence d’îlots de pauvreté ? Dans une société démocratique, quelle est l’ampleur des inégalités de revenu que l’on peut accepter.
Je crois qu’une société démocratique et qui entend le rester doit s’efforcer d’éradiquer la pauvreté et de limiter strictement les inégalités économiques en adoptant, s’il le faut, des mesures d’encadrement des rémunérations et de redistribution des richesses. Ceci dit, le revenu inconditionnel que je défends n’entre pas dans une logique de « redistribution » des richesses, mais bien de « répartition » des richesses. Il ne s’agit pas de redistribuer une part des revenus perçus, dans une logique de solidarité voire de charité, mais de répartir équitablement l’ensemble des richesses produites au nom de la contribution de tous à leur production.
Il n’est donc pas question de spolier les producteurs d’une part de leur revenu en usant de la contrainte, mais d’user de la contrainte pour verser à chaque membre de la communauté politique la part des richesses qui lui revient.
Un revenu de base élevé ne va-t-il pas créer de l’inflation, et le revenu minimum correspondra-t-il toujours à quelque chose dans ce cas ?
Il est difficile d’anticiper l’impact économique d’un revenu inconditionnel et ce qui suit n’est qu’une projection hasardeuse. Suite à l’instauration d’un revenu inconditionnel, on peut en effet imaginer une augmentation des prix qui résulterait d’une hausse des rémunérations des emplois les plus pénibles. Puisqu’on observe une rigidité à la baisse des salaires, il est peut probable que cette hausse du niveau de rémunération des emplois pénibles soit contrebalancée par une baisse du niveau de rémunération des emplois les plus plaisants et gratifiants.
Mais finalement, l’augmentation des prix qui en résulterait serait-elle injuste ? Elle traduirait la juste rémunération versée à chaque salarié, revenant donc à appliquer à l’ensemble de l’économie les règles du commerce équitable. Pour que le revenu inconditionnel conserve toute sa pertinence, on pourrait alors en augmenter le montant pour tenir compte de l’inflation. Mais on pourrait aussi accepter une baisse quantitative de la consommation du fait de sa hausse qualitative (consommer moins mais mieux).
Vous dites dans la première édition de “Un revenu pour tous” que le versement d’un revenu de base rendrait l’impôt plus progressif. Pensez que l’effort ainsi demandé aux plus hauts revenus sera supportable ?
Concernant les plus hauts revenus, je ne milite pas pour une forte progressivité de l’impôt, mais pour un plafonnement pur et simple. Est-ce supportable ? N’ayant jamais été dans cette situation, j’ai évidemment du mal à imaginer le déchirement que cela peut représenter pour les malheureux contribuables qui se verraient ainsi confisquer une part de leur butin. Je parle bien de « butin » ici, car, à mes yeux, aucun des hauts revenus n’est mérité ni même justifiable, et en tout cas pas dans les proportions actuelles. Il s’agit donc d’une appropriation indue de richesses collectives, et ce n’est pas parce que la société de marché permet une telle appropriation que son résultat est juste. Par ailleurs, j’ai également du mal imaginer que le revenu inconditionnel plonge certains individus dans des difficultés financières particulières. C’est notamment pour éviter ce type de situation que le revenu inconditionnel pourrait être utile !
L’autre question est de savoir si l’activité économique et la société pourraient supporter une telle progressivité de l’impôt et la baisse de l’activité des plus riches qu’elle pourrait entraîner. Sur ce point, il faut rester sérieux. D’une part, la progressivité de l’impôt sur le revenu, même amplifiée, ne s’appliquerait de manière significative qu’à une faible part des contribuables. Même chose pour le revenu maximum dont je me fais l’avocat ici. Si ces contribuables sont moins motivés du fait de la baisse de leurs perspectives de profit et préfèrent réduire leurs activités lucratives en conséquence, tant mieux pour eux, il pourront profiter de leur temps libre ! D’autre part, étant objecteur de croissance, je suis convaincu que notre société de surconsommation et de surproduction supportera sans encombre la baisse de l’activité économique qui pourrait en résulter.
Le revenu suffisant que vous proposez combiné à une forte CSG est redistributif de richesses. En tant qu’objecteur de croissance, ne pensez-vous pas que cela favorisera la croissance plutôt que de la réduire ?
C’est une possibilité en effet. Une autre possibilité serait que le versement à tous d’un revenu inconditionnel permette aux salariés de réduire le temps qu’ils consacrent à leur emploi, à la production d’inutilité lucrative et à la consommation de biens et services futiles. Pour les objecteurs de croissance, l’enjeu du revenu inconditionnel est triple.
Premièrement, il s’agit de s’assurer que, même si l’activité économique décroît, chaque individu disposera de ressources suffisantes pour accéder aux biens et services essentiels. Deuxièmement, on peut imaginer verser le revenu inconditionnel en monnaie alternative, affectée, pour orienter la consommation suivant des critères éthiques et écologiques. Troisièmement, le revenu inconditionnel concrétise une revalorisation du temps libre, temps riche et non plus temps perdu, dont la valeur inestimable viendrait concurrencer celle surcotée de l’emploi et de la consommation.
Un des titre de chapitre de votre livre est “un revenu pour sortir du capitalisme”. Pour vous, ce revenu est-il une fin en soi ou est-ce une étape intermédiaire vers un système plus équilibré par nature ?
Le revenu inconditionnel n’est évidemment pas une fin en soi, et il ne s’agit pas non plus d’une mesure suffisante pour engendrer la profonde transformation sociale pour laquelle je milite.
Crédit photo stanjourdan
Merci pour cette interview ! Les question à partir de celle sur l’inflation ont été proposées par moi. Vous les avez reformulé, ce qui est normal d’autant que je n’avais pas formulé les question de la façon la plus synthétique qui soit, mais la question sur le fait que ce soit supportable pour les riches perd un peu du sens que j’avais voulu lui donner. En fait ce que je voulais dire c’est par exemple une personne qui gagne 10 000€ et qui est endettée à la auteur de son revenu pour 1/3, donc au maximum de ses capacités (3333€), si on plafonne son revenu à 6000€ elle se retrouve du jour au lendemain endettée à 50%, donc surendettée. Voilà, je trouverais très sain de plafonner les revenus mais je me pause cette question comme une question technique, comment fait-on pour que cela ne pose pas ce problème ? C’est peut-être juste un détail d’application qui ne pose pas de difficulté mais ça m’intéressait de savoir comment procéder.
Bonjour,
Les questions posées à Baptiste Mylondo sont bien celles que vous avez laissées dans le questionnaire proposé pour l’occasion. Je lui ai formulé toutes les questions telles qu’elles sont consignées dans le document (que vous pouvez consulter, il est toujours en ligne, et vous avez normalement accès à son historique). Il est vrai que certaines question étant un peu longues, elles ont été reformulées avant la publication de l’entretien sur le site, mais c’est bien à partir des questions (dans leur intégralité) que B.Mylondo a formulé ses réponses.
Je me permets de vous donner un avis sur le sujet. Au lieu de s’inquiéter de la petite minorité la plus aisée qui aurait à réduire son train de vie (ce qui n’est pas une mauvaise chose, si on pense à la survie de notre écosystème et à l’empreinte écologique de chacun) on devrait plutôt se demander comment font tous les petits ménages actuellement surendettés pour survivre. Le revenu moyen n’est pas de 3000€ en France, il est donc malvenu de s’inquiéter pour ceux qui, après paiement de leurs mensualités s’ils en ont, possèdent encore plus que le revenu moyen pour vivre.
Un endettement à 50% de son revenu, quand on gagne 6000€, c’est bien moins pénalisant qu’un endettement à 33% quand on gagne seulement 1500 ou 2000€ !
Je n’ai nullement la prétention de répondre à la place de Baptiste, c’est une réflexion qui n’engage que moi. Mais je ne manquerai pas de lui reformuler la question pour avoir une réponse plus explicite de sa part. Réponse que je vous posterai ici, ou qu’il viendra exprimer lui-même dans un prochain commentaire.
Merci pour votre attention.
Cordialement.
Yvan
Merci pour votre réponse. La proposition de Baptiste Mylondo et du POURS est celle parmi toutes celles que je connais qui est la plus proche de ma sensibilité. Je suis tout à fait d’accord avec votre réponse, je pense que les personnes qui seront mises en difficulté seront finalement peu nombreuses et elles pourront éventuellement renégocier leur prêt. Ca reste évidemment un détail qui ne remet absolument pas en cause le bien fondé d’une telle mesure, qui doit mettre fin à la pauvreté, ce qui est tout de même le plus important. En fait, je ne suis même pas sûr que des personnes si riches soient endettées à ce point, c’était toutefois une question que je me suis posé en me disant que si ça mettait en difficulté certaines personnes il faudrait faire des aménagements en faveur de ces personnes même si à la base elles sont privilégiées. Mais c’est un détail d’application plus qu’une question de fond, n’embêtez donc pas une nouvelle fois Baptiste Mylondo avec ma question si vous le revoyez, prenez du temps pour des questions plus importantes.
Bien cordialement
interview intéressante qui permet de mieux appréhender les enjeux d ‘un revenu d’existence inconditionnel s ‘inscrivant dans une perspective post capitaliste.
je suis toutefois réservé sur le bienfondé de l’attribution d’un montant “unique “pour chaque individu majeur”.ainsi que sur le versement aux mineurs dès leur naissance
Pour déterminer le montant de ce revenu,ne serait il pas nécessaire dans une perspective de justice sociale ou d ‘égalité réelle, de tenir compte de la situation familiale ou géographique des personnes, malgré le surcroit de controle que cela impliquerait ? De plus„ bien que la prise en compte de la situation familiale et géographique des personnes rendrait plus complexe la mise en oeuvre de ce revenu garanti, n ‘est il pas souhaitable d’englober les individus dans un cadre social, familial, géographique, afin de ne pas contribuer au renforcement de l’hyperindividualisme ?
Ne ne faudrait il pas envisager un montant majoré pour les personnes de plus de 60 ans, compte tenu de leur retrait du “marché du travail rémunéré”?
Enfin, en ce qui concerne l’attribution de ce revenu , certes amputé de moitié ‚aux mineurs dès leur naissance, n ‘y a t il pas le risque de les rendre encore plus soumis au pouvoir d ‘attraction de l’argent et de la consommation ?
cordialement
[…] Mylondo : “Il y a de la place à gauche pour le revenu de base !” – Portail francophone du … […]
NE PAS PERDRE SA VIE A LA GAGNER de BAPTISTE MYLONDO
L’idée d’un revenu universel sans condition recouvre des orientations très différentes. Les analyses de BM se placent dans une perspective plutôt sociale et progressiste. Elles n’ignorent pas les objections au Revenu d’Existence et ses limites, elles cherchent au contraire à y répondre. La proposition de BM part cependant de prémisses communes aux différentes variantes du revenu de vie à propos de la nature du travail et de la notion de richesse sociale.
D’autres propositions, (par ex celle du film sur le Revenu de Base) sont d’inspiration libérale, individualiste et masquent les difficultés et les enjeux (comme parler de détaxation du travail sans mentionner que cela entraîne l’absence de protection sociale). Le RB supprime les solidarités, défiscalise les revenus, ne retient qu’un seul impôt, la TVA, qui pèse davantage sur les bas revenus.
Dans ses différentes variantes, l’idée du RE paraît simple et séduisante : la distribution d’une somme d’argent suffirait pour libérer de l’astreinte au travail et en finir avec la pauvreté. Mais qu’est-ce qu’elle change en réalité à la société actuelle ? Est-ce que ça peut fonctionner ?
ABOLIR LE CULTE DU TRAVAIL
NATURE DU TRAVAIL
BM définit le travail « comme l’ensemble des activités pénibles auxquelles chacun ne songerait pas même à s’adonner en l’absence d’une quelconque contrainte étrangère à sa volonté », « contrainte tantôt naturelle, tantôt sociale » (p20).
Quand on s’adonne à des activités pénibles suivant notre propre volonté, ce ne serait donc pas du travail. La caractéristique principale du travail serait la contrainte extérieure. Il y a d’abord les besoins naturels qui nous y ont poussé de tout temps, depuis la chasse et la cueillette. Il y a aussi la contrainte sociale : aujourd’hui elle prend la forme du salariat : la subordination du salarié est inscrite dans le Code du Travail. L’employeur décide de ce qui est produit et comment ; il reporte la pression de la rentabilité et de la concurrence sur les salaires et les conditions de travail.
Selon BM, le RE, versé sans condition, offre la possibilité à chaque individu de s’émanciper de cette contrainte. Mais la question que ne se pose pas BM c’est : est-ce que l’on peut changer le travail ?
Plutôt que de supprimer la contrepartie – travail contre revenu – ne vaut-il pas mieux supprimer la contrainte sociale sur le travail ? Pourquoi ne pas s’attaquer à ce qui rend le travail difficile à supporter ? Est-ce que le travail ne pourrait pas se faire dans la coopération, entre citoyens libres et égaux, décidant ensemble des objectifs et des conditions de leur activité ? Plus loin BM prône le développement de coopératives (p129) mais n’en tire pas de conséquences sur la transformation du travail dans ce cadre.
GARANTIR LE REVENU
BM critique justement le caractère superflu d’une partie du travail (p49) du fait d’une surconsommation systématisée. Il faudrait donc que chacun puisse définir « librement la place qu’il souhaite accorder au travail en fonction de la manière dont il entend répondre à ses besoins » (p52). Mais réduire son temps de travail pose le problème du revenu ; il faut donc des revenus déconnectés du travail salarié (p53). Quel fondement à ce revenu ? « La participation à la création de richesses pourrait être ce fondement ».
Qu’est-ce que cette création de richesses pour BM ? C’est la participation à la vie sociale sous toutes ses formes. Il reprend l’exemple d’un autre auteur : Crazy travaille et Lazy fait du surf à Malibu. Le loisir contribue à la richesse sociale, donc Lazy participe à la création de richesses et mérite un RE (p67). De même « imagine-t-on de vendre son amitié ? Non. Est-elle sans valeur pour autant ? Certainement pas » (p68). « Est utile tout ce qui mérite qu’on y consacre du temps… L’activité de Lazy répond à cette définition. Dès lors pourquoi refuser au surfer économiquement improductif, mais socialement utile, un revenu minimum ? » (p69).
De « définir librement son temps de travail en fonction de ses besoins », il est passé à une dispense de travail au motif que tout est utile, tout est richesse sociale, et donc loisirs, sentiments méritent un revenu pour subvenir à ses besoins. Sa notion de richesse est confuse : elle amalgame celle qui résulte d’un travail et celle qui n’est qu’une activité désirée apportant une satisfaction directe.
BM ajoute (p72) qu’on pourrait ne pas donner de RE à Lazy si l’accès à d’autres sources de revenus lui était garanti. « Or le chômage de masse…/… empêche aujourd’hui la réalisation satisfaisante de cette condition ».
Il introduit là une condition contraire à la définition du RE : la possibilité de participer à la création d’une richesse sociale permettrait de ne pas verser de RE. On en revient tout simplement au droit à une allocation chômage, versée sous la condition qu’on ne puisse proposer un travail.
BM ajoute une autre justification au RE (p74) : « lutter contre la pauvreté en assurant à tous un revenu minimum » et « faire face tant bien que mal à un chômage…inéluctable pour une large part de la population active ». Pourquoi ne pas s’en tenir à ça ? mais on revient à une allocation sociale. Et 600 € (voir ci-après) dans ce but c’est même pas suffisant.
COMBIEN ?
Il n’y a pas d’impossibilité comptable au RE. BM fait une première évaluation pour un RE de 600 €/mois : il coûterait 380 Md d’€. Il propose 2 sources de financement :
– Le transfert au RE d’une partie des allocations sociales et des impôts : ceux qui sont de nature comparable au RE (ex l’APL) soit 120 Md. Les contributions à une assurance collective solidaire (caisses maladie, retraites) sont conservées ;
– Un impôt sur le revenu (hors RE) à un taux unique de 60%, (contre 9% en moyenne actuellement). La progressivité du taux est abandonnée « afin de ne pas pénaliser les citoyens souhaitant travailler plus pour gagner plus » (p95). Cependant le RE n’étant pas imposable, l’impôt est tout de même progressif sur le revenu total (salaire+RE), mais de moins en moins quand le revenu augmente.
Pour un RE à 1000 €, le coût passe à 600Md. Le taux de l’impôt n’augmente pas afin de ne pas pénaliser l’activité économique (p97), mais il faut transférer au fond du RE d’autres prélèvements comme l’assurance chômage et la cotisation vieillesse ; il faudrait alors instaurer la retraite par capitalisation (p98).
Remarques :
- Il n’en fait pas mention mais l’impôt de 60% sur les revenus s’ajoute aux 9% actuels et aux cotisations sociales : ça fait très lourd comme prélèvements obligatoires. Mais après tout, pourquoi pas si cela permet une redistribution plus égalitaire des revenus ?
- En France les 10% les plus pauvres ont actuellement un revenu par personne de 642€. Si on prélève 60% d’impôt, reste 250€; en ajoutant 600€ de RE cela ferait 850€ en moyenne pour cette tranche. Pas terrible. Passer d’allocations spécifiques, en période de chômage, d’études… à une allocation universelle sans condition coûte cher. On peut faire mieux en centrant la redistribution sur un relèvement des bas salaires et allocations mini. Mais ce ne serait pas un revenu sans condition. En définitive ceux qui ont droit à une allocation en fonction de leur situation sont pénalisés parce qu’on veut donner la même chose à tout le monde, même à ceux qui ont un revenu suffisant.
- BM avance que ce système du RE est plus simple que les diverses allocations et évite la bureaucratie sociale. C’est simpliste : la complexité est due à la variété des situations et à la volonté d’y répondre spécifiquement. Est-ce qu’un RE uniforme ne créerait pas des injustices en appliquant la même règle à tous malgré les différences sociales et économiques, de revenu comme de patrimoine ? L’égalité réelle suppose des traitements adaptés : BM voit le problème en citant les différences entre un citadin célibataire et une famille rurale, ou une personne lourdement handicapée, mais il n’y répond pas. Cette distribution de revenu est faussement égalitaire.
LE FONCTIONNEMENT DU RE
LES EQUILIBRES :
BM a le mérite de soulever 2 problèmes importants, ignorés par d’autres propositions sur le revenu d’existence : 1. l’impôt encaissé suffira t‑il pour verser le RE ? et : 2. la demande de travail sera-t-elle suffisante pour satisfaire les besoins ?
1. Il prévoit un effet balancier( p104) : si le RE est élevé, la demande de travail et l’activité diminuent, les ressources fiscales baissent, donc le RE doit être réduit, ce qui pousse à la reprise de l’activité et permet de le relever. Deux mouvements contraires qui devraient aboutir à un point d’équilibre.
Illusoire ce point d’équilibre, comme celui du marché du travail . Quand l’activité baisse, le RE et les salaires baissent : mais il ne suffit pas que les gens veuillent à nouveau travailler pour que la production soit relancée puisque la demande est faible. Il y a dans le capitalisme des équilibres de sous-emploi, les politiques étatiques de relance ont été inventées pour ça. On peut donc prévoir des périodes de chômage qui pèsent sur les salaires et restreignent la liberté de travailler ou pas.
2. « Chacun suivant ses goûts, ses compétences, ses préférences, concourt à la co-construction de la société » mais cette participation « est-elle nécessairement adaptée aux besoins de la société ? Rien n’est moins sûr » notamment pour les tâches ingrates (p107) qui n’attireraient personne. BM envisage deux possibilités :
- soit un service civique pour répartir ces tâches. Il y voit l’avantage d’une mesure juste, remettant en cause la division sociale du travail. Il a raison. Mais ce n’est pas satisfaisant pour lui car l’instauration d’un travail d’intérêt général réintroduit la contrainte, donc sabote le principe même du RE.
- soit « S’appuyer sur les mécanismes du marché suivant la loi de l’offre et de la demande » (p109). « Cette règle d’or économique, traduction du rapport de force entre vendeurs et acheteurs » ferait augmenter la valeur des emplois peu prisés. Grâce au RE il n’y a plus d’obligation de travailler mais une incitation ; il faut donc une hausse des salaires pour attirer des gens vers ces emplois.
L’idée d ‘une « contrainte » collective, qui pourrait décider, démocratiquement et consciemment, de la répartition du travail et/ou de salaires plus élevés pour les tâches pénibles, est écartée par BM. La contrainte du marché, la « règle d’or », la « main invisible », est-elle préférable ? Donne-t-elle plus de justice ? De plus si le fait que les tâches pénibles soient mieux payées est positif, cela ne change rien à la division sociale du travail : les inégalités dans les qualifications et la répartition des corvées resteraient les mêmes.
On voit à travers ces problèmes d’équilibre que la simplicité du RE n’est qu’apparente. Il ne suffit pas de prôner la distribution d’un revenu, il faut voir ce qui se passe après.
UNE SOCIETE ECONOME
« Puisque la désincitation au travail liée au revenu de citoyenneté est strictement proportionnelle au montant de celui-ci, il suffirait simplement d’accorder à chaque citoyen un revenu très élevé, sans condition ni contrepartie, pour déclencher presque mécaniquement une décroissance économique » (p116).
BM objecte lui-même que ce serait une décroissance du type de celle que nous impose une crise économique mais qu’une décroissance soutenable doit être démocratique, consciente et volontaire. Il rappelle que c’est la baisse de la consommation qui doit entraîner celle de la production.
Le RE peut jouer un rôle en incitant à profiter davantage de temps libre ; « il met à bas la norme du travail à temps plein », permet de « rompre avec la spirale consommation – croissance – travail … Il invite à replacer la détermination des besoins avant celle du temps de travail et, en définitive, de notre niveau de vie » (118 – 119).
Cela paraît plausible. La décroissance doit s’accompagner d’un partage du travail pour maintenir le plein emploi. Mais, sans passer par le RE, ceci peut être décidé collectivement, à travers une réduction du temps de travail pour tous.
SOCIETE EQUITABLE – MOUVEMENT COOPERATIF
BM craint que la hausse de certains salaires entraine une baisse de la compétitivité nationale. Il faudrait baisser ceux des emplois valorisants : les titulaires de ces postes l’accepteraient grâce à l’intérêt de leur travail. On pourrait aussi rogner sur les profits. Cependant BM estime qu’il y a un risque de fuite des cadres et des capitaux (p 126 – 128).
Il prône la formule coopérative, la plus à même selon lui de permettre concessions salariales et réduction des profits. L’Etat encouragerait le développement des coopératives (p129).
L’idée pourrait être intéressante, car, même si ce n’est pas le but de BM, elle change les rapports dans l’entreprise et le travail lui-même, Mais on reste sous la pression de la concurrence et de la compétitivité et on ne fait que répartir des sacrifices. Pour un développement stable des coopératives, il faut que la coopération ne domine pas seulement dans l’entreprise, mais aussi dans la société.
(sa) CONCLUSION
BM reprend ses thèmes principaux : abolir le Travail et garantir le revenu pour libérer l’individu de la contrainte économique et garantir à tous un revenu décent, pour affirmer la liberté d’activité de chacun et reconnaître son utilité sociale, en finir avec la misère (p135). Et il ajoute : « au-delà, c’est un projet anti-capitaliste qui se dessine, invitant à s’émanciper de tout impératif de croissance économique ».
(ma) CONCLUSION
BM ouvre des pistes sur la décroissance, la coopération, le partage du travail et des richesses.
Mais ses propositions ne sont pas émancipatrices ; elles ne passent que par des mesures individuelles, sans véritable justice ; elles ne permettent pas d’atteindre ces objectifs de façon stable et soutenable.
Est-ce que le RE dessine un projet anti-capitaliste ? Le projet de BM maintient le marché régulateur et le travail subordonné, qui ont été 2 piliers essentiels du capitalisme dès sa naissance.
Comme les autres propositions de revenu universel, celle de BM constate les côtés négatifs du travail contraint et s’en sert pour justifier d’agir par le revenu. Pourquoi ne changerait-on pas plutôt le travail en supprimant la subordination du salarié ? Pourquoi faudrait-il qu’une partie des gens continue à souffrir au travail plutôt que de le libérer pour tous ? On a tous fait l’expérience d’une activité pénible mais volontaire et motivée, on sait qu’on en sort satisfait. Mais cela conduit à remettre en cause la gestion des entreprises et à instaurer une démocratie des salariés, donc un changement qui, lui, serait une rupture avec le capitalisme.
Est-ce que le RE émancipe de tout impératif de croissance économique ? La croissance ne vient pas d’un appétit de travail des salariés, d’un « culte du travail » qu’on leur aurait inculqué. Elle est liée aux conditions de la production : la recherche du profit qui pousse à produire toujours plus, Et pour cela il faut aussi vendre, d’où matraquage publicitaire, obsolescence programmée, innovations à tout prix. En quoi le RE contredit-il cela en incitant au temps libre ? L’explication de la décroissance, une RTT conséquente, un revenu maximum peuvent être employés avec davantage d’efficacité.
Est-ce que le RE est une mesure immédiate efficace contre le chômage ? Pas plus qu’une allocation décente versée tant qu’il y a un manque d’emplois, et surtout bien moins qu’une RTT générale qui rapprocherait du plein emploi. Mais il faut accepter de passer par le partage du travail entre tous. De plus le système du partage du temps de travail entre certains qui font le choix du travail et d’autres des loisirs est aléatoire et instable, BM l’a montré.
Merci pour cette excellente initiative. J’ai une grosse fortune et je déclare des revenus plus que confortables, ayant été un ancien cadres communiste qui a migré dans les institutions européennes pour me faire oublier. Après avoir fait fortune en vendant l’usine collective à des nouveaux capitalistes, j’ai plusieurs maisons demeures imposante et malheureusement c’est très difficile de trouver du personnel de maison parlant bien ma langue d’origine. Aussi grâce à votre initiative, je vais pouvoir faire venir du monde depuis l’Ukraine et cette excellente initiative me permettra d’éviter de leur verser un salaire. Peu de chance qu’ils se plaignent puis qu’ils ne parlent pas français et je veillerai qu’ils évitent d’étudier cette langue pour qu’ils ne me causent pas d’ennuis.