Entre craintes de récupérations et nécessité de coopérer par delà les clivages traditionnels, le mouvement pour un revenu de base en France est en train de vivre un moment charnière. Une analyse de Olivier Sarrat initialement publiée sur son blog ‘Gratte-ciel horizontal’.
L’idée d’un revenu garanti est ancienne : de nombreux projets, variés, contradictoires, parfois antinomiques, ont été pensés, voire expérimentés pour partie (voir ce précédent article). Chaque concepteur ou groupe derrière un projet a naturellement tendance à considérer sa vision comme la meilleure, et les autres comme moins abouties voire dangereuses. C’est ainsi que la construction des idées se fait, que le débat avance, parfois dans une contradiction rhétorique où les mérites de ses contradicteurs peuvent être reconnus avec cordialité. La question de l’acceptation de cette idée et l’acquisition d’une légitimité suffisante pour une mise en place à grande échelle est davantage absente des quelques lectures, films ou conférences auxquels j’ai pu être exposé sur le sujet.
Dans un débat sur le sujet d’un rapprochement EELV – Parti de Gauche tenu chez Mediapart entre Pascal Durand et Jean-Luc Mélenchon, ce dernier a énoncé un axiome fondamental de la méthode politique qu’il voudrait mettre en œuvre pour bâtir sa sixième République : “Je crois à la loi des nombres”. Dans son projet de nouvelle constitution, il rappelle souvent que c’est le peuple via le poids de majorités qui façonnera le détail de la loi fondamentale de notre Etat. Il présente donc dans son projet politique une réforme profonde qu’il voudrait mener, mais y intègre les éléments de méthode pour donner à cette réforme toute la légitimité nécessaire.
Des questions qui se multiplient à l’infini
Le revenu garanti doit-il être versé en monnaie nationale ou avec un panaché de monnaie nationale, locale et de biens en nature ? Doit-on aller vers un revenu de base que chacun peut compléter librement, ou vers une révision complète du rapport au travail dans lequel le revenu est intégralement versé via des organismes centralisateurs en fonction de la qualification démontrée de chacun ?
Les questions se multiplient à l’infini, et les options sont nombreuses et ardemment discutées entre les tenants de chacune des formes de revenu garanti. Mais dans le même temps, une immense majorité de la population n’a même pas conscience qu’il existe une idée comme le revenu universel, ni même que cette idée amène des projets politiques sérieux et de réelles mises en œuvre.
Le projet d’Initiative Citoyenne Européenne (ICE) sur le revenu de base inconditionnel ne fait pas consensus entre les différents projets existants. La mobilisation derrière cette pétition reste faible, et avec la trajectoire actuelle de signatures, nous n’arriverions qu’à 10% de l’objectif de 1.000.0000 de signatures au terme de la période de collecte le 14 janvier 2014.
Les avis critiques sur le texte proposé par l’ICE le trouvent trop flou, trop libéral, etc. En poussant à la signature de cette pétition, certains craignent une récupération de leur idée par d’autres dans des termes qui ne leur conviennent pas. Ils préfèrent le statu quo de l’avance à petite vitesse, du débat entre initiés progressant lentement au sein des couches les plus politisées de la population, au risque du grand bain démocratique dans lequel certains projets pourraient prendre un ascendant qui leur paraît trop préjudiciable.
La réalité des réformes démocratiques montre que le plus souvent la mise en œuvre d’une idée arrive nécessairement à une forme de compromis où chacun y retrouve certains points fondamentaux, mais personne n’est pleinement satisfait. L’horizon à moyen terme qui pourrait voir s’instaurer un revenu de base sera de cette forme. Il faut à mon sens décorréler deux choses : d’une part l’affûtage des arguments à travers le processus de progression nécessaire du débat au sein de la population pour qu’un projet de revenu de base se concrétise, et d’autre part la constitution pour chacun de son projet de revenu de base ‘idéal’.
“S’opposer à la droite est contre-productif”
En France, les personnes se reconnaissant politiquement dans le corpus d’idées baptisé de nos jours “la droite” sont majoritaires sur ceux “de gauche”. Considérer la droite comme son ennemi fondamental sur une réforme aussi profonde que celle du revenu de base est contre-productif à double titre. Les corpus d’idées portés par la droite et la gauche évoluent au fil des générations. Certaines idées de gauche deviennent de droite, et certaines font le chemin inverse.
Quand on s’intéresse à une idée aussi ancienne que le revenu de base, dont la mise en œuvre nécessitera un chemin qui peut encore être aussi long que le temps d’une génération, craindre une récupération par la droite semble manquer de perspective.
Certaines idées de gauche deviennent de droite, et certaines font le chemin inverse.
Au contraire, poser les termes du débat sur le sujet sans l’enfermer dans une opposition pour l’instant stérile entre droite et gauche permet de construire une discussion beaucoup plus riche et s’assurer une meilleure diffusion de l’idée. Le vrai débat démocratique final, que tout militant de cette idée de revenu garanti appelle de ses vœux, verra bien assez tôt des clivages gauche-droite apparaître. Ils seront alors nécessaires pour constituer le rapport de force, sanctionné par un vote qui donnera la légitimité nécessaire à la mise en place de ce qui paraît toujours pour l’heure une utopie concrète.
Les militants de la dotation inconditionnelle d’autonomie peuvent craindre que leur idée ne voie pas le jour si ceux du salaire à vie arrivent à prendre plus de poids qu’eux. Les partisans d’un financement du revenu de base par la TVA seraient angoissés de voir leur projet perdre de l’ascendant si les défenseurs d’un financement passant principalement par une plus forte taxation des revenus l’emportaient dans l’opinion.
Peur de récupération, de voir la cause qu’ils défendent ne pas voir le jour… Ces craintes sont compréhensibles. Mais faut-il mieux y succomber que de s’enthousiasmer de voir certains des grands traits fondamentaux communs de ces projets (comme la décorrélation entre travail et revenu) repris, réappropriés et reformulés par le plus grand nombre ?
Article initialement publié sur le blog “Gratte-Ciel Horizontal”
Crédit images : __fito__
si nous parlons de revenu de base inconditionnel (c’est à dire, pour tous sans condition )
il faut avant tout se déconditionner de l’idée que le revenu de base appartienne à un quelconque parti politique ou plus largement de gauche ou de droite. Ce qui pour moi n’a pas vraiment de sens aujourd’hui, puisque tout le monde exprimes ses idées propres. Autant dire qu’il y a autant de parti que de gens. Donc pour l’instant, selon moi, le RDBIU est, et doit le rester, une idée citoyenne avant tout !! Après ça, que chacun y apporte sa contribution idéologique ou pragmatique, va de soit en gardant naturellement les points communs de chaque bord. Aussi un projet ne peut que évoluer sereinement que si il est mis concrètement en place avec des solides fondamentaux, pour éviter autant que possible de nombreuses remise en question qui ne feront qu’inhiber ce projet.
Oui, je dois dire me reconnaître parfaitement dans ce texte ! Moi ça n’est même pas les conceptions ‘de droite ou de gauche’ de ce revenu qui me gênent mais “ce consensus unanime affiché sur.…l’ ECOLOGIE ! Je NE SUIS PAS UN BRIN ECOLO, par conséquent je m’applique à chercher “une forme de revenu de base ‘non écolo’ ” et force est de faire le constat suivant : bah “y’en a pas” ! En France, du moins. A ma connaissance la seule conception non-écologiste de ce revenu est américaine, c’est “l’impôt négatif” de Milton Friedman : un minimum accordé à chacun, via un “avoir de la caisse d’imposition” et.….“dépourvu de tout projet de société”, chacun faisant ce qu’il veut et “consommant ce qu’il souhaite et comme il le souhaite”. Or force est de constater qu’il ne permettrait pas de vivre ‘confortablement’ (seulement de “survivre”) puisque vraisemblablement Friedman semble souhaiter un montant “égal ou voisin du RSA”.…Mais que nous empêche-t-il de créer “notre propre impôt négatif français”, en mettant “un léger amendement à l’impôt négatif américain, sur ‘le montant’, justement” ?
C’est donc précisément “ce que je reproche au Revenu de Base ‘à la française’: vouloir ‘y coller absolument un projet de société’ ”, une façon donc de lancer aux individus-citoyens le message suivant : “si vous n’acceptez pas le projet ‘qui va avec’ ce revenu, alors ‘théoriquement vous n’êtes pas digne de le recevoir’! On vous l’accordera malgré tout puisqu’on le veut ‘inconditionnel’ mais on vous prévient : vous aurez à supporter le ‘harcèlement’ de ceux dont la mission est de ‘faire changer vos comportements’ car tel est le ‘But Suprême’ de ce revenu” ! Désolée mais dans ces conditions on présente une forme de revenu de base “anti-liberté individuelle” ! Car pour moi la liberté individuelle consiste aussi à “pouvoir choisir de ne pas vivre en écolo” : et c’est là en l’occurrence qu’une “divergence” intervient, sur la “conception de la liberté individuelle”, la grande majorité des défenseurs du revenu de base la concevant davantage comme une “libération de l’individu” que comme un véritable CHOIX DE VIE . Or désolée on ne peut ‘forcer personne à se libérer contre son gré des penchants naturels et tentateurs de sa personne’ !
Je préconise donc tout simplement ceci : OTER TOUT PROJET DE SOCIETE au Revenu de Base. Proposer UN REVENU (c’est à dire “une somme d’argent”, à chacun) mais pas un ‘mode de vie’ !
Tout d’abord sur l’impôt négatif, il s’agit d’un remboursement, ce qui veut dire une perception différée. Le revenu de base lui est généralement perçu préalablement. Ensuite toujours concernant l’impôt négatif, rien n’interdit d’en fixer un montant plus élevé que celui prôné par feu-Friedman en son temps, pour lui il s’agissait surtout de subventionner les emplois peu qualifiés, peu rentables pour les entreprises, certainement pas d’offrir de l’autonomie ni un moyen de subsistance à part entière.
Quant au revenu de base « à la française », permettez-moi de vous dire que vous faites erreur. La partie concernant le projet sociétal est éminemment personnelle, elle concerne chaque intervenant, rédacteur, militant. Si vous prenez les statuts de l’association française, nulle part y est-il fait mention d’un projet de société précis (écologique ou pas).
Comme vous le soulignez, le revenu de base permet de choisir ce que chacun fait de sa vie : libre ensuite de se comporter en con, en écologiste, en artiste, en bourgeois, en tout ce que vous voulez. Si vous sentez une pression parce que vous n’êtes pas écologiste, c’est simplement que l’air du temps est à l’écologie, et donc forcément vous avez plus de chances de tomber sur une personne écologiste que pas. Rien à voir avec le revenu de base en tant que tel.
Enfin, et cela peut vous sembler contradictoire avec ce que je viens de dire, beaucoup de personnes ne conçoivent pas une proposition telle que le revenu de base si elle ne s’insère pas dans un projet de société plus vaste, défini ; pour la simple raison que ces personnes trouveraient alors telle proposition complètement déconnectée de la réalité. C’est donc la raison pour laquelle vous entendez parler souvent du revenu de base dans un projet plus vaste. Une autre raison étant que cette idée fait tellement d’émules et de sens qu’elle se retrouve introduite dans des programmes politiques, des réflexions sociétales plus vastes. Le revenu de base en soi n’est pas plus écologiste ou moins, seulement il peut trouver plus d’échos dans certains milieux que dans d’autres, à l’heure actuelle.
Oui mais justement il serait temps “d’élargir un peu les milieux” avant que cette confusion soit définitivement ancrée ! Merci en tout cas d’avoir répondu.
“Ces personnes trouveraient alors telle proposition complètement déconnectée de la réalité.” :
Réagir ainsi c’est faire preuve de “suivisme, de moutonnerie ou plus simplement de fatalisme”, c’est manquer de caractère pour affirmer son droit à défendre “ses propres choix” ! ça devient sans doute effectivement le cas de la majorité des Français, à force que notre élite politique et philosophique (dans le sens écolo) harcèle, les gens finissent par capituler : en clair “le règne de Zarathoustra est arrivé” mais Nietsche s’est trompé sur ‘la seconde partie’ de sa prophétie : à l’inverse “tout le monde se plie”, personne n’ose répondre “laissez-nous être ces derniers hommes” (laissez-nous vivre comme on veut et “consommer ce qu’on veut”)! Aussi par ailleurs (mais là les gens sont beaucoup plus excusables), outre l’impôt négatif il est “une autre forme encore d’Allocation Universelle de type ‘américain’ à faire connaître : le “géolibertarianisme”, revenu tiré du “coût à la base des ressources naturelles” : un “partage est fait entre le nombre d’humains correspondant” et chacun reçoit ainsi le montant trouvé…“et mène ensuite sa vie comme il l’entend”. Bon soit c’est très utopique puisque c’est ‘théoriquement pour les six milliards d’habitants de la planète’, mais bon on peut concevoir d’abord une mise en place “progressive, à l’échelle déjà des ‘pays’ ”.
“C’est simplement que l’air du temps est à l’écologie, et donc forcément vous avez plus de chances de tomber sur une personne écologiste que pas. Rien à voir avec le revenu de base en tant que tel.” :
Oui, c’est pour ça qu’un sous-groupe éminent de l’association se fait appeler les zooms “verts” ! Pourquoi vert, alors ? Comme quoi il y a quand même “un peu la volonté d’orienter en ce sens”, un bon moyen de prouver l’inverse serait justement de commencer par exemple à “prêter attention aux appellations” (en évitant que le ‘vert’ se faufile partout et revienne trop souvent).
Ouhla, décidément vous êtes bien mal informé. Les Zooms Verts ne sont pas un sous-groupe du Mouvement Français pour un Revenu de Base, il s’agit d’une association toulousaine qui lui préexistait et dont certains membres ont décidé d’apporter leur soutien au mouvement et à l’ICE en réalisant des créations autour du RdB.
Ayant produit le clip de campagne de l’ICE, ceux des Zooms Verts qui en sont auteurs bénéficient de notre soutien dans la promotion nécessaire à leur obtention de financement pour leurs créations (sur le RdB).
Quant aux géolibertariens ou aux georgistes, effectivement leur doctrine propose un dividende universel appelé en français Impôt Unique, ou Land Value Tax en anglais, versé à tous par ceux qui « possèdent » un lopin de terre. C’est aussi étendu parfois aux revenus des matières premières extractibles. On a donc là aussi un revenu universel et inconditionnel, sans toutefois d’exigence de réalisation d’une vie décente. Cela reste en tout cas un autre modèle possible de financement d’un RdB qui lui aurait telle exigence.
Et puis aussi tout simplement “les couleurs de ce site” (voyez pas besoin chercher bien loin) : “vert foncé, vert clair” et basta (sauf dans le seul logo un soupçon de rouge, de bleu, de noir et de blanc’), alors franchement !… Vous voulez vous montrer rassurant Damien Vasse, c’est bien, mais n’ayez pas quand même les yeux aussi fermés !
Là vraiment… si on ne peut même plus utiliser le vert sans être taxé d’écologiste, le bleu de souverainiste ou le rouge de communiste… vous allez trop loin, franchement. Vous auriez préféré un site en noir et blanc ?… ou en niveaux de gris peut-être, pour éviter la radicalisation qu’induit cette bichromie…
Ma remarque sur le vert du site fait partie de mon “constat global” sur la question, s’il n’y avait “que cela”, cela n’aurait pas attiré mon attention. Et la tendance écolo actuelle se voulant “sectaire et radicale”, y’a-t’il vraiment moyen de la contrer autrement que par un sectarisme radical “opposé” ? “L’extrêmisme attise l’extrêmisme”, l’effort de modération est à consentir par “chacun” !
Désolée mais cette volonté de “pression” (même en douceur) du revenu de base sur l’adoption de comportements écolos “existe bel et bien” et c’est regrettable !.…Vous savez ce site n’est ‘pas le seul’ que je parcours sur la question, un moment donné je consultais régulièrement celui de “Stanislas Jourdan” (il est bien l’un des “leaders” de l’assoss du Revenu de Base, lui, non ?), site que forcément “vous connaissez aussi”, donc vous n’êtes pas sans savoir qu’il est un “écolo libéral” mordu, pro-ruralité et anti-urbanisme, pour lui la baisse du coût de l’immobilier à Paris passe par “une moindre urbanisation” de la Capitale, par exemple (bah voyons !),je ne les citerai pas toutes et ses commentateurs sur ce site sont pires que lui !
Voilà donc ce qui me pousse pour l’instant à soutenir plutôt des formes du Revenu de Base telles l’impôt négatif et le géolibertarianisme, en prenant bien conscience que ces revenus-là sont “insuffisants” ; mais une fois encore rien n’empêche d’amender ces doctrines dans le sens d’un “montant plus élevé”.
Désolée pour la réponse tardive, je viens “rarement” sur ce site car allant sur beaucoup d’autres ainsi que les réseaux sociaux.
Je laisse à Stanislas le soin de réponde sur sa « pro-ruralité » et son « anti-urbanisme » même si le connaissant j’en doute très fortement, le voyant plutôt comme l’archétype de l’urbain mobile et technophile… 😉
Sur la question du sectarisme, la violence entraîne la violence, or la violence est le dernier refuge de l’incompétence. Je vous laisse en tirer les conclusions sur la meilleure réaction à l’imposition de l’écologie dont vous vous plaignez.
Vous soutenez d’autres formes de Revenu de base, tant mieux, parlez-nous en, produisez des articles que nous aurons grand plaisir à publier ; diffusez autour de vous ces modèles, dans le respect de la pluralité des idées autour du concept d’un revenu garanti pour tous. L’initiative citoyenne européenne ne se prononce pas sur un modèle de financement ou de création, seulement sur les éléments conceptuels fondamentaux, et exhorte l’UE et ses États-membres à envisager, étudier le RdB comme un modèle émancipateur, à formuler des modèles adaptés aux spécificités nationales, locales, régionales, autres échelles… En somme à avancer dans et à faire avancer l’idée.
Comme je le disais, le revenu de base en soi n’est une mesure ni écologique ni anti-écologique. S’il y a plus de pression dans un sens c’est peut-être qu’il y a un manque de pression dans d’autres sens.