Le montant du revenu de base est une question qui divise ses partisans et suscite un débat très vif. Jean-Éric Hyafil et Amaru MBape proposent un cadre d’analyse afin de débattre plus sereinement de ce sujet.

André Gorz souhaitait un revenu de base suffisant pour vivre, ou plutôt suffisant pour « permettre de refuser [un] travail ou [des] conditions de travail “indignes“1 ou encore pour développer une activité autonome.

Un revenu de base respectant un tel critère de choix est intéressant à plusieurs titres. Il permet d’envisager une amélioration du rapport de force employeur/employé. Il met l’accent sur les notions d’autonomie et d’épanouissement comme fondements du sens donné au travail, et non sur la seule subsistance autorisée par un salaire. Il peut ainsi conduire au développement de modes de production alternatifs (auto-production, coopératives ouvrières et coopératives municipales, économie sociales et solidaire, économie collaborative…) et favoriser l’émergence d’une sphère de la gratuité et de la convivialité.

Cependant pour certains, un revenu de base trop élevé risquerait de ‘désorganiser’ notre économie2. Mais au-delà de quel montant le revenu de base risque-t-il d’être destabilisateur ? Choisissant une approche pragmatique – sans négliger l’importance intrinsèque d’un revenu de base suffisant au sens gorzien – ce texte vise à donner quelques éléments d’analyse pour estimer quelle pourrait être cette borne supérieure que le revenu de base ne devrait pas dépasser, sans toufefois proposer de montant défini3.

Suffisant pour une personne isolée à Paris ou pour un couple en Province ?

C’est bien connu : le coût de la vie est plus élevé à Paris qu’en Province. De même, un couple sera plus autonome avec deux revenus de base qu’un adulte isolé avec un seul revenu de base (celui-ci étant purement individuel) puisque les premiers bénéficient d’économies d’échelle notamment sur le coût du logement4. Le revenu nécessaire pour assurer une autonomie n’est donc pas le même suivant le lieu de résidence ou les formes de cohabitation.

C’est notamment pour cela que certains pensent que les aides au logement ne doivent pas être individualisées mais attribuées au foyer (et donc ne doivent pas être intégrées au revenu de base). Quoi qu’il en soit, l’accès au logement ne relève pas uniquement d’une question de revenu mais également de problématiques relatives à l’aménagement du territoire et à la régulation du marché.

Première conclusion de notre réflexion sur le montant d’un revenu universel : il faut admettre que le revenu de base ne donnera pas la même autonomie à l’adulte isolé vivant à Paris qu’au couple vivant à Clermont-Ferrand.

paris-logement

Effets sur le chômage : relance keynésienne et réduction du temps de travail

Pour les défenseurs d’un revenu de base suffisant pour assurer un niveau de vie digne, le revenu de base rend obsolète la question du chômage. Mais comment être certain que le revenu de base sera suffisant pour se passer d’un emploi ? Faute de certitude, nous estimons donc que la question des effets sur le chômage se pose.

Un revenu de base supérieur au RSA actuel accroîtrait le pouvoir d’achat d’un grand nombre de ménages modestes, et donc la consommation, les ménages modestes dépensant une part plus importante de leur revenu que les ménages aisés. La hausse de la demande augmentera l’activité des entreprises, qui chercheront alors à embaucher et à investir davantage. Ceci permettra en retour un accroissement supplémentaire de la demande embarquant l’économie dans un cercle vertueux auto-entretenu, suivant le mécanisme bien connu du multiplicateur keynésien.

Certes, la relance keynésienne a des limites et peut conduire à de l’inflation lorsque les capacités productives sont pleinement utilisées. Mais dans le contexte actuel de crise caractérisé par un niveau record de sous-utilisation des capacités de production, ce risque est improbable. Le revenu de base aura, en outre, des effets particulièrement appréciables pour relancer l’économie des régions et des villes les plus pauvres5.

Remplacer le chômage par la réduction volontaire du temps de travail-emploi

Côté offre de travail, un revenu de base supérieur au RSA permettrait à ceux qui le souhaitent de réduire leur temps de travail-emploi (travail salarié) pour se former, se lancer dans une activité associative ou militante ou encore développer une activité marchande indépendante ou coopérative. En choisissant de passer à temps partiel ou de prendre une année sabbatique, ils libéreront un emploi pour une personne souhaitant être embauchée. Ainsi le chômage diminuera tandis que chacun pourra accorder plus de temps à une activité choisie et non contrainte par la nécessité de “gagner sa vie”.

Certes, au-delà d’un certain montant, le retrait du travail-emploi risque d’être tel qu’un certain nombre d’entreprises ne trouveront plus de candidats pour les postes qu’elles proposent. De surcroît, si l’on tient compte de la hausse de la demande engendrée par le revenu de base, on peut s’attendre à une augmentation de l’inflation. Toutefois, compte tenu du niveau élevé de chômage et de temps partiel subi, nous estimons qu’une telle situation n’est envisageable qu’avec un montant très élevé de revenu de base.

Produire moins…

Posons-nous tout de même la question : serait-ce un problème si les employeurs classiques ne trouvaient plus les travailleurs dont ils ont besoin ? Pas nécessairement.

Supposons que le retrait du marché du travail soit tel qu’à l’échelle du pays la production diminue. La réduction de la production marchande qui s’ensuivrait n’est pas un problème tant que la production des biens et services essentiels reste assurée6. On peut en effet juger qu’un grand nombre de biens et services produits aujourd’hui ne satisfont pas de réels besoins, mais participent de la logique d’une société où la consommation permet avant tout d’affirmer un statut social et où la fonction de la production est d’abord de maintenir l’emploi ou d’assurer un profit.

Ne serait-ce pas une bonne chose que les individus décident de travailler moins, afin d’accorder plus de temps à des activités comme faire de la musique, du sport, passer plus de temps avec leurs enfants ou s’engager dans l’éducation populaire, monter un film ou créer un logiciel en libre accès, s’investir dans une association, s’engager dans la vie de la cité… ? Autrement dit que l’on libère « du temps de travail pour » des activités non-productives au sens économique du terme, mais « des “activités supérieures”, qui se confondent avec la vie elle-même, sont à elle-même leur propre fin »7. N’était-ce pas là le but du progrès technique et tout l’intérêt des gains de productivité qu’ils ont permis ?

Évitons néanmoins de pêcher par excès d’optimisme. Les marges pour gagner en productivité ne sont pas illimitées et il n’est pas sûr que le travail nécessaire pour assurer à tous un niveau de vie décent continue à diminuer. Au contraire, la nécessaire transition énergétique va demander beaucoup de travail, notamment pour mieux isoler l’ensemble du parc immobilier, développer les énergies renouvelables, les transports collectifs ou partagés, ainsi qu’une agriculture respectueuse de l’environnement8.

… ou produire autrement

Plus qu’encourager les individus à travailler moins, le revenu de base est susceptible de leur permettre de travailler autrement. Tout d’abord, en permettant de négocier de meilleures de conditions de travail ou un meilleur salaire à tous ceux qui se voient attribuer les tâches les plus ingrates, qui ont la plus faible autonomie dans leur travail, qui ont les contrats les plus précaires ou de faibles perspectives d’évolution.

Par ailleurs, le revenu de base suffisant devrait permettre à certains de choisir de développer leur propre activité productive. Certains pourraient même décider de développer des formes innovantes de production, plus inclusives socialement : la production associative, la coopérative municipale9 ou même la production démonétisée suivant les logiques de l’économie collaborative en plein développement.

Ainsi le revenu de base tel qu’espéré par André Gorz ne devrait pas conduire à une baisse de la production, mais plutôt à un changement de la forme que cette production prendra ainsi qu’à un changement dans les rapports de force au sein des entreprises.

Éviter les fuites à l’importation

Il existe un risque plus probable que la baisse de la production marchande – qui peut être vue comme une bonne chose – : c’est qu’un revenu de base élevé, en conduisant à une hausse conjointe de la demande et des salaires des travailleurs les moins qualifiés, réduise la compétitivité-prix de notre économie et creuse son déficit commercial10.

Cet effet se trouverait renforcé dans le cas d’une baisse de la production nationale compensée par les importations. C’est pourquoi un pays seul ne peut proposer un revenu de base élevé sans que ses voisins ne le suivent. Ainsi, si la France veut un revenu de base élevé, il faudrait à minima que ce droit s’étende au niveau européen.

La question de la fiscalité et de la dépense publique

Si la décroissance ou la transformation de la production marchande ne signifient pas forcément baisse du niveau de vie, elles posent tout de même la question du financement de la dépense publique. En effet, si la production marchande diminue suite à l’introduction d’un revenu de base élevé, cela conduirait à une réduction de l’assiette fiscale qui permet de financer les services publics ainsi que le revenu de base lui-même.

D’un autre côté, nous pensons que ce risque est limité compte-tenu du fait que nous sommes plutôt dans une situation de crise liée à l’insuffisance de la demande. Ainsi un revenu de base à 600 € ou 700 € aurait tendance à relancer l’activité et donc à accroître l’assiette fiscale plutôt qu’à la réduire.

Mais si la mise en place d’un revenu de base élevé conduit au développement d’une offre alternative de biens et services (auto-production, bénévolat, etc.), on court le risque d’assécher la base fiscale. La perspective de développement d’une offre démonétisée se substituant largement à l’offre marchande a donc des limites, à moins que spontanément ne se développe aussi une production démonétisée de certains services collectifs qui permettrait d’alléger les besoins de financements publics : crèches parentales, associations de bénévoles dans l’éducation populaire, prise en charge de l’entretien des espaces verts par les citoyens, etc. Toutefois, si l’investissement citoyen dans les services collectifs est souhaitable, on ne peut pas parier dessus pour justifier un retrait de la dépense publique, sauf éventuellement à rendre cet investissement obligatoire dans le cadre d’un service civique11. Ceci étant, notre conviction est que le revenu de base ne saurait justifier que l’on sacrifie notre offre de service public qui est au coeur de notre contrat social12.

Le revenu de base ne se substitue pas aux services publics

Comme le rappelait Daniel Raventos dans cette interview, le revenu de base n’a pas vocation à se substituer aux services publics ni à justifier le démantèlement des acquis sociaux. Il s’inscrit en continuité de droits fondamentaux tels que l’éducation ou la santé.

Aujourd’hui on ne se pose plus la question du droit à l’éducation gratuite. Pourquoi se la poser vis-à-vis du droit à une existence digne ?

C’est ce qui conduit les défenseurs de la dotation inconditionnelle d’autonomie (DIA) à privilégier la gratuité plutôt que le revenu de base. Si l’on suit ce raisonnement, qui s’inscrit dans une perspective de réaffirmation du rôle de l’Etat, la question du montant du revenu de base devient secondaire : peu importe le prix, ce qui compte c’est d’assurer l’accès aux biens et services élémentaires (alimentation, santé, logement, énergie, éducation, culture…). Néanmoins, que l’on parle de gratuité ou de revenu de base suffisant pour vivre (sans emploi salarié), on demeure dans la difficulté de déterminer ce qui doit être gratuit (ou suffisant) et comment on met cette gratuité en place.

L’alternative se trouve donc entre fournir un service public gratuit ou financer l’accès aux services essentiels par un revenu de base. Pour nous, l’institution d’un revenu de base ne saurait aller de pair avec un rétrécissement des services publics d’éducation ou de santé. Qui plus est, un certain nombre de services publics doivent aujourd’hui continuer à se déployer : l’offre de transports collectifs et leur accessibilité (éventuellement en assurant la gratuité des transports en commun en ville, comme à Chateauroux ou à Aubagne), l’offre de logement social dans les zones denses, le nombre de places en crèche, l’éducation gratuite à la culture, etc. Autant de services gratuits qui peuvent diminuer le montant que l’on alloue au revenu de base.

L’acceptabilité politique de la socialisation du revenu

Dans l’esprit d’un grand nombre de citoyens, le revenu de base risque d’apparaître comme une modalité de redistribution du revenu, une forme de solidarité, ce qui est en soi discutable (voir Le revenu de base est-il un revenu primaire ou un revenu de solidarité ?). Il est vrai que le revenu de base, s’il est financé par l’impôt13, peut être décrit de la manière suivante : tout le monde met une proportion égale de son revenu dans un pot commun qui ensuite est redistribué à tous. Dés lors qu’il appréhende ainsi le revenu de base, le citoyen se demande quelle proportion de son revenu il mettra dans le pot commun, quel est le coût fiscal de cette mesure. On est donc obligé de se poser la question de l’acceptabilité politique de la hausse des prélèvements obligatoires qu’impliquerait le revenu de base.

Marc de Basquiat suggère dans sa thèse de 2011 que l’on peut mettre en place un revenu de base à 400€ par adulte et 200€ par enfant – financé par un impôt proportionnel de 20% sur tous les revenus dés le premier euro gagné – sans bouleverser la redistribution globale opérée dans le système actuel par le RSA, la prime pour l’emploi, les exonérations Fillon et les allocations familiales. Autrement dit, une telle mesure n’augmenterait pas en moyenne l’imposition nette – c’est-à-dire celle dont on déduirait le revenu de base perçu. Tout se passe donc aujourd’hui, à certaines approximations près14, comme si tout le monde mettait 20% de tous ses revenus dans un pot commun qui était redistribué de façon égalitaire entre tous.

Bien entendu, si l’on propose un revenu de base plus élevé, la part de revenu que chacun met dans le pot commun va augmenter de même que le niveau d’imposition nette. Un calcul rapide dirait que pour financer un revenu de base de 600 € par adulte (et 300 € par enfant), la part de revenu à mettre en commun serait de 30%15.

Quelle part les citoyens sont démocratiquement prêts à mettre en partage ? Le chiffre ne sera pas le même s’ils l’envisagent comme une nouvelle forme d’assistanat aux plus pauvres que s’ils ont une vision éclairée du sens du revenu de base et qu’ils l’envisagent comme un droit universel et un vecteur de développement.

Effet du revenu de base sur la pression environnementale

Un revenu de base élevé, en augmentant le pouvoir d’achat des ménages modestes, devrait logiquement conduire à une hausse de leur consommation et donc de l’empreinte écologique.

Cette conséquence n’est pas automatique. On pourrait penser au contraire, en suivant la logique de Gorz, que le revenu de base, en permettant au plus grand nombre de s’épanouir dans des activités de production ou de loisir pleinement autonomes et en-dehors des logiques aliénantes de la productivité maximale, nous détourne de cette course à la consommation à laquelle nous invite chaque jour la publicité. Soulignons que si le pus grand nombre se tourne vers la simplicité volontaire et l’auto-production, alors le revenu de base n’a pas besoin d’être aussi élevé, comme le rappelle justement Baptiste Mylondo dans son dernier ouvrage16.

Pour autant, on ne peut parier sur le fait que tout le monde se convertira à la sobriété dans la consommation. On peut compter encore moins sur la sobriété dans la mobilité : chacun a le droit de se déplacer autant qu’il l’entend et le transport de personnes (à égalité avec celui de marchandises) – notamment en voiture et en avion – est en France le premier contributeur aux émissions de gaz à effet de serre.

Ainsi, pour contrecarrer les éventuels effets néfastes pour l’environnement d’une augmentation de la demande, il est nécessaire de mettre en place parallèlement au revenu de base de réelles mesures pour réduire les pollutions diverses et autres surexploitations des ressources.

Une réelle fiscalité écologique par exemple – avec notamment une taxe carbone élevée – serait un pré-requis à la mise en place d’un revenu de base élevé. Cela permettrait d’orienter les consommateurs et les producteurs vers les produits et les modes de production et de consommation les moins polluants.

Conclusion : quels critères pour augmenter le revenu de base ?

Pour André Gorz, la question du montant du revenu de base était secondaire, subordonnée à celle de la remise en question du salariat. En parallèle de ces considérations d’ordre philosophiques plaidant pour une réforme profonde de notre société, notre approche a consisté en une mise en lumière des éléments conditionnant la mise en place d’un revenu de base élevé.

Tout en soulignant que le caractère suffisant du revenu de base dépendait de divers facteurs relatifs notamment à la composition du foyer ainsi qu’au lieu de résidence, nous pensons qu’il existe une marge de manoeuvre non négligeable pour l’augmenter sensiblement au-dessus du RSA. Les effets “décroissants” du revenu de base sur le volume de travail, sur la production marchande et donc sur l’assiette fiscale ne devraient pas se faire sentir dans le contexte actuel de crise économique.

Néanmoins, il est préférable de mettre en place le revenu de base au niveau européen compte tenu des risques de fuites à l’importation.

Par ailleurs dans une telle configuration, le revenu de base peut entraîner une aggravation de la pollution et de notre pression sur les ressources naturelles. C’est pourquoi nous prônons la mise en place d’une fiscalité écologique ferme couplée à une réelle politique de compétitivité hors-prix (notamment en promouvant l’innovation) et d’engagement dans la transition écologique. Le revenu de base viendrait en appui de ces politiques en permettant aux individus de supporter la hausse du prix des ressources et en facilitant l’accès à la formation.

Comme nous l’avons vu en ce qui concerne le logement, le revenu de base ne saurait régler à lui seul l’ensemble des questions relatives à l’accès aux biens essentiels. Il doit être envisagé dans le cadre d’une politique socio-économique cohérente en phase et en continuité avec le rôle de l’Etat dans la garantie des droits fondamentaux (éducation, logement, santé…). De ce point de vue, nous estimons qu’on ne peut passer outre la question de l’acceptabilité politique du revenu de base. Le taux de socialisation du revenu qu’accepteront les citoyens dépendra de leur capacité à comprendre le revenu de base d’une part comme un droit fondamental et d’autre part comme une reconnaissance du potentiel et de la contribution de chacun à la richesse sociale.

Amaru Mbape et Jean-Eric Hyafil


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Notes

1 André Gorz, Misères du présent, richesse du possible, 1997

2 Par-delà la diversité des propositions relatives au montant du revenu de base, tous les défenseurs du revenu de base sont d’accord pour dire que celui-ci ne saurait être inférieur au RSA de telle sorte qu’aucun individu parmi les plus fragiles ne perde à la réforme. (dont on peut éventuellement déduire le forfait logement qui n’est pas distribué quand on touche les aides pour le logement).

3 Rappelons qu’André Gorz refusait de rentrer dans ce débat, car le revenu de base s’inscrivait chez lui dans un changement radical de paradigme. “L’allocation universelle d’un revenu suffisant doit (…) être inséparable du développement et de l’accessibilité des moyens qui permettent l’autoactivité et y incitent, c’est-à-dire des moyens par lesquels les individus et les groupes peuvent satisfaire par leur libre travail une partie des besoins et des désirs qu’ils auront eux-mêmes définis. C’est pourquoi les discussions sur le montant d’un revenu suffisant n’ont pas grand sens en elles-mêmes : elles détournent du fond de la question posée par les mutations en cours, en situant celles-ci dans le cadre de la société salariale et en cherchant à financer l’allocation universelle par la redistribution fiscale. Or la perspective qui s’ouvre à nous et dans laquelle il faut se placer est celle d’une régression du travail emploi, des ventes de travail et de services, et d’un développement des équipements et des services collectifs, des échanges non monétaires et des autoproductions” (André Gorz, Misère du présent, Richesse du possible, 1997, p138)

4 Remarquons que dans les modalités de calcul retenues par l’INSEE, le seuil de pauvreté pour un couple est égal à 1,5 fois le seuil de pauvreté pour une personne seule.

5 Dans son ouvrage La République et ses territoires : la circulation invisible des richesses(2008) Laurent Davezies met en évidence comment la redistribution de revenu opérée par les systèmes de protection sociale (retraites, chômage) permet de dynamiser l’économie présentielle (services de proximité, services aux ménages, bâtiment, distribution, etc.) et donc l’emploi dans des régions et des villes qui ne peuvent être compétitives dans l’économie d’exportation

6 Si la production du nécessaire n’est plus assurée, alors la raréfaction de l’offre jointe à l’augmentation de la demande – le revenu de base solvabilisant la demande des ménages modestes – conduirait à une inflation sur le prix des biens et services nécessaires. Cette inflation réduirait la valeur réelle du revenu de base (son pouvoir d’achat).

7 André Gorz, Les Métamorphoses du travail, 1988, p. 155

8 Voir Jean Gadrey, Adieu à la croissance, 2010

9 Voir Jean Zin, “Du revenu garanti aux coopératives municipales”

10 Toutefois, on pourrait aussi imaginer la conséquence inverse : en libérant les énergies notamment dans la production de savoirs, un revenu de base permettrait à notre économie d’être parmi les plus compétitives dans les secteurs où la valeur repose le plus sur la connaissance (voir Carlo Vercellone et Jean-Marie Monnier, “Fondements et faisabilité d’un revenu social garanti”, Multitudes4/2006 (no27), p. 73 – 84.).

11Voir par exemple Bruno Théret (2011) et sa proposition d’articuler une baisse du temps de travail avec une forme de service civique

12 « Le développement d’un espace public d’activités autonomespeut entraîner une réduction limitée des prestations et des services de l’Etat-Providence. Autrement dit, lorsque le temps disponible cesse d’être rare, certaines activités éducatives, de soin, d’aide, etc., peuvent être rapatriées en partie dans la sphère des activités autonomes et réduire la demande de prise en charge par des services extérieurs, publics ou marchands. Le développement inverse, en revanche, est exclu : une expansion de la sphère des activités autonomes ne peut, par principe, résulter d’une politique qui réduit ex ante les prestations et services de l’Etat, mettant ainsi les couches les plus démunies dans l’obligation de se débrouiller par elles-mêmes. L’expansion d’une sphère de l’autonomie suppose toujours que, le temps ayant cessé d’être compté, les individus aient choisi de rapatrier dans la sphère domestique ou dans la sphère microsociale de la coopération volontaire des activités que, faute de temps, ils avaient abandonnés à des services extérieurs. » (André Gorz, Les métamorphoses du travail, 1988, pp 272 – 273)

13 Mais on peut aussi proposer un financement du revenu de base par création monétaire, par redistribution des recettes provenant d’une taxation écologique…

14 Cela varie beaucoup suivant la composition familiale

15 Cependant, il ne faut pas oublier qu’avec un peu de croissance économique, l’assiette fiscale s’accroît, ce qui permettrait de réduire le taux de prélèvement nécessaire pour financer un même niveau de revenu de base : si le PIB s’accroît de 5% en termes réels, alors le taux d’imposition pour financer un revenu de base de 600€ (inflation déduite) ne sera plus de 30% mais de 28,5%. En outre, il faut rappeler qu’un revenu de base à 600€ permettrait probablement de relancer l’activité, et donc d’accroître le PIB et l’assiette fiscale. A l’inverse, au-delà d’un certain montant, le revenu de base pourrait conduire à un retrait massif des travailleurs de l’économie officielle fiscalisée et donc à une diminution de l’assiette fiscale. Mais comme on l’a dit précédemment, vue la situation de sous-emploi actuel, ce seuil est probablement très élevé et ne sera pas atteint.

16 Baptiste Mylondo, Un revenu sans condition, éditions Utopia, 2012