Suspendue de l’agence pour l’emploi où elle travaillait pour avoir dénoncé sur son blog les dérives des réformes de la protection sociale en Allemagne, Inge Hannemann secoue la politique sociale allemande et a lancé une pétition contre les sanctions. Portrait.

C’est en 2005 que Inge Hannemann se fait embaucher par le Jobcenter d’Hamburg Altona. De l’intérieur, elle y découvre la machinerie sociale allemande, les lois “Hartz IV” (dont nous parlions déjà sur ce site il y a quelques mois) et ses réformes connues sous le nom d’Agenda 2010.

Mais cette femme de 45 ans ne rentre pas dans le moule fonctionnaire de l’institution allemande. Elle n’applique que rarement les différentes sanctions prévues par les lois sur l’assurance chômage – en cas de manquement à un rendez-vous par exemple – pas plus qu’elle ne suit les méthodes des Jobcenters pour se débarrasser statistiquement des demandeurs d’emploi. En avril 2012, elle commence à dénoncer ces pratiques sur son blog et argumente, preuves à l’appui, contre leur aspect anticonstitutionnel.

De retour de vacances pendant lesquelles elle aura écrit des lettres « enflammées » à ses collègues, à ses supérieurs et aux politiques, Inge Hannemann est suspendue de ses activités par l’agence d’Hamburg Altona. Malgré un appel devant le conseil des Prud’hommes (Arbeitsgericht), la suspension prononcée en avril 2013 n’est toujours pas levée.

Un courage civique inédit

Mais pendant ce temps, Inge Hannemann s’est fait un nom… Consciente des pressions que les demandeurs d’emploi subissent pour accepter des offres d’emploi inacceptables et de leur détresse face à une politique sociale qui cherche plus à se débarrasser d’eux qu’à les insérer dans la société, elle dénonce les dérives inhumaines du « modèle allemand » avec un courage civique jamais vu dans l’agence pour l’emploi allemande. Ses argumentations sont précises, fondées et prouvées.

Elle insiste tout particulièrement sur les effets psychologiques négatifs dus à la perception des allocations Hartz IV dans un livre de 2012 (« Negative psychische Auswirkungen durch den Bezug von Hartz IV », Editions Grin) et les risques de suicide auxquels font face les demandeurs d’emploi. Dans une société où les employés appliquent les yeux fermés les règles mises en place par leurs supérieurs, Inge Hannemann résiste et prend ses responsabilités en tant qu’humain : non aux sanctions contre des citoyens en péril.

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La presse prend note

La suspension d’Inge Hannemann a fait de nombreuses vagues dans la société allemande, qui s’empare de l’affaire. Tantôt en inquisiteur, tantôt en défenseur de l’ex-employée de l’agence pour l’emploi, les actes de rébellion et de bravoure de l’Hambourgeoise font couler l’encre des journalistes. Mme Hannemann ne baisse pas la tête suite à sa suspension et continue à faire le tour d’Allemagne pour tenir des conférences, donner des interviews et écrire des articles témoignant de son expérience.

Parce qu’elle est issue de l’intérieur du système social allemand et grâce à son éloquence et à sa répartie sur les questions sociales relatives à l’emploi, son témoignage est pris au sérieux. Une réelle prise de conscience et une remise en question du système commencent à poindre en Allemagne. Pour couronner son action exemplaire, le prix « Taz-Panter-Preis » qui récompense des personnes s’étant « engagées socialement, politiquement ou simplement humainement pour venir en aide à d’autres, pour faire face activement aux injustices politiques ou sociales » lui est remis en septembre 2013.

L’acte le plus récent de cette ®évolution sociale est la publication d’une pétition sur le site gouvernemental « epetitionen.bundestag.de » le 20 novembre 2013. Les citoyens allemands ont jusqu’au 18 décembre pour faire parvenir 50.000 signatures et offrir ainsi à Mme Hannemann une audience publique devant le Parlement allemand et un débat parlementaire sur la question des sanctions liées à Hartz IV. La pétition a connu un bon succès dès le début et a déjà trouvé 40.000 signataires en trois semaines.

Un appel à l’inconditionnalité des prestations sociales

Parce qu’Inge Hannemann sait que les demandeurs d’emploi ont tout d’abord besoin d’un revenu pour avoir une chance de pleinement participer à la société, elle défend concrètement l’idée du revenu de base. En fait, sa pétition contre les sanctions n’est rien d’autre qu’un appel à l’inconditionnalité des prestations sociales déjà en place. Elle approuve l’idée que chacun doit avoir la liberté de choisir ce qu’il veut faire de sa vie, de trouver la profession pour laquelle il est destiné et que tout particulièrement les millions de bénévoles œuvrant dans la société puissent enfin être rétribués.

Elle ne sait que trop bien le besoin qu’a chaque individu de trouver sa place dans la société et les risques qu’encourent ceux qui la cherchent inexorablement, dont font partie nombre de demandeurs d’emplois et d’employés précaires. Le revenu de base a trouvé en Inge Hannemann un soutien très fort sur le plan essentiel que l’idée veut transmettre : son humanité.

Le courage et la détermination d’Inge Hannemann face aux institutions déshumanisées forcent l’admiration. Elle nous rappelle que s’engager concrètement pour une société plus juste et plus humaine débute souvent par le refus systématique de tout conformisme.


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