Mercredi 14 octobre au JT de 20h, David Pujadas attirait l’attention sur l’actualité finlandaise. Le gouvernement va y expérimenter « un revenu minimum universel pour tous ». L’introduction est simple et claire : « cette allocation de base qui remplacerait toutes les aides pour ceux qui ne travaillent pas et qui s’ajouterait au salaire pour ceux qui travaillent est une idée ancienne. La Finlande veut passer à l’acte, ce serait une première ».

Le reportage effectué en Finlande est intéressant, bien structuré, avec quelques imprécisions qu’il convient de signaler. En revanche, la conclusion de François Lenglet révèle une méconnaissance du sujet. Nous l’invitons à prendre connaissance de notre rapport LIBER, un revenu de liberté pour tous pour corriger ses erreurs d’analyse, qui tiennent en trois points : la confusion entre prestations contributives et allocations de solidarité, la crainte non fondée d’une préférence générale pour l’oisiveté, une vision partielle du dispositif qui laisse entendre que la proposition serait inégalitaire.

Les prestations contributives ne sont pas concernées

Dans le reportage en Finlande, une approximation apparaît sur le schéma crayonné par le reporter sur son cahier. Il indique qu’il s’agit de supprimer « les retraites, les indemnités chômage, en fait toutes les allocations, pour les remplacer par un seul revenu universel ». Il se rattrape quelque peu en évoquant les montants proposés : « 400 euros, 750 soit le minimum vieillesse, ou carrément 1000 euros ».

Le terme de « retraite » est mal choisi, car il ne s’agit pas de supprimer les prestations dites « contributives », pour lesquelles les personnes ont cotisé au long de leur vie active, mais bien plutôt les prestations « non contributives », financées par le budget général de la Nation, correspondant effectivement chez nous au « minimum vieillesse », aujourd’hui appelé ASPA (Allocation de Solidarité aux Personnes Agées). De la même façon, il ne s’agit pas de supprimer l’assurance chômage, financée par les contributions des salariés, mais plutôt les mécanismes de solidarité pour les chômeurs, tels que le RSA.

De même, pour répondre à l’inévitable question sur le financement, François Lenglet improvise : « L’idée c’est de supprimer tout ou partie des aides sociales existantes, les allocations logement, les allocations familiales, et même la retraite de base de la sécu, et de distribuer tout cet argent aux Français de façon égalitaire, quelle que soit leur âge et leur situation ». Concernant les aides au logement, c’est bien évidemment faux : un revenu universel et individuel ne pouvant, par définition, pas répondre efficacement à la diversité des situations des ménages. Concernant les allocations familiales, elles sont destinées à financer les besoins des enfants, pas des adultes. Enfin, la « retraite de base de la sécu » est une assurance financée par les cotisations des salariés, ce qui n’a rien à voir avec l’ASPA évoquée plus haut. Les trois prestations évoquées par François Lenglet ne sont donc pas concernées.

Un revenu d’assistanat encourageant l’oisiveté

Le journaliste interroge des Finlandais, en particulier l’un d’eux, sans travail, qui répond avec franchise : « Je ne veux pas travailler pour travailler. En ce moment, les 600€ d’allocation chômage que je touche tous les mois, ça me suffit ». Ceci appelle la question clé : « Est-ce que tu vas vraiment chercher un travail si tu touches ‘assez’ d’argent ? ».

Rappelons à cet égard l’importance cruciale du choix du montant du revenu inconditionnel. Un montant élevé se traduit effectivement par ce que les économistes appellent « l’effet revenu », les bénéficiaires pouvant s’estimer satisfaits de cette manne pour assurer une existence conforme à leurs aspirations. Par ailleurs, ce montant généreux ne peut se financer qu’au prix d’un taux de prélèvement élevé, ce qui induit nécessairement « l’effet de substitution » qui exprime la désincitation induite par une rémunération trop fortement ponctionnée.

Au niveau de 400 à 500 euros par mois, il est probable que la désincitation « effet revenu » soit limitée aux personnes qui font le choix d’une vie particulièrement frugale. Ce qu’exprime le jeune Finlandais interviewé invite effectivement à ne pas trop s’éloigner de cette zone. Par ailleurs, l’empilement de mesures destinées à diminuer le coût du travail pour l’employeur (exonération Fillon, CICE, taux de cotisations réduits pour les bas salaires) limite l’effet de substitution, mais au prix d’une complexité qui ne va pas sans peser sur la fluidité du marché du travail.

Une proposition inégalitaire ?

Le reportage se conclut par quelques mots de l’économiste Joonas Rahkola. Sceptique, celui-ci signale qu’on ne peut pas « mettre en place ce revenu universel et garantir en même temps que tout le monde gardera le même niveau de vie, quelle que soit sa situation, c’est le principal problème ». Il précise également qu’il faudra encore d’autres aides sociales, même avec un revenu universel. Nous ne pouvons que confirmer cette prudence, le calage du dispositif étant assez complexe et des cas particuliers (handicap, logement, dépendance, etc.) devant nécessairement faire l’objet de mécanismes d’aides complémentaires.

Le journaliste va plus loin en indiquant que pour cet économiste « l’idée est trop belle pour devenir une réalité, elle est aussi très inégalitaire », sans la moindre explication sur ce jugement. De même, pressé par David Pujadas de donner son avis, son sentiment, François Lenglet révèle sa compréhension lacunaire de la proposition : « L’état providence ne doit-il pas aider les citoyens de leurs moyens à proportion de leurs besoins, de leurs difficultés ? Est-ce qu’on peut imaginer par exemple qu’un jeune de bonne famille, avec un bon diplôme, touche chaque mois exactement la même somme qu’un chômeur sénior non qualifié ? Sous ses dehors égalitaires, ce revenu universel est en réalité très inégalitaire ».

Cette erreur d’analyse est assez fréquente chez ceux qui n’ont pas perçu la logique complète, combinant le revenu universel avec une fiscalité qui assure la différenciation de traitement entre ceux qui ont des revenus et ceux qui n’en ont pas. Notre rapport LIBER, un revenu de liberté pour tous explique ceci de façon précise. Chaque individu est ainsi crédité d’une somme couvrant ses besoins de subsistance, quelques soient les vicissitudes de l’existence, tandis que chacun contribue au financement de façon proportionnée à ses moyens.

A cet égard, nous invitons le lecteur à se reporter à la tribune publiée le 13 octobre par Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des Inégalités : « Pourquoi faire payer les riches ne paie plus »[1]. Il y explique de façon limpide pourquoi des solutions fiscales universelles sont préférables au point de vue de la légitimité et de l’efficacité.

Les points forts du revenu d’existence inconditionnel

L’interview d’Annika Saarikko, vice-présidente du parti de centre-droit actuellement au pouvoir en Finlande, est dénuée d’ambiguïté. Constatant que l’Etat Providence à la finlandaise ne marche plus, il faut tenter autre chose : « On a été un des meilleurs pays au monde dans beaucoup de domaines, mais c’est fini car notre situation économique empire. On doit trouver de nouveaux moyens pour aider la population. Nous ne voulons pas faire de différence entre les gens, pourquoi certains sont pauvres… On veut donner la même somme d’argent pour tout le monde ».

Le fait qu’un pays scandinave, depuis longtemps à l’avant-garde en matière sociale, s’oriente vers une solution universelle, « sans faire de différence entre les gens », est un signal extrêmement fort. D’autant que la mesure est soutenue par 80% de la population et 70% des députés finlandais. L’idée fait également son chemin en France. Un sondage IFOP publié en mai 2015 montrait que les Français sont à 60% favorables « à la mise en place d’un revenu de base garanti à tous les citoyens qui se substituerait à la plupart des allocations existantes ». François Lenglet reconnait d’ailleurs ce large soutien : « C’est l’une des rares idées qui permet de réconcilier la gauche et les libéraux de droite, parce que la gauche y voit un instrument de lutte contre la pauvreté tandis que pour les libéraux, c’est un levier de réforme d’un État providence qu’ils jugent trop complexe et coûteux ».

La conclusion du reportage finlandais pose la bonne question : « Le travail doit-il être au centre de nos vies ? Ici on est convaincu que la croissance économique est trop faible pour offrir un emploi à tout le monde. C’est une vraie révolution qui s’annonce, et le revenu universel est un moyen de s’y préparer ».

Dans notre pays où plus personne ne croit au retour du plein emploi des Trente Glorieuses, sauf quelques démagogues et nostalgiques, certains travaillent heureusement à mettre en place des solutions adaptées à un monde où le travail se fait intermittent, pluriel, mobile, cognitif… C’est par exemple le cas du Compte Personnel d’Activité, annoncé par le gouvernement pour mise en œuvre dès janvier 2017. Modeste au départ, ce nouveau dispositif permettra la portabilité de droits sociaux lors des changements d’employeurs, donnant au salarié les moyens opérationnels de gérer l’accès à des prestations individuelles.

Au final, reprenons la conclusion de la tribune publiée par Laurent Joffrin dans les colonnes de Libération le 22 juillet 2015 : « Les conservateurs de tous bords en font une critique virulente, évidemment. A droite, on stigmatise un assistanat généralisé. A gauche (Attac par exemple), on fait l’éloge du salariat, seul à même de fonder les droits des travailleurs (lequel salariat a pourtant été longtemps décrié par les marxistes comme un régime d’exploitation…). Conservateurs de tous les partis, réfléchissez ! »[2].


[1] Interview Finlande : http://www.francetvinfo.fr/monde/europe/finlande-bientot-un-revenu-universel_1127915.html

[2] Commentaires de François Lenglet : http://www.francetvinfo.fr/monde/le-revenu-universel-une-bonne-solution_1127925.html

Marc de Basquiat est président de l’Association pour l’Instauration d’un Revenu d’Existence (AIRE).
Cet article a été initialement publié sur Génération Libre.