Peut-on définir un nouveau concept de justice environnementale pour définir la façon dont on utilise les recettes de la fiscalité écologique ?

La réduction des gaz à effet de serre (GES) passe nécessairement par la mise en œuvre d’une taxe carbone, si possible à l’échelle européenne voire mondiale. Le taux de cette taxe devrait augmenter d’année en année pour que nos émissions diminuent au rythme escompté. De façon plus générale, il faut renforcer l’ensemble des taxes écologiques, voire même les taxes à la consommation, pour réduire notre consommation de toutes les ressources rares comme les minerais, l’eau, le coton, la viande… Réduire notre empreinte écologique est aussi un impératif, notamment dans les pays développés qui, chaque année, polluent et consomment plus de ressources que ce que la planète est capable de supporter.

Mais il reste un problème : la fiscalité écologique est anti-redistributive. Celle-ci devrait en effet augmenter le coût du transport , de l’énergie pour se chauffer, mais aussi peut-être le prix à la consommation de certains biens alimentaires, des textiles ou d’autres biens de consommation dont la production est particulièrement polluante ou consommatrice de ressources, comme par exemple le papier. Certes, au sein de chaque pays, les plus riches polluent en moyenne plus que les plus pauvres, ne serait-ce parce qu’ils prennent plus l’avion. Néanmoins, la fiscalité écologique aura un poids plus important dans le budget des foyers modestes que dans celui des plus aisés.

Que faire pour contrer les effets anti-redistributifs de la fiscalité écologique ? Augmenter les salaires ne permettrait pas d’améliorer la situation de nombreux ménages modestes car dans le contexte de chômage de masse actuel, nombreuses sont les personnes ayant peu ou pas d’activité rémunérée. Nous répétons l question. Peut-on définir un nouveau concept de justice environnementale pour définir la façon dont on utilise les recettes de la fiscalité écologique ?

Si on considère le climat comme un bien commun de l’humanité, le droit d’émettre du CO2 devrait être équitablement réparti entre tous les habitants de la planète. Il faut réduire notre droit à émettre des gaz à effet de serre par une taxe carbone tout en gardant à l’esprit que ce droit doit être réparti équitablement entre tous. Partant de ce principe de justice environnementale, il faudrait redistribuer à tout le monde les recettes de la fiscalité écologique. C’est l’idée du dividende carbone, aussi appelé chèque vert, revenu de base écologique ou cap and dividend en anglais, défendue par James Hansen, professeur à l’université de Columbia et ancien climatologue en chef à la NASA, dans une lettre au président Barack Obama. Le Citizens Climate Lobby, le Basic Income Earth Network et le Mouvement Français pour un Revenu de Base en France la défendent aussi

Concrètement, la taxe carbone financerait une caisse dont la totalité des recettes serait redistribuée à tous sous forme de revenu de base : le dividende carbone versé à tous, de façon inconditionnelle, universelle et individuelle. Sans contrôle des ressources ni exigence de contrepartie.

Comprendre le mécanisme redistributif est simple. Il s’agit en fait d’un mécanisme de redistribution des individus dont la consommation et le mode de vie émettent beaucoup de CO2 – et qui donc paieront directement ou indirectement beaucoup de taxe carbone – vers les individus qui polluent beaucoup moins. Pour les premiers, la taxe carbone qu’ils paieront sera supérieure au dividende carbone qu’ils recevront. Pour les autres, ce sera le contraire. Tout se passera comme ceux qui émettent – directement ou indirectement – le plus de CO2 paient leur droit de polluer le plus à ceux qui en émettent le moins.

En somme, ce dividende carbone sera le loyer que chacun recevra sur son droit individuel sur les émissions de GES. Et le couple taxe carbone plus dividende carbone sera redistributif, alors que la taxe carbone seule ne l’est pas, tout simplement parce que les riches ont des comportements plus polluants que les plus modestes.

Certains diront « Mais la taxe carbone devrait financer la dépense publique, et surtout les investissements écologiques ! ». Évidemment, il faudra bien financer ces dépenses. Mais il faut aussi que l’ensemble du système socio-fiscal soit redistributif. C’est pourquoi le dividende carbone devra être inclus dans le revenu imposable. En effet, ce dernier ne doit surtout pas être compris comme une aide sociale, mais comme un loyer touché par chacun. En introduisant ce revenu de base écologique, on renforcera la progressivité du système socio-fiscal puisque le taux marginal d’imposition sur ce revenu supplémentaire sera plus élevé pour les plus aisés que pour les plus modestes.

D’autres ajouteront : « Mais alors, vous allez faire exploser le taux de prélèvements obligatoires ». Mais le taux de prélèvement obligatoire n’est qu’un indicateur qui n’a pas réellement de sens économique dans un système où tout le monde paie de l’impôt tout en recevant des prestations de l’Etat. Aussi peut-on considérer la taxe carbone non comme une taxe mais comme un prix. C’est le prix que l’on paie à tous les autres pour avoir le droit d’émettre du CO2. En considérant la taxe carbone ainsi, il n’y a aucun effet sur le taux de prélèvements obligatoires, qui, on l’a vu, n’est qu’un indicateur sans réel sens économique.

Alors à quelle échelle appliquer cette politique ? Dans l’idéal, à l’échelle mondiale, puisque le climat est un bien commun de l’humanité. Évidemment, à court terme, ce n’est pas si simple. Mais on pourrait au moins l’appliquer au niveau européen : une taxe carbone européenne redistribuée à tous les européens sous forme de dividende carbone.

Les conséquences d’une telle mesure pourraient se révéler inattendue. Ainsi, si un tel mécanisme avait existé à l’échelle de l’Europe depuis 2008, la crise grecque aurait été beaucoup moins violente car les Grecs émettent moins de GES que les autres Européens. Ils auraient payé une taxe carbone d’un montant plus faible que la moyenne européenne et auraient tous reçu ce dividende écologique.


Photo : Shangaï. Kim Seng – Flikr – Licence CC Generic