La négociation dans l’entreprise est devenue la formule préférée des politiques néolibérales. C’est tout l’esprit des lois Macron et El Khomri. La négociation, pour être équilibrée, implique un rapport de force et donc une lutte sociale. Notre système actuel est déséquilibré et la négociation est presque toujours à l’avantage des patrons. 90% des nouveaux contrats signés sont des emplois précaires qui rendent toute protestation impossible. Les salariés deviennent jetables. Nous avons besoin d’un revenu de base universel pour équilibrer les négociations dans l’entreprise.

La France est “le pays des Droits de l’Homme” et le temps est venu de réaliser cet idéal. On oublie trop souvent que pour qu’un droit soit réel, il faut que l’on puisse exercer ce droit. En d’autres termes, il faut que le droit soit effectif.

En France, l’IVG (interruption volontaire de grossesse) est un droit. De un, parce que c’est la loi. De deux, parce que les personnes concernées peuvent exercer ce droit. Inscrire un droit dans la loi ne suffit pas. Si l’IVG était légale mais qu’aucun hôpital ou centre de soin ne la proposait, l’IVG ne serait pas un droit. Certes, aucun représentant de l’État ne pourrait empêcher une personne d’enfoncer un cintre dans son utérus ou de payer 20 000€ pour une clinique privée – et en ce sens on aurait le droit à l’IVG – mais il serait impensable de décrire ce droit comme universel.

Qu’en est-il du droit de grève ? Reconnu par la Constitution depuis 1946, le droit de grève est considéré par beaucoup comme un acquis permettant la lutte. Le droit de grève est-il effectif ? Avons-nous réellement le droit de cesser l’activité, de façon collective, concertée et totale pour présenter des revendications professionnelles ?

Imaginons un salarié avec un loyer à payer, un emprunt à rembourser pour la voiture, un frigo et des placards à remplir. Il arrive à s’en sortir grâce à son SMIC aux 35h, sans trop se serrer la ceinture. Malheureusement pour lui son patron préfère payer des soirées festives et de belles voitures de fonction pour ses cadres, au lieu d’investir dans du nouveau matériel pour améliorer les conditions de travail des ouvriers. Quand l’entreprise commence à perdre de l’argent et que les ouvriers sont obligés de travailler plus pour compenser, ils décident de se mettre en grève.

Après un mois de grève, le patron n’a toujours pas décidé d’équilibrer les investissements. Notre salarié n’a eu aucun salaire ce mois-ci. Il ne peut pas payer son loyer, mais son propriétaire comprend et soutient la grève. Il lui donne trois mois pour rembourser. Le banquier est d’humeur bienveillante et il reporte la mensualité au mois suivant. Le salarié n’a pas à remplir les placards, il passe son temps au piquet de grève et les syndicats fournissent des repas.

Si tout se passait parfaitement pour lui, le salarié aurait le choix entre deux options désagréables. Première option, reprendre le travail et accepter d’être exploité. Deuxième option, continuer la grève tant que rien ne change et finir à la rue, criblé de dettes.

Comment rendre le droit de grève effectif

Le revenu de base universel est la garantie pour chaque membre de notre société d’avoir les moyens de subvenir à ses besoins de base. C’est l’assurance d’un niveau de vie décent pour tous et toutes. C’est un droit séparé des activités rémunérées, parce que salaire ou non, on a tous et toutes le droit de vivre.

Le salaire est la rémunération d’une activité, et il est logique que le salarié – s’il refuse l’activité – ne touche pas de salaire. Il ne faut pas imaginer le salaire comme un droit assuré à chaque membre de notre société. Aujourd’hui nous n’avons pas ce droit à vivre, car les redistributions actuelles (RSA, chômage, retraite…) sont des compensations de l’absence de salaire. Notre système de distribution des richesses ne devrait pas être pensé autour des activités rémunérées, parce que notre vie ne devrait pas être pensée autour des activités rémunérées.

Il nous faut un droit à vivre pour toutes et tous, y compris les salariés qui décident de ne pas risquer leur santé, physique ou mentale, au travail. Le revenu de base permet de dire non. Non à un travail dangereux. Non à un travail dégradant. Non à un travail humiliant. Le revenu de base permet ainsi la lutte sociale pour un meilleur travail.

Alors bien sûr, même si nous avons un revenu de base, la grève restera une perte financière. Il faudra se serrer la ceinture, ou les coudes, si on veut s’en sortir. Mais la situation sera équilibrée. Si au lieu de perdre 50€ par jour, je n’en perds que 25, je peux lutter deux fois plus longtemps*. Les instances dirigeantes des entreprises le sauront et le ton autour de la table des négociations sera beaucoup plus bienveillant. Par simple rationalité économique aux débuts, jusqu’à la création de réels liens entre collègues : ceux qui choisissent ensemble.

Nicolas Toublanc

Pour aller plus loin :


  • Je ne me prononce pas sur un montant optimal pour le revenu de base universel, cette décision doit être prise démocratiquement. Cet exemple à 50% du SMIC est une prévision peu élevée, mais qui améliore déjà les conditions de la lutte.

L’auteur signale que cet article est une tribune qui n’engage que lui, et pas le Mouvement français pour un revenu de base (MFRB) dans son ensemble.

Image : CC Pixabay.