Les Suisses n’en finissent pas de nous épater. Alors qu’il y a un an, peu croyaient en cette initiative, le mouvement suisse pour le revenu de base est en train de prendre de l’élan. Stanislas Jourdan, qui était sur place la semaine dernière, nous raconte.

La presse francophone est désormais unanime : avec plus de 110.000 signatures à 4 mois avant la fin de la campagne, l’initiative fédérale est sur le point d’aboutir. Selon la constitution suisse, il faut en effet 100.000 signatures pour qu’une initiative citoyenne aboutisse, déclenchant alors une votation sur le projet de loi proposé par les initiants bâlois et zurichois il y a un an.

Mais les représentants du BIEN-Suisse, qui s’est rallié aux efforts de leurs concitoyens germanophones pour organiser la récolte en Suisse Romande, ne cessent de le répéter : l’ambition est maintenant d’obtenir plus de 130.000 signatures d’ici début août, afin de se couvrir du risque qu’un certain nombre de signatures ne soient pas validées par les autorités communales (en raison de doublons et autres données non conformes).

Un référendum d’ici deux ans ?

Si cet objectif est atteint, alors le gouvernement soumettra le projet de loi à une votation populaire, c’est-à-dire un référendum où chaque électeur suisse sera invité à s’exprimer sur l’idée du revenu de base. En général, cette votation est organisée entre une et quatre années après que les autorités nationales aient officiellement reconnu le succès de l’initiative.

Mais rien ne presse” précise Ralph Kundig, membre du comité du BIEN-Suisse, “car si la votation intervient trop tôt, cela réduit aussi le temps nécessaire à ce que le peuple soit informé et fasse son propre jugement. En fait, le Conseil fédéral et le Parlement sont susceptibles d’accélérer le processus afin de prendre de court les initiants, sans nous laisser le temps nécessaire de préparer la (coûteuse) campagne précédant la votation” explique-t-il avant de relativiser : “d’un autre côté, écourter ce délai leur fait courir le risque qu’on surfe sur le capital sympathie de l’initiative Minder.

Minder, c’est le surnom d’une autre initiative contre les rémunérations abusives qui vient d’être couronnée de succès lors d’une récente votation.

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Autre danger pour le revenu de base : la chancellerie de la confédération a également la possibilité de soumettre un contre-projet, lui aussi soumis à votation populaire. Cette contre-proposition est souvent moins radicale que celle des initiants, si bien que, dans les rangs des activistes du revenu de base, on l’imagine déjà proposer un “faux revenu de base”, soumis à condition, avec un montant au rabais.

À propos de montant justement, précisons que les 2 500 francs mis en avant par les activistes suisses ne figurent pas dans le texte officiel de l’initiative, qui se contente de tenter d’inscrire le principe du revenu de base dans la constitution Suisse, comme c’est déjà le cas au Brésil (pdf).

Le succès de l’initiative n’indique en rien que les suisses plébisciteront la proposition de revenu de base. Il faut en effet rappeler que si les Suisses ont récemment accepté l’initiative Minder, ils en ont aussi rejeté une autre pour une augmentation des congés payés

A l’inverse de la plupart des autres initiatives fédérales, l’initiative pour un revenu de base inconditionnel n’a obtenu jusque-là qu’un faible soutien des syndicats et des partis politiques suisses. À l’exception notable du syndicat SYNA, des Verts Vaudois et Valaisans et des Jeunes Verts, plusieurs syndicats se sont exprimés ouvertement contre le revenu de base, dénonçant une “prime à la paresse” ou encore une hypothétique baisse des salaires en cas d’instauration du revenu de base. Myret Zaki, célèbre journaliste économique très critique à l’égard de la finance, dénonce quant à elle “un projet démagogique qui crée une mentalité de rentier.”

Ces critiques vont-elles dissuader le peuple Suisse de voter pour le revenu de base ? “Malheureusement, les initiants pourraient avoir raison trop tôt” craint Didier Berberat, Conseiller aux États neuchâtelois interrogé dans un reportage diffusé par la télévision Alpha Canal :

Pourtant, on sous-estime certainement l’impact d’ores et déjà acquis par ce succès, s’il se confirme.

Une première mondiale

Car quel que soit le résultat du vote, l’organisation d’une votation constitue en elle-même un événement historique majeur. Pour la première fois, un peuple de 8 millions d’habitants va s’exprimer directement à ce sujet, ce qui serait ni plus ni moins qu’une première mondiale pour cette idée vieille de plus de deux siècles.

Concrètement, cela signifie aussi que tous les citoyens en âge de voter recevront dans leur boîte aux lettres des documents informatifs sur le revenu de base, en amont de la votation. Cela signifie aussi que tous les partis politiques devront prendre position vis-à-vis de l’initiative. Un activiste s’enthousiasme :

On espère ainsi briser pour de bon le tabou (ou la timidité?) qui entoure généralement l’idée du revenu de base dans les milieux politiques

Maintenant, on nous prend au sérieux”

revenu-base-medias-suisseEt ce n’est pas tout : “Le regard des médias sur le revenu de base a fortement changé depuis que nous avons passé la barre des cent mille” constate Anne-Béatrice Duparc, membre du comité du BIEN-Suisse. Pour preuve, cette une du journal de gauche Le Courrier, qui titrait lundi dernier : “Le revenu de base s’est imposé dans le débat.”

Maintenant, on nous prend au sérieux” résume Anne-Béatrice. “Tous les suisses ont désormais l’occasion de réfléchir au fait que le droit à l’existence n’est pas forcément lié à une activité salarié. En soi c’est déjà est une réussite pour notre initiative.”

Certes une bonne partie de la gauche reste à convaincre, mais les soutiens continuent malgré tout d’affluer. Ainsi, M. Guy Mettan, représentant du parti de centre droite PDC a exprimé son soutien à l’initiative le 21 mai dernier lors d’une conférence à Genève en présence de Philippe Van Parijs, l’un des avocats majeurs de cette cause, et devant un public convaincu.

De bon augure pour l’initiative citoyenne européenne ?

Le succès de l’initiative est-il de bon augure pour l’initiative citoyenne européenne qui est actuellement en cours dans l’Union Européenne ? Hélas, nous avons encore beaucoup à apprendre, non pas sur le revenu de base, mais plutôt sur la démocratie.

C’est en fait plus facile en Suisse car ici, signer et faire signer une initiative est un sport national” explique Ralph Kundig, l’un des champions reconnus dans la discipline.

Et puis, comme les Suisses ne peuvent pas signer par voie électronique, cela force les initiants à aller dans la rue pour récolter des signatures sur des formulaires papier, créant au passage une vraie visibilité auprès des passants.

L’expérience de l’initiative citoyenne européenne montre à ce stade que récolter les signatures est plus difficile qu’en Suisse car les gens ne sont pas habitués à ce genre de procédure. Beaucoup pensent signer une simple pétition et manifestent donc leur inquiétude au moment de fournir un numéro d’identité.

Comme le dispositif de l’initiative citoyenne européenne n’est pas connu du grand public, nous devons parallèlement expliquer le principe du revenu de base, et celui de l’initiative citoyenne européenne.

Quoi qu’il en soit, ces difficultés ne doivent pas nous décourager, car s’il y a bien une leçon à retenir de ce qui se passe aujourd’hui en Suisse, c’est qu’un groupe de citoyens, aussi petit soit-il, peut accomplir de très grandes choses… s’il ose en relever le défi !


Crédit Photos : CC Stanislas Jourdan