Puisque le chômage technologique augmente de façon inéluctable, il faut mettre en place un revenu de base garanti pour tous, explique l’économiste britannique Robert Skidelsky.
Article initialement publié en anglais sur le site Project Syndicate. Traduction par Florian Martinon et Noélie Buisson-Descombes.
Dans un article récent intitulé “Sympathy for the Luddites” (en anglais), le prix Nobel d’économie Paul Krugman s’intéresse à l’impact de l’automatisation sur le futur du travail. Il observe que le conflit ancien opposant le labeur au capitalisme entre dans une nouvelle phase. Dans le passé, le progrès technologique remplaçait l’emploi non qualifié ; désormais il remplace même l’emploi qualifié. Du coup, il n’y a plus (ou pas assez) d’emplois qualifiés à pourvoir.
Dans les années 1930, Keynes écrivait déjà sur le problème soulevé par Krugman en parlant du “chômage technologique”, qu’il voyait comme l’opportunité d’élever l’activité de la société au dessus du travail et vers davantage de loisirs. Dans notre livre récent “How much is enough?” mon fils Edward et moi-même adoptons le même point de vue.
Comme Krugman, nous nous tournons vers la solution du revenu minimum garanti :
Si la description que j’ai faite est correcte, la seule façon qui soit d’avoir une classe moyenne dans la société – une société dans laquelle un citoyen lambda ait une assurance raisonnable afin de maintenir un niveau de vie décent aussi longtemps qu’il travaille dur et se soumet aux règles – serait par le fait d’avoir un filet de sécurité solide, un qui ne garantisse pas seulement les soins mais aussi un revenu minimum. Et considérant la croissance sans fin du partage des revenus allant au capital plutôt qu’au labeur, ce filet de sécurité devrait être financé par une extension importante via des taxes sur les bénéfices et/ou revenus d’investissements.
Que veut dire Krugman ici lorsqu’il dit “travailler dur et se soumettre aux règles”? Il semble voir ce “filet de sécurité” comme un bonus par rapport au salaire – un genre de bénéfice intra-emploi. Il a argumenté pour l’augmentation du salaire minimum aux Etats-Unis en citant exactement ces mots. Mais il a aussi dit qu’il n’y aurait pas suffisamment de travaux qualifiés pour que toute la classe moyenne ait un emploi. À quoi bon offrir un bonus à des salaires non-existants ?
Notre proposition est directement liée au problème soulevé par le duo Keynes/Krugman : celui de la croissance du chômage technologique. Nous sommes en faveur d’un revenu de base, alloué à tous les citoyens sur une même base : un revenu détaché du marché du travail, permettant ainsi un arbitrage entre travail et loisir. Il serait ainsi rendu possible pour un citoyen de vivre – même confortablement – en dehors du marché du travail, de la même façon que les riches continueraient à le faire. Offrir un tel choix est à la fois la preuve d’une démonstration affluente et la solution au problème du chômage technologique.
“Si le travail devient obsolète, ce sera le moment idéal pour remettre en question son statut central dans nos vies. ”
Un revenu de base universel permet de de débarrasser de la nécessité de travailler dur et aller de l’avant, de même que l’automatisation –en supprimant des emplois – fait disparaître la possibilité de le faire. Sans la nécessité constante de trouver un travail rémunéré pour vivre, un large éventail de possibilités s’ouvre. Si le travail devient obsolète, ce sera le moment idéal pour remettre en question son statut central dans nos vies.
Krugman a sûrement raison de penser qu’un revenu de base devrait être financé par l’État. Cela soulèverait un nouveau consensus politique à propos de qui doit profiter des bénéfices de la progression technologique. Mais s’il devient évident que de “travailler dur” ne paye plus, ceci n’aura plus du tout l’air d’une simple utopie.
Article initialement publié en anglais sur le site Project Syndicate. Traduction par Florian Martinon et Noélie Buisson-Descombes.
Crédit photo : Organisation for Economic Co-operation and Develop