Pour Martin Wolf, célèbre éditorialiste du Financial Times, il est temps de changer radicalement de modèle économique pour faire face à l’émergence d’une nouvelle économie dominée par l’accélération de l’automatisation du travail et les inégalités qu’elle entraîne.
Article initialement publié sur le Financial Times, traduit par Le Monde.fr
En 1955, Walter Reuther, président du syndicat américain des ouvriers de l’automobile, racontait sa visite dans une usine du groupe Ford. Désignant les robots, son accompagnateur lui avait demandé comment il s’y prendrait pour que ces machines versent leur cotisation au syndicat. « Et vous, comment allez-vous les convaincre d’acheter des Ford ? », répliquait M. Reuther. L’automatisation n’est pas une nouveauté. Pas plus que le débat sur ses conséquences.
Le problème est que la généralisation des technologies de l’information entraîne une inégalité croissante des revenus. Or la technologie pourrait, à terme, occuper une place bien plus importante.
Erik Brynjolfsson et Andrew McAfee, auteurs de The Second Machine Age (paru en janvier aux Etats-Unis), affirment qu’elle favorisera la prospérité de tous mais qu’elle modifiera la répartition des opportunités, d’une part, entre travailleurs et, d’autre part, entre travailleurs et détenteurs de capitaux.
Selon un récent article des chercheurs Carl Frey et Michael Osborne de l’université britannique d’Oxford, l’automatisation pourrait mettre en péril 47% des emplois américains. Au cours des prochaines décennies, « la plupart des ouvriers du secteur du transport et de la logistique, une grande partie des employés de bureau et des personnels administratifs en bas de l’échelle, mais aussi les ouvriers du secteur de la production risquent d’être remplacés par du capital informatique ».
Inégalités exacerbées
En outre, « dans un avenir proche, l’informatisation va surtout détruire des emplois peu qualifiés et faiblement rémunérés. En revanche, les emplois hautement qualifiés et à forte rémunération seront les moins susceptibles d’être remplacés par du capital informatique ». Ce qui exacerbera encore les inégalités.
Jeffrey Sachs (université Columbia, New York) et Laurence Kotlikoff (université de Boston, Massachusetts) affirment même que la hausse de la productivité pourrait dégrader la situation des futures générations. Le remplacement des ouvriers par des robots pourrait réorienter les revenus des premiers vers les propriétaires des robots, dont la plupart seront à la retraite et épargneront moins que les jeunes.
Cela diminuera l’investissement dans le capital humain, car les jeunes n’auront plus les moyens de le financer, mais aussi dans les machines, en raison de la diminution de l’épargne dans ce type d’économie.
Les robots pourraient rendre la distribution des revenus bien plus inégalitaire qu’elle ne l’est déjà.
L’argument selon lequel une hausse de la productivité potentielle dégraderait durablement la situation de tous est astucieux. Mais d’autres possibilités me paraissent plus plausibles : les licenciements d’employés pourraient provoquer un choc d’ajustement de grande ampleur ; les salaires des personnels non qualifiés pourraient chuter bien en dessous du minimum socialement acceptable ; conjugués à d’autres technologies, les robots pourraient rendre la distribution des revenus bien plus inégalitaire qu’elle ne l’est déjà.
Redistribuer revenus et richesses
Alors, que faire ? Mieux former ? La formation n’est pas une baguette magique, ne serait-ce que parce que nous ignorons quelles aptitudes seront requises dans trente ans. En outre, même si la demande de services de savoir créatifs, entreprenants et de haut niveau devait croître dans les proportions nécessaires, ce qui est déjà hautement improbable, penser que nous deviendrons tous des « happy few » (« d’heureux privilégiés ») relève du pur fantasme.
En revanche, nous devons reconsidérer notre conception des loisirs. Longtemps les plus riches ont vécu une vie oisive aux dépens des masses laborieuses. L’émergence des machines intelligentes permettra à un nombre infiniment plus grand de gens de mener une telle existence sans pour autant exploiter autrui.
Le puritanisme triomphant d’aujourd’hui est révulsé à la perspective d’une telle inactivité. Eh bien, dans ce cas, laissons les gens s’amuser « activement » ! Sinon, dans quel but aurions-nous réalisé l’accroissement considérable de la prospérité générale ?
Surtout, il faudra redistribuer revenus et richesses. Cela pourrait prendre la forme d’un revenu de base versé à tout adulte, auquel s’ajouterait un financement de périodes de formation à tout âge de la vie. Les fonds pourraient provenir de taxes sur les pratiques nocives (la pollution…) ou sur les locations (dont celles des terrains et, surtout, de la propriété intellectuelle).
Les droits de propriété sont une création sociale. Le fait que seule une minorité infime soit en mesure de profiter massivement des nouvelles technologies doit être remis en cause. L’État devrait ainsi recevoir automatiquement une part des revenus de la propriété intellectuelle qu’il protège.
Enfin, au cas où les suppressions d’emplois non qualifiés s’accéléreraient, il faudra faire en sorte que la demande croisse proportionnellement à la hausse potentielle de l’offre. Si nous réussissons, beaucoup d’inquiétudes liées à la pénurie d’emplois disparaîtraient. Il est vrai qu’au vu de notre incapacité à y parvenir depuis 2007, cette possibilité est incertaine. Mais nous pourrions faire mieux.
L’émergence des machines intelligentes doit nous permettre de vivre une meilleure existence. Cela dépendra de la façon dont les profits seront distribués. Il peut en résulter une infime minorité de gros profiteurs et une multitude de perdants. Mais l’avènement d’un tel techno-féodalisme n’est pas fatal. Ce n’est jamais la technologie qui dicte les résultats, ce sont les institutions politiques et économiques. Si celles dont nous disposons ne donnent pas les résultats souhaités,nous devons en changer
Article traduit de l’anglais par Le Monde.fr
Hypothèse de départ : les droits de propriété sont une création sociale
Moi : 🙂
Commentaire de l’auteur : c’est injuste (en gros)
Conclusion : faut continuer, mais avec plus d’impôts.
Moi : ????! :’(
Il faut que la valeur ajoutée créée par les robots soient fortement taxée pour financer un revenu de base. Ou même, encore mieux, que les industries qui produisent les produits de bases nécessaires à la vie (nourriture, énergie, habillement…) appartiennent à l’état.
Libérer l’être humain du maximum d’activités pénibles possibles, voilà le progrès. La force de travail humaine se tournera vers des secteurs d’activité qu’il n’est pas souhaitable de voir remplacer par des robots comme les écoles, les hôpitaux, les services aux personnes, l’art etc…
Pour les sociétés qui produisent l’énergie ou fournissent des services publics, je suis entièrement d’accord, elles n’auraient jamais du être privatisées.
Pour le secteur des services, en dehors des services nécessitant une proximité avec le bénéficiaire de ce service, gardien d’immeuble, gériatrie ou médecine, tous peuvent être out sourcés (ex capgemini peut faire appel à des ingénieurs basés à l’étranger pour une mission).
Les digicodes et la vidéo surveillance ont déjà eu raison de beaucoup de gardiens d’immeubles, pour la médecine des robots permettent déjà d’opérer à distance ( et surement bientôt d’opérer tous seuls) et le cloud pourra diagnostiquer beaucoup de maladies ( qui n’a pas déjà tapé ses symptômes dans google)
Le problème sous jacent n’est pas la mécanisation. La mécanisation ne génère pas d’inégalité, c’est la propriété privée des machines qui la cause.
Comme l’a écrit Adam Smith : la valeur ajoutée est publique. Est public un ouvrage dont la valeur d’usage, le revenu social dépasse le revenu privé.
Les machines satisfaisant bien plus que le bénéfice, la consommation d’un seul, il parait normal que leur travail soit de facto public.
Dans un système où l’ouvrier n’a pas encore acquis les capacités de financer l’outil de production, il est normal que la machine soit la propriété de celui qui en dispose.
Depuis la première révolution industrielle le paysan n’a cessé d’évoluer, devenant un ouvrier puis, instruit, soigné, bénéficiant de la démocratie, un citoyen.
Dans tous les cas le propriétaire de la machine ne s’opposera jamais à ce que la valeur ajoutée soit publique, puisque c’est le fondement du capitalisme. A quoi cela servirait-il de produire si les clients n’ont pas les moyens d’acheter ?
La question ne se pose donc pas et une vision plus communiste du système serait une aberration ne pouvant mener qu’à un mur.
L’avenir est que tout le monde soit capitaliste. Ce qui est le cas avec le financement participatif. Et que tout le monde percoive une fraction de la production globale de richesse au lieu d’une fraction de la production personnelle de richesse au sein de l’organisme employeur comme c’est le cas aujourd’hui, puisque la machine va remplacera l’homme.
Si la machine appartiendra souvent à un seul, la valeur ajoutée sera alors publique.
Disons que le gars a compris qu’il allait se passer quelque chose, alors il fait une tentative. Mais on comprend qu’il regrette cette transition. Alors qu’elle est en réalité une AUBAINE !
Automatiser la société, c’est avoir moins de malades du travail, plus de capacités cognitives libres qui s’associent pour produire de l’innovation et du développement sociétal et prendre soin de leur environnement proche.
Avoir plus d’intelligence collective grâce à l’automatisation de la société, c’est booster la recherche et augmenter plus rapidement l’espérance de vie, dépolluer l’environnement après notre formidable en termes de développement humain mais coûteux pour l’environnement XXème siècle.
Pourquoi les shadoks devraient continuer à pomper, pomper, pomper, au lieu de laisser pomper les machines ?
Dans 30 ans, il n’y aura même plus de profs dans les écoles, les capacités cognitives des élèves ayant très largement dépassé celles des profs, de notre génération. Déjà aujourd’hui, en particulier en classes techno, comme l’informatique, les profs sont souvent dépassés de loin par les élèves. En classe d’anglais, les élèves corrigent les profs quand ils disent une connerie.
La transition sociétale est non seulement inéluctable, mais elle est SOUHAITABLE ! http://thierrycurty.fr/la-transition-societale-est-ineluctable/
Vous ne pouvez pas financer un RdB sur la propriété intellectuelle, regardez les chiffres !
En revanche, si on laisse à l’avenir se développer le Partage Marchand, alors c’est une énorme recette fiscale pour les Etats. Le mieux est quand même de faire une création monétaire citoyenne. Dans notre asso Eurofranc, nous voulons donner 150€f/mois à 50Millions de personnes dès 2015, soit quand même 90Md€f par an ! Ce n’est pas la panacée, mais c’est un progrès à très court terme. Mais à long terme, le PM permettra de bien rémunérer les artistes et les robots feront les taches pénibles. Cool non ?
[…] Wolf, “Asservissons les robots, libérons les pauvres [Enslave the robots and free the poor]”, Revenu de base, March 7, […]