En plus des risques sanitaires qu’elle engendre pour tous, la pandémie du Covid-19 occasionne une perte partielle ou totale de revenus pour beaucoup. Le Mouvement français pour un revenu de base considère plus que jamais nécessaire l’instauration d’un revenu universel pérenne, et non bricolé comme une « roue de secours ». Tribune publiée sur Politis.fr.
En ces temps de crise sanitaire, économique, sociale et environnementale, l’idée d’un revenu universel, inconditionnel et individuel, revient en force dans les débats partout dans le monde. Face à cet engouement et parce que nous soutenons l’idée de sa mise en place, mais pas à n’importe quel prix, nous appelons à réfléchir collectivement et démocratiquement aux conditions de sa mise en oeuvre. Pour en faire une véritable mesure de justice sociale transformatrice et non pas un pansement au système actuel, élaboré dans l’urgence.
On ne résout pas un problème avec les modes de pensée qui l’ont engendré
Alors que l’épidémie du COVID-19 est devenue mondiale, le gouvernement espagnol a déclaré envisager la mise en place d’un revenu de base d’urgence. Des pétitions dans ce sens circulent aussi en Suisse, au Royaume-Uni et même à l’échelle européenne. En France, un mouvement d’intermittent·es et d’autoentrepreneur·euses demande la garantie d’un revenu face aux fortes pertes encourues dans leur profession.
Pour quelle raison l’idée du revenu universel revient-elle en force dans ce contexte de crise sanitaire ? Une première réponse pourrait être que ses critiques, portant notamment sur notre rapport au travail et sur le coût financier de la mesure, se trouvent fragilisées.
Dans l’état actuel de la crise et comme l’avait déjà analysé l’anthropologue David Graeber, certains emplois indispensables à la société sont parmi les plus mal rémunérés – on le voit bien aujourd’hui avec les personnels soignants, les aides à domicile, les caissières, les éboueurs. A contrario, la situation actuelle met aussi la lumière sur les bullshits jobs, ces emplois souvent très bien payés mais dont l’utilité sociale s’avère finalement faible au quotidien, si ce n’est inexistante. Les inégalités sont rendues d’autant plus visibles dans la situation de confinement que nous vivons. Nous ne sommes pas toutes et tous égaux face à la possibilité de faire du télétravail, d’exercer un droit de retrait ou d’accéder au chômage partiel. Pour certaines personnes, il n’y a pas d’autre choix que de sortir travailler, de risquer sa vie et ce, parfois, pour des activités non essentielles.
Un revenu de base pourrait pallier ces inégalités criantes. En assurant une protection réelle à l’ensemble de la société, sans exception. En garantissant que personne ne soit laissé sur le bas-côté, qu’il s’agisse des chômeurs·ses, des intermittent·es, des personnes en situation de handicap, des micro-entrepreneurs·ses, des travailleurs·ses des plateformes et surtout, de ces nouveaux prolétaires, grands perdants de l’ubérisation, qui constituent ce que l’économiste Guy Standing appelle le précariat.
La question du financement du revenu universel est également source de débats récurrents. Mais on ne peut que faire le constat aujourd’hui d’une mauvaise répartition des richesses, ayant abouti à la casse des services publics, tels que l’hôpital ou la recherche, sacrifiés sur l’autel de la rentabilité économique. La secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie et des finances l’a martelé durant les débats sur le projet de loi de finances rectificative au Sénat : « la priorité, c’est de sauver les entreprises ». Et ce sont effectivement des milliards qui sont débloqués en urgence pour répondre de façon ponctuelle à des problèmes structurels, sans pour autant questionner le système dans son ensemble.
En grec ancien, le mot krisis signifie décision. Il s’agit bien là de décider quelle société nous voulons au sortir de cette crise : protéger le système actuel pourtant défaillant, qui se battra pour perdurer coûte que coûte, ou opérer un changement plus profond ?
Le revenu de base se situe aussi à la croisée de ces chemins : mis en place dans un contexte d’urgence, dans une logique court-termiste et hors de tout débat démocratique, il ne servirait ni plus ni moins que de roue de secours au néolibéralisme, comme on le voit déjà apparaître dans certains contextes. C’est le cas aux États-Unis, où le président Trump a annoncé vouloir envoyer un chèque de 1 200 $ aux populations les plus précaires (500 $ pour les enfants). Une réponse d’urgence ponctuelle et à court terme, puisqu’il ne s’agira que d’un seul chèque, dans une société où le fait même d’être atteints du COVID-19 peut mener à la ruine.
À l’opposé, d’autres voix proposent de renforcer les filets de protection sociale grâce à la mise en place d’un revenu universel, intégré dans un projet de transformation à long terme pour le pays. C’est le cas d’Alexandria Ocasio-Cortez, la plus jeune représentante démocrate du Congrès américain : « Ce n’est pas le moment de prendre de demi-mesures. Nous devons agir urgemment afin d’éviter les pires conséquences en termes de santé publique et de crise économique. Ceci inclut le paiement d’un chômage partiel, l’allègement de la dette, le renforcement des droits des travailleurs·euses, la garantie des soins de santé universels, la mise en place d’un revenu de base universel et la dispense de peines de détention. »
Nous nous inscrivons dans cette seconde logique. À cette croisée des chemins, pour emprunter la trajectoire qui nous mènera vers une société solidaire et résiliente. Ce chemin sera collectif et nous serons présent·e·s aux côtés des mouvements et individus prêts à se mobiliser pour opérer un changement structurel du système actuel. Les crises à venir, quelle que soit leur nature, pourront être mieux contenues si nos sociétés placent la justice sociale et l’écologie au cœur de leur fonctionnement. Il s’agira de renforcer les services publics et le droit du travail. De favoriser la liberté de choix et d’encourager les activités choisies et non subies.
Il faudra aussi renforcer notre protection sociale afin d’assurer à chacun·e en toutes circonstances la protection qui lui est due. C’est à cette fin que doit servir un revenu de base véritablement transformateur.
Signataires :
AC ! Agir ensemble contre le chômage – AequitaZ – Association Droits et pauvreté – Association JID (Justice immigration droit) – Entr’aide à domicile personnes âgées – FIDE (Formation insertion pour le développement et l’emploi) – Les Amis de la Terre – Maison de la citoyenneté mondiale (Mulhouse) – MNCP (Mouvement national des chômeurs et précaires) – Mon Revenu de base – Mouvement Utopia – Multitudes – Réseau Roosevelt (Paris Île-de-France) – Réseau féministe Ruptures – Tera – Un Projet de décroissance.
Martine Alcorta, conseillère régionale écologiste indépendante de Nouvelle-Aquitaine – Julien Bayou, secrétaire national d’Europe Écologie-Les Verts – Abdennour Bidar, philosophe et essayiste – Jacques Boutault, maire du Iie arrondissement de Paris – Alain Caillé, sociologue – Damien Carême, député européen – Karima Delli, députée européenne – Antoine Deltour, lanceur d’alerte – Jean Desessard, ancien sénateur de Paris – Guillaume Gontard, sénateur de l’Isère – Régis Juanico, député de la Loire – Annie Lahmer, conseillère régionale d’Île-de-France – Sandra Laugier, philosophe – Vincent Liegey, essayiste décroissant – Gustave Massiah, économiste altermondialiste – Baptiste Mylondo, économiste – Claire Monod et Guillaume Balas, coordination nationale de Génération·s – Daniel Percheron, ancien sénateur du Pas-de-Calais – Michel Pouzol, ancien député, membre du conseil national Génération·s – Sophie Taillé-Polian, sénatrice du Val-de-Marne – Marie Toussaint, eurodéputée écologiste – Grégoire Verrière et Alice Bosler, coordination nationale de Jeunes Génération·s – Roger Winterhalter, maire honoraire de Lutterbach