L’aventure collective à vélo - un projet de société en soi
Après ce « Tour de base » 2018, où nous avons pédalé dans le Grand Ouest français du 4 au 15 août afin de créer des espaces informels de discussions autour du revenu de base, on serait peut-être tentés de se demander : « Ok c’est bien beau de pédaler, de débattre dans la rue, mais après quoi ? Quels sont les résultats ? Vers où cela mène-t-il ? »
Au-delà du fait qu’il est difficile de mesurer, quantifier, les impacts réels d’un tel voyage sur la cause défendue, j’aimerais orienter votre attention vers une autre direction : le voyage collectif en soi. En effet, cette aventure humaine a produit en elle-même un résultat très satisfaisant : ce que nous avons réussi à créer comme groupe, qui reflète ce que nous défendons et ce que nous espérons pour le monde.
Alors, en quoi cette aventure humaine est-elle un projet de société en soi ?
Parce que nous étions une bande de 13 individus, ne se connaissant pas forcément, venant d’histoires, d’âges, de territoires différents, partant à vélo pour 450 kilomètres d’un point A à un point B avec un objectif commun, celui de l’instauration d’un revenu inconditionnel d’existence, que nous désirons ensemble pour chacun.e et pour tous.
Venant du Jura, de Dordogne, de Paris, de Lille, de Bruxelles, de Liège, et animés par cette idée d’émancipation citoyenne, nous avons tous pris du temps de nos vies personnelles pour aller à la rencontre de l’autre, de l’ailleurs, afin de faire circuler l’imaginaire d’un monde à notre mesure, avec comme seul moteur pour avancer la force de nos jambes et de nos aspirations. Et, comme pour tout projet, nous nous y sommes lancés ensemble sans savoir ce qui allait se passer sur la route.
Bien sûr nous savions qu’il y aurait des obstacles, que ce soit d’ordre météorologique, logistique ou physique… Mais le simple fait de démarrer cette aventure, de se donner rendez-vous sur ces bords de Loire, à Tours, ce 4 août, avec toute cette part d’inconnu, montrait que nous étions prêts à les dépasser pour ce que nous croyons, que ce soit sous la forme d’un revenu de base ou non. Nous savions que nous y arriverions ensemble, avec ce que nous sommes chacun, même si nous ne connaissions vraiment au début ni tout le monde ni la destination finale.
“La seule chose que nous savions, c’est que nous étions là pour la même chose : ce rêve d’une société plus juste pour nous-mêmes mais aussi pour tous ceux qui nous entourent, où nous pourrions tous trouver notre place, celle que l’on désire pour soi et parmi les autres, suivre nos rêves et nos envies, malgré toutes nos différences.”
Et c’est ce que nous avons réussi à créer au sein de notre groupe : un monde suspendu sur deux semaines, notre monde, où chacun.e pouvait être, se mouvoir, décider, s’exprimer, râler, tout en prenant soin des autres. Ce cadre, nous l’avons construit petit à petit et naturellement, avec l’aide de cercles de parole, chaque soir, où chacun.e pouvait se mettre à jour. Un cadre flexible mais assez solide, implanté dans le présent, pour affronter les mouvements de la route, les intempéries, les imprévus, et qui nous permettait de ne pas oublier pourquoi nous étions tous réunis dans ce voyage.
Voici les mots qui sont ressortis spontanément lors de notre bilan final, juste ces quelques mots, ces mots comme un présage : BIENVEILLANCE, LIBERTÉ, DIVERSITÉ, OUVERTURE, PRÉSENT, FLEXIBILITÉ, EXPRESSION.
Je me souviendrais longtemps de ce moment où nous dansions en silence, dans une pleine confiance, sur le parking du super U de Craon la nuit, attendant nos lessives pleines d’aoûtats, sur la musique « Imagine » de Lennon que Radio Nostalgie nous passait à travers les hauts parleurs de la voiture, comme fait exprès… Je me disais alors que le monde imaginé par John, ce « naïf » projet utopiste, n’était pas si inextinguible finalement. Nous avions juste à prendre le temps, à nous approcher de l’Autre et à nous lancer dans l’aventure.
Est-ce un hasard ? Est-ce une chance ? Ou est-ce peut-être le reflet des convictions que nous portons autour de ce projet de revenu de base ? Peut-être est-ce cet imaginaire collectif pour lequel nous nous sommes embarqués à vélo ensemble qui nous a poussé à créer pour nous ce que nous espérions pour demain ? Cet imaginaire collectif où il est possible d’envisager un autre monde en restant nous-même, en nous amusant, en dansant, en chantant, en créant. Cet imaginaire collectif qui nous fait avancer POUR et non CONTRE quelque chose.
Je me suis demandé un moment quelle serait ma conclusion à ce texte, et je n’ai rien trouvé de mieux que ce j’ai dit au reste du groupe, lors de notre dernier cercle de parole, après notre arrivée au Camp de base, l’événement d’été du Mouvement Français pour un Revenu de base (MFRB), dédié à la formation des sympathisants :
« Je vous ai tous regardés vous mouvoir dans ce nouveau groupe, parmi ces nouveaux visages. Et quand je vous regardais individuellement, je ressentais une profonde tendresse pour ce que vous êtes chacun, dans nos ressemblances et nos différences : une tendresse inconditionnelle. Alors peu importe le revenu de base, peu importe le MFRB, ce que nous avons réussi à créer est déjà immense, et contient finalement les valeurs qui nous lient à ces deux projets. »