Le soleil passant à travers les persiennes força Clara à se réveiller. Il était déjà 7 heures et elle ne pouvait se permettre d’être en retard aujourd’hui. Encore engourdie de sommeil et de rêves, elle s’extirpa du lit avec peine et gagna sa douche au radar. L’eau chaude et bienfaisante réveilla bien vite son esprit et ses sens. Elle devait passer un entretien d’embauche et ne pouvait se permettre de perdre du temps. Après un petit café, elle sauta dans ses plus beaux vêtements et partit bien vite à la conquête de ce nouveau poste.
Lassée par son précédent emploi d’agent d’assurances, elle avait démissionné et espérait à présent être embauchée dans une association humanitaire qui offrait des services gratuits aux personnes âgées. Aujourd’hui, avec le Revenu Minimum Universel, les jeunes bénéficiaient d’une scolarité pluridisciplinaire qui leur permettait d’être à l’aise dans tous les domaines. Elle avait appris à se servir d’un ordinateur, à réparer une voiture, ou même à prodiguer des soins aux malades. De fait, tous les métiers s’offraient à elle, et une fois dans le poste, elle serait formée au cas par cas à la réalité de l’entreprise. Certains, bien sûr, avaient une vocation et suivaient un cursus dédié à leur choix dans la médecine ou l’enseignement, par exemple. Mais plus aucun jeune n’était laissé sur le bord de la route.
Et le fait de savoir que, quel que soit son poste, on touchait une somme forfaitaire chaque mois rendait le futur plus souriant. Elle avait déjà tenté de nombreuses expériences dans des secteurs aussi différents que le tourisme, la cuisine ou même l’industrie. Elle savait que si cela ne marchait pas elle aurait toujours de quoi payer son loyer et ses courses, même s’il est vrai que les loyers étaient très élevés, les charges et les taxes aussi.
Ses parents, toujours anxieux, n’avaient pas eu sa chance et ne comprenaient pas comment elle pouvait vivre de cette façon. Sans se soucier de quoi demain serait fait, elle goûtait aux expériences que lui offrait cette organisation de la société. Certains étaient toujours très riches et les inégalités sociales n’avaient pas été balayées. Pourtant le plus grand nombre trouvait son compte dans cette uniformisation des ressources. Les SDF avaient disparu dans des logements salubres et les enfants allaient à l’école en rêvant d’un avenir où tout était possible.
Toute à ses réflexions, ses pas la conduisirent bien vite devant la porte de l’association. Dans cette pièce claire et accueillante, une personne vint alors à sa rencontre.
— Bonjour Madame, je suis Clara Mercier, je viens pour l’entretien d’embauche.
La femme lui désigna un alors un siège.
— Bien sûr Mademoiselle, nous avions rendez-vous, je suis Catherine Rostand, la responsable de l’association. Comme je vous l’ai dit au téléphone, nous avons plusieurs postes à pourvoir. Malheureusement celui qui vous intéressait a déjà été pourvu.
Devant la mine déconfite de Clara, la femme reprit bien vite.
— Je n’ai pas décommandé notre rendez-vous car j’ai un autre poste qui pourrait peut-être vous intéresser. Mais il est à l’étranger et nécessite un véritable engagement de votre part.
Clara était surprise et attendait la suite de ce discours avec intérêt.
— J’ai noté que vous n’aviez pas encore de mari, ni d’enfant, que vous parliez couramment anglais et que vous aviez déjà de nombreuses expériences professionnelles diverses et variées à votre actif. Vous semblez donc apprécier notre système éducatif ainsi que notre organisation du partage des richesses.
— En effet, j’ai travaillé dans de nombreux secteurs et je me suis investie dans chacun, toutes ces expériences m’ont beaucoup apporté.
— Le poste que je vous propose est en Syldavie, ce petit pays des Balkans n’a pas encore adhéré à notre revenu de base mais son gouvernement semble vouloir tenter l’expérience. Bien sûr, la population est partagée et certains redoutent encore un côté néfaste de notre revenu minimum. Ils croient que cela créera une société d’assistés, sans ambition et sans rêve. Nous savons, vous et moi, que ce système induit tout le contraire et nous pousse vers une vie que nous choisissons plutôt qu’une vie que nous subissons. C’est ce message que je vous propose d’aller porter à la population de Syldavie. Nos deux pays sont partenaires et nous avons été récemment mandatés pour porter la bonne nouvelle. Je vous propose d’être notre porte-parole.
Clara était sous le choc. Ce matin encore, elle pensait rencontrer de nouvelles personnes, découvrir un nouveau poste, mais c’est finalement tout un monde qui s’offrait à elle.
Elle pourra faire partager toutes les expériences qui lui ont été données de vivre, expliquer que, grâce à un revenu minimum assuré, les inégalités s’estompent, les haines et les peurs aussi. L’avenir devient moins sombre et on peut vivre en harmonie avec ses propres aspirations, ses vraies envies. Oui, ce nouveau poste était pour elle, de nouvelles aventures l’attendaient.
Une scolarité pluridisciplinaire sans échec ? Des ordinateurs ? Des voitures ? Des téléphones ? Cette dystopie ressemble furieusement à notre monde présent, mais avec des enfants, des adolescents et de jeunes adultes curieusement bien meilleurs à l’école que ceux d’aujourd’hui !
Ne pas se soucier de l’avenir, vivre au présent ? Cette jeunesse insouciante, massivement optimiste, et très solidaire du régime politique en place, développerait donc de remarquables aptitudes à l’apprentissage : je ne suis pas surpris que le personnage principal du texte puisse passer de la cuisine à l’usine via le tourisme, c’est déjà ce qui se passe actuellement avec les enfants qui tentent plusieurs « premières années de… », …en fac… jusqu’à finalement s’inscrire à Pôle emploi… Le revenu universel éviterait donc aux parents la charge de ces enfants en errance, en recherche d’eux-mêmes ?
Essayer plusieurs métiers, massacrer plusieurs menus, plusieurs machines-outils, plusieurs organisations de voyages, ça donne forcément un CV… original…un profil professionnel… désirable ?
Disparition des SDF… plus aucun nomade, plus aucun drogué ? Plus d’addiction, plus de marginalité ? Aucune démocratie ne le permet… une dictature, peut-être ?
La Syldavie, dans les Balkans : encore un émiettement de l’émiettement né de l’ex-Yougoslavie ? Porter la bonne nouvelle en Syldavie : encore un néocolonialisme, une ingérence pour « le bien du peuple » ? Une intrusion de « ceux qui savent, pour les autres, ce qui est mieux » ?
L’héroïne du texte ne serait donc pas une adolescente assistée, elle pourrait, par contre, « assister ». Je comprends, finalement, l’inquiétude de ses parents…
Merci d’avoir décrit une société (quand même inégalitaire…) dans laquelle une jeune femme pleine d’illusion va démontrer qu’elle peut s’épanouir… à l’étranger : on espère qu’elle saura malgré tout remercier ses parents pour la vie et l’éducation qu’elle a reçues…