Longtemps tabou, le sujet de la santé mentale commence à gagner une place importante dans les médias. Un exemple tout récent est le documentaire « Un silence si bruyant », co-réalisé par Emmanuelle Béart et Anastasia Mikova qui a été diffusé sur M6 le 14 septembre 2023. Il lève le voile de la mémoire de la réalité vécue et des flashbacks qui replongent les victimes dans des événements traumatiques qu’elles ont vécus plus jeune. Peu à peu, on entend parler les personnes, célèbres ou non, qui disent souffrir ou avoir souffert d’un problème de santé mentale, léger ou grave, qui a changé leur vie.

Beaucoup d’autres préfèrent ne rien dire, rester anonymes et parfois même invisibles pour ne pas souffrir encore plus de se sentir montrés du doigt. Parler de santé mentale est encore stigmatisant.

Discuter du revenu universel de base permet de dé-stigmatiser la parole en mettant l’accent sur une relation émergente, mais encore peu abordée dans les médias : la relation entre la sécurité économique et la santé mentale.

Après la pandémie du Covid-19, un nouveau phénomène accentue à la fois les problèmes de santé mentale et l’incertitude économique. Le terme donné à ce phénomène est l’éco-anxiété, alimentée par une réalité socio-économique très concrète. Cette peur devant le changement climatique dont nous goûtons déjà ses périodes de canicules historiques, d’incendies, de manque d’eau et même son risque de coupures électriques se double de la peur d’un avenir imprévisible. Il a fallu que l’impact économique des crises permanentes laissent une trace dans les médias pour que l’importance des déterminants socio-économiques pour la santé des personnes et en particulier pour leur santé mentale soit mise sur la table.

Face à de si nombreux facteurs sources d’angoisse, le recours à la prise de médicaments ne peut être la seule solution, notamment pour les jeunes. Le Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA) a publié en mars 2023 un rapport sur la consommation de psychotropes chez les jeunes en France, où il alerte sur sa montée continue. Ainsi, en France, en 2021, la hausse de la consommation de psychotropes chez les mineurs a été de 224% pour les hypnotiques, 23% pour les antidépresseurs, 16% pour les anxiolytiques et 7,5% pour les antipsychotiques.

La recherche menée au Canada dès 1970 par Evelyn Forget dans le cadre d’une expérimentation sur l’impact d’un revenu de base sur la santé mentale a montré comment l’absence de sécurité de base dans la vie est préjudiciable à la santé mentale et physique. La pauvreté, l’incertitude de l’emploi, l’insécurité des revenus ou le fait d’avoir de faibles revenus sont des facteurs qui génèrent une grande détresse psychologique et une souffrance qui peut se transformer en maladie.

50 ans plus tard, la pandémie a fait prendre conscience que cette situation est bien pire pour les personnes âgé.e.s, pour celles qui ont déjà un trouble mental ou un problème de santé mentale et toutes celles que l’on ne qualifierait pas de vulnérables dans des conditions normales, comme les jeunes. Si rester intégré à la société est déjà difficile en période de prospérité, ces personnes souffrent encore plus de l’exclusion et de l’isolement lorsque les choses tournent mal.

Transferts monétaires inconditionnels et santé mentale, une relation émergente 

En 2021, en conclusion de son rapport pour la Mental Health Foundation à Glasgow, le Dr Naomi Wilson a mis en évidence le résultat des études sur les effets sur la santé mentale de transferts monétaires conditionnels par rapport aux transferts monétaires inconditionnels.

Ses conclusions sont frappantes. Pour les adultes, les études menées dans le cadre de projets pilotes ont systématiquement constaté que la suppression des conditions associées aux prestations sociales traditionnelles était associée à une amélioration du bien-être mental des participant.e.s, ce qui laisse penser qu’il existent des gains considérables pour la santé mentale de la population.

D’une réduction des sentiments de stress, de symptômes de troubles psychiatriques et des perceptions de stigmatisation et de marginalisation, à l’amélioration globale du bien-être mental et d’un meilleur fonctionnement cognitif, les études ont toujours fait état d’améliorations claires et significatives de la santé mentale lorsque la conditionnalité de l’aide sociale traditionnelle était supprimée ou remplacée par des interventions de soutien plus adaptées et inconditionnelles.

En outre, alors que les opposant.e.s au revenu de base inconditionnel affirment que les conditions associées aux prestations traditionnelles sont nécessaires pour s’assurer que les individus sont motivés pour le retour au travail, l’analyse des études identifiées a montré que la suppression de la conditionnalité n’a eu d’effet ni sur le taux d’emploi des bénéficiaires, ni sur leur motivation et leurs tentatives pour l’obtenir.

Certaines données préliminaires suggèrent également que la suppression de la conditionnalité est un moyen efficace d’améliorer la santé mentale et qu’elle est associée à une diminution de l’utilisation des soins de santé ainsi qu’à une réduction des risques pour la santé, y compris l’abus d’alcool et la toxicomanie.

Enfin, dans les études sur les transferts inconditionnels pour les enfants, le rapport constate des bénéfices significatifs et durables sur leur santé mentale, en particulier lorsqu’ils ont été introduits précocement. Cependant, si le changement de revenus des parents en soi n’ont pas significativement montré l’amélioration de la santé mentale pour les enfants, ce qui était central, était « une amélioration des relations parents-enfants ».

Mesurer l’impact prospectif d’un revenu universel de base la santé mentale des jeunes 

La situation des mineur.e.s est aujourd’hui jugée suffisamment préoccupante pour que à l’initiative de la Royal Society of Arts (The RSA), une étude financée par le Wellcome Trust a été commencé en 2022 dans l’objectif de déterminer « l’impact prospectif d’un revenu universel de base sur l’anxiété et la dépression parmi les jeunes de 14 – 24 ans. Annoncé dès 2020, le projet a servi d’étude pilote pour une étude plus large et sur une période plus longue du rôle d’un revenu universel de base comme mesure de santé publique. L’annonce de la réalisation imminente de ce projet pilote a été relayée par la presse française en juin 2023. Elle emboîte le pas à celle du projet pilote catalan qui lui aussi, se propose de mesurer en 2023 l’impact d’un revenu de base sur la santé mentale des adultes et des mineur.e.s.

Réalité des violences subies par les enfants

En effet, malgré l’acte de naissance qui reconnaît chaque enfant comme « un sujet de droit », une personne humaine à part entière, titulaire de façon inaliénable des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, la réalité des enfants est bien différente.

Si la Grenelle sur les violences conjugales lancé en 2019 a pu inciter les victimes adultes à davantage déposer plainte et rendre le signalement de violences plus notoire, il ne va pas de même pour celles subies par les enfants. Elles restent fortement sous-estimées et encore bien trop tolérées pour certaines, comme les châtiments corporels. En réalité, les enfants sont nombreux à être victimes de violences, qu’elles soient physiques, psychologiques ou sexuelles. Ces violences sont le plus souvent intrafamiliales ou institutionnelles et commises par des adultes censés les protéger (Muriel Salmona, 2018). Elles sont d’autant plus fréquentes puisque l’abus est facilité par le rapport asymétrique de domination de l’adulte sur l’enfant qui expose les enfants d’emblée à la vulnérabilité, qu’ils soient en situation de handicap ou non. 

Plaidoyer pour le respect de la dignité de l’être humain avec un revenu de base dès sa naissance

« Un enfant qui naît ne devient pas un homme, il en est déjà un » avait dit Janusz Korczak. 

L’enfant constitué d’un corps, d’une âme, d’un esprit, d’une vie intérieure doit être respecté, protégé, défendu et accompagné dans sa croissance et dans sa croissance pour que son aspiration à exister puisse se développer. Dans sa vie sociale, il a droit à bénéficier d’un rapport avec l’adulte basé non pas sur la seule domination, mais sur une réciprocité qui favorise le développement de ses capacités et lui permet de jouir du meilleur état de santé atteignable.

Depuis 1989, la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) apporte un cadre normatif qui impose aux États des obligations d’accompagner le développement des enfants.

En 1992, le Conseil européen a reconnu l’existence d’un droit fondamental de la personne à des ressources et prestations suffisantes pour vivre conformément à la dignité humaine 

Cette notion de dignité humaine est ensuite transposée comme le premier des droits dans la Charte européenne des droits fondamentaux et adopté à Nice le 7 décembre 2000. Depuis le Traité de Lisbonne de 2009, la Charte européenne des droits fondamentaux (CEDF) s’est vue dotée d’une valeur juridiquement contraignante. Mais jusqu’à présent, dans de nombreux pays, la norme masculine régissant le cadre législatif empêche ou retarde sa mise en conformité avec la CIDE ou le respect des normes internationales.

Pour que les droits de l’enfant soient une réalité pour de plus en plus d’enfants, l’action terrain doit se combiner avec un plaidoyer en faveur d’une « société qui fait de la dignité humaine sa boussole », pour reprendre les termes de la récente proposition de loi constitutionnelle n°268 déposée à l’Assemblée nationale le 22 septembre 2022. C’est une société qui protège et émancipe en donnant les moyens de la liberté et les conditions de l’égalité. Autrement dit, « une société qui permet à toutes et à tous d’avoir accès aux droits fondamentaux comme à l’éducation, aux soins, quel que soit l’âge, la pathologie ou le handicap sur l’ensemble du territoire. Une société qui prend soin de ses services publics, l’école et l’hôpital en priorité, qui rémunère le travail et assure [ dès la naissance] à chacun un revenu de base lui permettant son émancipation. Une société qui fait de la dignité humaine sa boussole, c’est une société qui refuse le mallogement et que des hommes et des femmes dorment dans la rue. Non seulement, c’est une société qui refuse que des hommes et des femmes meurent de faim, mais c’est une société qui permet de manger à sa faim, chaque jour et de pouvoir bien manger. C’est une société qui garantit le pouvoir de vivre, le pouvoir de vivre sur une planète vivante et vivable. C’est une société qui refuse la maltraitance et l’impuissance.

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Bibliographie

« Quand les enfants vont mal, comment les aider » ? 

Rapport du Haut Conseil de la Famille, de l’Enfance et de l’Âge, 7 mars 2023 :

https://www.vie-publique.fr/rapport/288607-quand-les-enfants-vont-mal-comment-les-aider

Why basic income is a mental health issue. Canadian resercher Dr. Evelyn Forget says guaranteed income “works as an anti-depressant”.

Johann Hari, Vice, mai 2018 

https://www.vice.com/en/article/a3akm4/why-basic-income-is-a-mental-health-issue

The mental health effects of a Universal Basic Income : A synthesis of the evidence from previous pilots.” Naomi Wilson, Shari McDaid, Social Science & Medecine, Volume 287, Octobre 2021, 

https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0277953621007061

Challenging the mental illness crisis : How universal basic income can address youth anxiety and depression”. Rapport de Eliott Johnson et al., novembre 2022

https://www.thersa.org/globalassets/_foundation/new-site-blocks-and-images/reports/2022/10/rsa-ubi-full-report-final.pdf

Universal basic income could improve the nation’s mental health”. Matthew Smith, 27 avril 2020

https://theconversation.com/universal-basic-income-could-improve-the-nations-mental-health-123816

« L’Angleterre teste un revenu universel à 1865 euros ». Milan Laffillé, 13 juin 2023

https://www.notretemps.com/droit-argent/emploi/l‑angleterre-teste-un-revenu-universel-a-1865-euros-72873

« Catalogne : Expérimentation d’un revenu de base universel en 2023 ». JAESA, 9 janvier 2022

https://iatranshumanisme.com/2022/09/09/catalogne-experimentation-dun-revenu-de-base-universel-en-2023/

« Janusz Korczak : « L’enfant ne devient pas un Homme, il en est déjà un » APGEF, 4 octobre 2012

https://www.apgef.com/janusz-korczak-lenfant-ne-devient-pas-un-homme-il-en-est-deja-un/

« Convention internationale des droits des enfants »

https://www.ldh-france.org/1989-CONVENTION-INTERNATIONALE-DES/

« 92/441/CEE : Recommandation du Conseil, du 24 juin 1992, portant sur les critères communs relatifs à des ressources et prestations suffisantes dans les systèmes de protection sociale »

https://op.europa.eu/fr/publication-detail/-/publication/9953c2cf-a4f8-4d31-aeed-6bf88a5407f3

« Vivre en dignité au XXIe siècle. Pauvreté et inégalité dans les sociétés de droits humains : le paradoxe des démocraties. » Conseil de l’Europe, Strasbourg, 2013

https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2023/01/30/council-adopts-recommendation-on-adequate-minimum-income/

Proposition de loi constitutionnelle n°268 visant à garantir le droit à une vie digne

https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b0268_proposition-loi#