En dépit de son adoption, la réforme du RSA a provoqué ces dernières semaines, au sein du Parlement, le retour de la bataille culturelle pour l’inconditionnalité du droit à vivre.
Le 10 Octobre 2023, l’Assemblée Nationale a adopté par 310 voix contre 251 le projet de loi “pour le plein emploi” qui entérine une réforme importante du Revenu de Solidarité Active.
Cette loi met en pratique le rapport gouvernemental “France Travail” qui se donne pour but de mieux intégrer l’ensemble des acteurs de l’insertion et de l’accompagnement des allocataires. Mais au prétexte de vouloir mieux accompagner les personnes, cette loi est en réalité une attaque contre les minimas sociaux. En effet, la mesure phare de cette loi est l’idée de conditionner le RSA à au moins 15 heures d’activités obligatoires dans le cadre d’un “contrat d’engagement”. L’allocataire devra respecter avec assiduité ce contrat, faute de quoi l’administration pourra désormais plus facilement suspendre le versement du RSA.
La majorité gouvernementale s’est alliée avec la droite pour faire passer cette loi. Alors même que le ministre Olivier Dussopt s’était initialement dit opposé à l’inscription de cette disposition rigide dite “des 15 heures” dans la loi, il a finalement aisément retourné sa veste en soutenant un amendement du groupe Les Républicains (LR) en ce sens. En effet, sans majorité absolue à l’Assemblée, le gouvernement avait besoin du vote des députés LR pour faire passer la loi : la majorité a donc monnayé les 15 heures en échange de leur soutien au texte.
L’exigence de contreparties en échange du versement du RSA est une vieille marotte de la droite. Nicolas Sarkozy, Laurent Wauquiez et Valérie Pécresse en avaient rêvé, ils peuvent remercier Emmanuel Macron de l’avoir fait. Et ceci alors même que des expérimentations sont encore en cours dans 18 départements pour évaluer l’efficacité de ce type de dispositif. Visiblement, le résultat de ces expérimentations importe peu.
Cette loi constitue évidemment un grand bond en arrière pour les acquis sociaux et pour la perspective de l’instauration d’un revenu universel. C’est pourquoi le MFRB a mené le combat aux côtés des autres organisations et forces politiques de la gauche, de l’écologie et du mouvement social, pour s’opposer à cette loi, et en particulier à la conditionnalisation du RSA à 15 heures d’activité. Comme nous l’avons expliqué plusieurs fois, un revenu minimum et l’accompagnement des personnes devrait être vu comme un droit et non une obligation. Cette logique de sanctions et d’obligations est injuste, inapplicable et contre-productive : elle ne fait que renforcer le sentiment de honte et de peur des allocataires. La stigmatisation est d’ailleurs l’un des facteurs du taux de non-recours aux prestations sociales.
Bien sûr, le ministre ainsi que le rapporteur Paul Christophe (Horizon) ont affirmé, main sur le cœur, que leur intention était simplement de mieux accompagner les allocataires dans leur recherche d’emploi, et non de stigmatiser les allocataires. Ils ont également répété qu’il ne s’agissait pas de travail gratuit.
Mais comment les croire ? D’une part, la loi ne prévoit pas de moyens budgétaires supplémentaires, et de plus ils n’ont accepté aucun des très nombreux amendements visant à encadrer ou préciser ces nouvelles obligations. Il s’agissait par exemple de définir une liste précise des activités éligibles, afin d’éviter le travail déguisé. Ou encore d’exclure du dispositif les proches-aidant-es ou les agriculteur-rices. Mais la majorité a rejeté tous ces gardes-fous, sous prétexte qu’il fallait faire confiance à la bienveillance des travailleur-ses sociaux-ales qui auront la lourde tâche d’interpréter elleux même les zones grises de cette loi.
On s’en remet donc à l’aléatoire et à la discrétion des conseiller-ères et des administrations départementales, sans tirer aucune leçon des nombreux cas de maltraitance institutionnelles des allocataires de la CAF, victimes d’erreurs de calculs des organismes en sous-effectif et dont les systèmes d’informations (développés par des prestataires externes) sont obsolètes… Leur peu de considération pour ces préoccupations n’a laissé que peu de place au doute sur les préjugés que la majorité et la droite portent sur les personnes les plus démunies, approuvant, en filigrane, cette mythologie selon laquelle il suffirait de traverser la rue pour trouver un travail…
L’inconditionnalité au centre des débats
Pour autant, le travail de sape de cette protection sociale qu’est actuellement le RSA par la droite et de la majorité macroniste, n’aura pas été rendu facile. En effet, il aura fallu plus de 40 heures de débat et le rejet inlassable de près de 1400 amendements pour parvenir au bout de l’examen du texte. C’est une véritable bataille idéologique qui s’est déroulée dans l’hémicycle.
La droite n’a eu de cesse de marteler qu’il n’y a pas de droits sans devoirs. Fer de lance des Républicains, le député Philippe Juvin est même allé jusqu’à dénoncer les “assistés professionnels” et a estimé qu’il est normal que ceux qui paient des impôts aient un “droit de regard” sur les bénéficiaires du RSA.
Face à cette logique de charité, il faut saluer les efforts des députés de la NUPES pour opposer une vision de solidarité humaniste et républicaine. Écologistes, insoumis, communistes et socialistes, de nombreux ténors de la NUPES, mais aussi du groupe LIOT se sont relayés à la tribune pour défendre une vision émancipatrice de l’État social comme l’extrait des débats ci dessous le résume bien :
Député actif pendant l’ensemble des séances, l’insoumis Hadrien Clouet a ainsi déclaré : “Si vous estimez qu’une prestation qui garantit un minimum de ressources peut être suspendue, au motif que son bénéficiaire a tel comportement ou telle envie, vous estimez par conséquent que la survie est soumise à conditions dans notre pays.”
De son côté, le socialiste Arthur Delaporte a rappelé aux députés de la Macronie qu’un certain nombre d’entre eux avaient jadis soutenu l’idée du revenu universel, en votant pour une motion appelant à un débat sur le “socle citoyen” en 2020. Mais aucun d’entre eux n’ont eu le courage de leur opinion (avaient-ils vraiment un avis sur ce sujet en votant cette motion?)…
Le député socialiste s’est également fait remarquer en obtenant, la veille de l’ouverture des débats dans l’hémicycle, des données inédites sur les conséquences des sanctions. Le simple fait que le ministre n’ait pas lui-même pas demandé ces données démontre le faible intérêt qu’il porte aux conséquences de cette loi pour les personnes qui en seront les victimes.
Au final, “d’un droit à l’accompagnement, on est en train de passer à une obligation d’activité, à un forçage à accepter un emploi y compris si celui ne vous convient pas, et à un nouveau régime de sanctions. […] Un des fondements de ce texte est de considérer que la personne privée d’emploi est coupable de sa situation.” a résumé le député communiste Pierre Dharréville.
Au cours des débats, la ligne de fracture s’est très clairement dessinée autour de l’inconditionnalité du RSA. De la bouche même du ministre du Travail lors d’une invective avec le député écologiste Benjamin Lucas : “derrière votre philosophie, c’est celle du revenu universel, sans contrepartie. Ce n’est pas la nôtre”.
Relancer le combat pour l’inconditionnalité des droits
Si nous nous réjouissons que la gauche ait si vaillamment défendu le discours pour l’inconditionnalité d’un revenu, l’adoption de cette loi n’en demeure pas moins un obstacle supplémentaire vers l’instauration d’un revenu de base. Alors, quelles perspectives pour la suite ?
En pratique, il ne suffit pas de traverser la rue pour trouver 15 heures d’activités à des millions de personnes. Avec en moyenne plus d’une centaine d’allocataires par conseiller Pôle Emploi, trouver 15 heures d’activités à chaque allocataire, puis en contrôler l’exécution relèvera de l’exploit pour les travailleurs sociaux. Ce d’autant plus que la fusion des fichiers des CAF et de Pôle Emploi va engorger encore davantage les services d’accompagnement…
L’application de cette loi, prévue théoriquement pour 2025, va donc présenter des difficultés certaines.Une des priorités sera alors de surveiller de près le déploiement de “France Travail” mais aussi les expérimentations de RSA en cours dans 18 départements. Alors que le gouvernement a choisi de passer directement aux conclusions avant d’analyser le résultat de ces expérimentations, il n’est pas impossible d’imaginer que d’ici là, les faits confirmeront encore une fois ce que savent tous ceux qui connaissent de près la précarité : que la logique du bâton ne fonctionne pas, car la sécurité matérielle et psychologique d’un revenu garanti est une condition nécessaire (et certes, pas toujours suffisante) à l’insertion dans la société.
Il faudra par ailleurs faire pression pour que le gouvernement priorise enfin l’automatisation du versement du RSA. Ce chantier stagne depuis 2019, sa complexité parle d’elle-même en faveur d’une réduction de ses conditionnalités.
Il ne tient qu’à nous, citoyens, acteurs de la société civile, syndicats et associations, acteurs de la solidarité, de préparer la contre-offensive.
Excellent article, bravo !
Conférence sociale : le gouvernement menace de sanctionner les branches qui ont des minima sous le smic
https://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/conference-sociale/conference-sociale-le-gouvernement-menace-de-sanctionner-les-branches-qui-ont-des-minima-sous-le-smic_6126114.html
Des paroles en l’air et de simples mots dès qu’il s’adresse aux puissants et à ceux qui détiennent du pouvoir. Des lois concrètes et rapidement prises, “incitatives” et punitives dès qu’il s’agit de “s’occuper” du cas de ceux qui subissent ce pouvoir et qui n’en ont aucun ou presque…
Je me demande le nombre d’entreprises en France, réellement en conformité avec les lois sur les salaires (au moins sur ça), et le pourcentage de salarié qui au bout de toute cette chaîne de promesses de droits du code du travail purement théoriques via sa transmission malade, reçoit réellement l’intégralité de leurs dus. Surtout si la majorité située au bout de cette chaîne, ne sait même pas ce qu’est le code du travail.
Par expérience personnelle totalement inaudible, les entreprises ne communiquent jamais sur (la totalité de) leurs obligations légales quand elles recrutent, et aborder ces sujets avec elle lors d’un entretien vous ferme la porte d’emblée. Je ne suis pas sûr que les entreprises en général soient aptes à la mission qui leur est théoriquement confiée, et en ce sens, au même titre qu’un revenu minimum inconditionnel s’impose, il faudrait un organisme social d’état qui s’occuperait du versement des salaires qui serait confisqué aux entreprises pour leurs incompétences générales sur ce point. Ou pour la complexité trop lourde pour elle. Aussi pour couper des risques liés aux pressions internes théoriquement interdites, qui se répercutent sur ce que touche ou non au bout, le salarié Français. Ou pour leur manque total d’intérêt pour le côté “redistributif” de “leur” activité (pourtant subordonné) rapport au volet “prédation”.
Et bien sur, pour couronner le tout, il faudrait un salaire maximum autorisé, pour coller à la solidarité obligatoire d’avec le revenu minimum inconditionnel.
Avec un revenu de base inconditionnelle et cumulable ; j’aurais bien plus de choix d’activités “incitatives” et je serai enfin libéré de la potentielle et réelle punition qui existe, pour qui connaissent mal ses droits sous son régime de protection actuel.
Par exemple, je pourrai possiblement et assez facilement donner des cours (aléatoires et même pour peu d’heures mensuelles) via le Césu. Mais en fait, c’est bien plus incitatif pour un étudiant sans revenu ni protection sociale, et toujours dépendant du revenu de ses parents, ou pour un retraité… Pour moi, attention danger !
Car dans mon cas ; travailler plus de 3 mois pour un revenu inférieur à mon minimal social me le ferait de toute façon le perdre, à l’issue de ces 3 mois. Passer de 552,67 mensuels en moyenne à la petite centaine potentiellement atteignable pour quelques cours : aucun intérêt, et même donc dangereux si je ne fais pas attention !
Dommage : cela pourrait vraiment m’aider et de plus, pas de retraité ni d’étudiant disponible pour le dispenser sur ma localité… Le comble !!
Travailler pour un CDD de plus de 6 mois (à temps plein ou à un taux horaire suffisamment élevé hors temps plein) pourrait aussi être punitif à l’issue : à l’issue ; j’aurai des droits au chômage, et à l’issue de ces droits si je ne rebosse pas, j’aurai perdu mon minimal social actuel (l’ass) et je devrai demander le RSA !
Je ne vois pas ce qu’il y a d’incitatif dans un univers ou quasi dans tout les cas possible, tout est aussi punitif (et de plus en plus punitif) (autant hors que dans l’activité) !