Cet article est la transcription d’une intervention faite en décembre 2023 pour Décroissance Île de France, suivie de questions et d’un débat.

Présenter, résumer un livre de 450 pages, ce n’est pas facile. Pour moi, en tous cas. Pour essayer de condenser sans trahir, j’ai choisi une méthode sans doute peu académique. Je vais m’attarder un peu sur l’introduction (20 p. environ), qui est, c’est logique, une sorte de synthèse de la thèse centrale : la sobriété.

Dans le parcours du livre, je ferai un ralentissement sur le chapitre 5, « Politiser la sobriété. » Villalba, cite longuement un auteur américain, William Ophuls qui énonce des arguments décisifs en faveur de la modération généralisée, la sobriété. Pour le reste du parcours, je vous proposerai des haltes sur formulations et concepts. Exemples : écologie politique, sobriété et sagesse, sobriété et liberté…

. L’introduction.

Elle commence par une plongée sous-marine durant laquelle la consommation de l’air, de l’oxygène est dans la durée limitée au contenu de la bouteille. 
A la surface, sur terre, « la dépendance aux ressources essentielles, un temps masqué par l’innovation technologique, s’imposera bientôt. »

Il faut remonter, reconsidérer production et consommation si l’on veut éviter l’asphyxie, la catastrophe climatique. « Notre désir d’illimité est mis à mal dans le monde réel. » Le capitalisme productiviste nous met en danger.

L’orientation décroissante est explicitement formulée par l’auteur.

« La sobriété est avant tout une question politique et non technique ». Plus loin, une approche philosophique sera proposée.

« Si la sobriété est une nécessité politique et écologique, les conditions de sa construction, ainsi que la gestion de ses effets, demandent à être débattus pour être acceptés. » Il importe de mettre en discussion « une autolimitation responsable. […] Imaginer à partir de l’imaginaire de la sobriété, qui permet d’interroger ce qui compte et ne compte pas, du nécessaire et du superflu. […]. Nous basculons dans un rapport au monde basé sur la limite ».

L’exemple du sablier viendra plus tard.

« Il faut plus seulement sortir du capitalisme, il faut encore sortir de l’imaginaire de l’illimité. »

Serge Latouche, André Gorz, d’autres ont formulé les mêmes avertissements.

Pour ce qui est des auteurs cités par Villalba, ils y sont tous : Gorz, Latouche , Illich, Bookchin, Illich,… le terrain de la sobriété est balisé par les prédécesseurs.

Sortir de l’imaginaire de l’illimité est d’autant plus urgent que nous sommes aujourd’hui plus de 8 milliards de terriens, nous rappelle l’auteur.

Une autolimitation choisie, un renoncement programmé sont à mettre à l’ordre du jour. « Il nous faut produire une contre-culture de la sobriété. La Sobriété est donc pleinement une écologie politique appliquée, c’est-à-dire façonnée à partir du lien matériel qui nous relie indissolublement avec le système Terre. »

Villalba prend quelque distance par rapport à la décroissance militante, impatiente : « Plutôt que d’invoquer une décroissance généralisée, nous préférons envisager de construire les marges d’une politique d’ajustement destinée à la lancer cette perspective de décroissance. »

Autrement dit, argumenter, convaincre et ajustements progressifs.

Le cadre, l’orientation politique sont clairement posés dans l’introduction.

Pour la suite, parcours rapide (trop) avec quelques arrêts au fil des pages.

. Abondance frugale

« Les termes ne manquent pas pour qualifier la retenue d’avec les choses […]L’abondance frugale, la sobriété heureuse, l’ascèse conviviale, la décroissance sereine,… ou encore, la pauvreté volontaire pour parler comme Majid Rahnema. »

. Sobriété et sagesse

Une approche philosophique : « La sobriété serait un optimum entre la pauvreté et l’ascèse qui ne permet pas de répondre à certains besoins humains et entre l’excès de l’hyper-consommation qui accroît démesurément les besoins humains. […] Le concept de sobriété est an son essence philosophique, la sobriété comme forme de sagesse.

. Sobriété et liberté

« Or, dès que les conditions matérielles de la réalisation de l’abondance font défaut, il convient de renoncer à une politique d’extension continue. Pour autant, par ce mouvement de renoncement, la sobriété témoigne d’une humilité qui n’est en rien un abandon de l’essence de la liberté. »

Le chapitre insiste sur le renoncement à mettre en œuvre par volonté personnelle.

. Politiser la sobriété

Comment mettre cette question, proposition politique en débat dans la société ?

« Comment concilier la réduction de notre empreinte écologique et la préservation des libertés publiques ? Les politiques de sobriété soulèvent d’importantes questions sur les conditions d’une justice sociale ajustée aux limites écologiques. Comment concevoir la sobriété dans un projet démocratique ?

. S’entraîner à la sobriété

Si la sobriété est un projet social, politique, il importe de se préparer personnellement aux changements, restrictions nécessaires qu’elle exigera.

Dans une vision de renoncement [à l’abondance], il faut s’entraîner à la sobriété.

« Expérimenter la sobriété, c’est prendre en considération les conséquences de ce choix. Au-delà du discours déclaratif sur la nécessité d’agir, pratiquer la sobriété consiste à voir les multiples interactions en action dans la moindre de nos pratique. » Pas simple, ni facile.

. Limites temporelles. Nécessité du délai. Allégorie du sablier.

« L’homme est devenu une force géologique majeure : anthropocène.

L’anthropocène nous oblige à regarder nos responsabilités dans les causes du dysfonctionnement du système Terre. […] Nous passons ainsi d’une perspective de la durée, pour réagir à celle du délai.

Nous mobiliserons l’allégorie du sablier. C’est un symbole classique pour représenter l’écoulement continu du temps disponible. Pour notre part, nous souhaitons plutôt voir le sablier comme la matérialisation du délai, non pas de la continuité du temps qui passe. […] Ainsi, on peut y voir une figuration de la diminution irrépressible de la ressource disponible, un fois que le mécanisme d’écoulement est enclenché. […]

Inexorablement le stock de ressources disponibles disparaît en fonction d’une intensification de l’usage et de l’accroissement de la pression démographique et du désir d’une amélioration du confort de vie. »

Le stock de sable diminue. Mais… nous ne croyons pas ce que nous savons. Les affaires continuent.

. Politiser la sobriété. L’analyse de William Ophuls.

Ophuls est longuement cité par Villalba qui s‘appuie sur une édition en anglais. (Ecology and the Politics of Scarcity Revisited : the Unraveling of the American Dream, 1977. New York).

A noter : la date de parution : 1977 et unravelling peut se traduire par démantèlement.

Villalba de citer Ophuls.

« Ophuls pose clairement les bases d’une interrogation fondamentale « si nous ne pouvons plus promettre l’abondance comment redéfinir les pratiques démocratiques et le projet d’émancipation qu’elles garantissent ?

Il « signale la fin d’une croissance infinie au nom d’une limite écologique matérielle indépassable. Il faut sans doute se débarrasser radicalement d’une mythologie de l’abondance pour tous. »

« Une fois la pénurie abolie, la pauvreté, l’inégalité, l’injustice et toutes les fleurs du mal enracinées dans la pénurie disparaîtront tout simplement. […]

Or, selon lui, cette ecological scarcity (rareté écologique) devient l’horizon politique de la modernité et condamne la démocratie libérale. »

Cette visée d’abondance partagée, partageable appelant une croissance bénéfique est ce qui motiva les combats socialistes et communistes en leurs impulsions historiques. Il fallait à une époque produire bien plus dans des sociétés où la famine était le lot commun, et la majorité de la population survivait misérablement dans des taudis insalubres. Lire Dickens, Engels, plus récent Orwell. Pour partager mieux, il fallait produire plus. Quand la limite nécessaire fut-elle franchie ? Question à examiner et débattre.

Revenons au texte.

« Ophuls propose d’adapter des politiques de modération pour réussir à concilier émancipation individuelle et limites écologiques .

(“Renoncement à l’économie de croissance : Ecology and the Politics of scarcity”, un autre livre d’Ophuls)

Nous arrivons à la fin de la traversée. Dans les pages finales, Villalba nous offre une sorte de péroraison rhétorique.

« Ce renoncement, au cœur des politiques de sobriété, est avant tout l’affirmation d’une autonomie relationnelle élargie : nous acceptons de restreindre nos choix, de réduire la voilure de nos modes de vie, de nous concentrer sur le nécessaire afin d’établir des rapports d’égalité plus durable entre générations et avec les autres terrestres.

[…]

Cela offre l’ouverture d’un champ des possibles, mais qui doit se situer dans un contexte mondialisé car cette puissance d’agir s’élabore désormais à partir de ce contexte écologiquement contraint.

Les lignes finales, optimiste péroraison.

« En quoi un tel renoncement pourrait-il malgré tout constituer une source de joie ? Il ne s’agit pas d’invoquer la joie comme consolation, mais la joie de la transgression créatrice : celle qui pousse à l’imagination et à l’autonomie inventive.

C’est une joie libératrice, d’émancipation, comme le souligne Edward Abbey : « La joie est-elle un atout dans la lutte pour la survie darwinienne ? Quelque chose me dit que oui ; quelque chose me dit que les êtres moroses et craintifs sont voués à l’extinction. »

Edward Abbey, auteur du « Gang de la clef à molette » (1975), lecture jubilatoire, hautement recommandable.

. Bruno Villalba est professeur de science politique à Agrotech du laboratoire CNRS 8095.

« Ses recherches portent sur la théorie politique environnementale, notamment à partir d’une analyse de la capacité du système démocratique à reformuler son projet à partie des contraintes environnementales. »

Commentaires rapides :

  • L’analyse générale du livre est convaincante. 
  • Pourtant en descendant sur le terrain de la vie politique quotidienne concrète, nous ne trouvons aucun indice. Consommer moins est-ce une invitation à travailler moins ? 
  • Le partage du travail (la réduction du temps de travail) comme moyen d’assurer un revenu décent aux chômeurs souvent contraints à une trop grande sobriété subie, cette rtt n’est guère abordée dans l’ouvrage.
  • Une mesure pourtant socialement, politiquement urgente. 
  • Préalable à une mise en examen de la « valeur travail » elle-même. 
  • La question, problématique émergente du revenu de base est rapidement évoquée à partir des propositions de Van Parijs.

Publications :

  • Politiques de sobriété, éd. Le pommier, 2023.
  • L’écologie politique en France, éd. La découverte, 2022.
  • Gunther Anders. Dix thèses sur Tchernobyl, Laboratoire printemps, 2022.
  • Les collapsologues et leurs ennemis, éd. Le pommier, 2021.