Andrew Yang, cité dans le précédent épisode, est un défenseur du revenu de base « qui permettrait une explosion d’artistes peintres, de musiciens, compositeurs, créations de vidéos multiplication de sportifs de haut niveau, émergence d’écrivains…toutes ces activités créatrices que de nombreux américains aimeraient bien mener, mais en sont empêchés aujourd’hui… »

Revenu pour vivre, mais surtout peut-être, pour donner les moyens à toutes et chacun l’opportunité de s’essayer à des activités culturelles, créatives, librement choisies. En d’autres termes ce serait l’avènement de l’otium du peuple (définition ci-dessous).

A partir de ce texte déjà cité dans le précédent épisode, il nous faut examiner la question ouverte par les potentialités d’un revenu de base généralisé et suffisant pour mener un vie simple sans les angoisses de fins du mois et sans trop de préoccupations matérielles.

L’otium du peuple comme horizon possible et désirable ou un avachissement spirituel et physique ?
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Otium.
Terme latin qui renvoie à un usage personnel du temps. Durant l’otium la personne profite du repos pour s’adonner à la méditation, au loisir studieux ce qui suppose un éloignement du quotidien et des affaires (negotium = neg-otium).
Sénèque un grec, a écrit de belles pages sur la scholé, version grecque de l’otium.

Scholé.
On trouve également skolé, l’orthographe varie avec les auteurs qui la commente.
Dans les formulations d’André Gorz, la skolé c’est « Le temps où chacun reprend possession de soi : qui est le temps du loisir, au sens d’otium ou de skolé, c’est à dire un temps de retour sur soi, de la réflexion, de la contemplation, […] où la personne se dégage, se régénère… »
Dans « De l’aptitude au temps libre », dans la revue Transversales, Sciences & Cultures, n° 50, mars-avril 1998.
(Texte cité par Françoise Gollain dans André Gorz et l’écosocialisme, éd. Le passager clandestin, 2021).
Skolé d’où viennent les mots école et school. Tout un programme à mettre en œuvre dans visée de skolé généralisée, une promotion de l’ Otium du peuple.
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Ce loisir actif, l’otium politiquement engagé est la reprise romaine de la scholé (skolé) grecque.
Aristote anticipant sur les effets de l’irruption productive de l’IA et de la robotisation extensive dans Politique anticipait : « …Si un jour les navettes tissaient d’elles-même et si les plectres [petites baguettes servant à pincer les cordes de l’instrument] jouaient tout seuls de la cithare, alors les ingénieurs n’auraient plus besoin d’exécutants et les maîtres d’esclaves. » (Politique, 1.4).
Dany-Robert Dufour de commenter ce texte : « Or, avec le développement du machinisme pendant les révolutions industrielles ce moment est venu (nous soulignons). Nous aurions dû sortir du travail aliéné. Pourquoi nous sommes-nous entré davantage ? » (Dans Le délire occidental, éd. LLL, 2014).
Ce texte, prémonitoire fut écrit avant l’irruption de l’IA et le déploiement de chatGPT. Le n° suivant de ce feuilleton économico-politique » reviendra sur les conséquences de la robotisation irrépressible.
L’itinéraire vers la société du temps libéré est parsemé d’obstacles et de chausse-trappes, avec lieux de tentations difficiles à contourner…

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Le cabaret, et le lupanar

En Suisse quelques vidéos produites par des opposants au revenu de base donnait à voir un homme ventru affalé sur son canapé, du salon le sol était jonché de packs de bières et de cartons de pizzas.
La bourgeoisie du XIX iéme siècle à sa façon, s’inquiétait déjà des désastreux effets qu’engendrerait la réduction du temps de travail et (malédiction!) un relèvement des salaires. Le cabaret pour s’enivrer et le lupanar serait les bénéficiaires de ces inopportunes initiatives révolutionnaires !
Les suisses sont plus réservés, mais n’en pensent pas moins.
Toujours les nantis s’étonnent, s’indignent du fait que les pauvres puissent avoir des loisirs, notait justement Bertrand Russel, mathématicien et auteur d’une réjouissante Apologie de l’oisiveté.
Nous plaidons, après de bien plus prestigieux auteurs, pour un loisir actif, créatif tel que défini par l’otium et la scholé (cf. plus haut).

Elon Musk qui en première ligne pour observer les effets de l’IA dans le système productifs : « A mon avis, les risques les plus importants sont les perturbations sur le marché de l’emploi : des millions de personnes vont bientôt perdre leur travail. Je pense aux comptables, avocats, relecteur, codeurs… » (Premier sommet mondial de l’intelligence artificielle, 1er et 2 novembre 2023.

Comme Andrew Yang, Elon Musk est partisan d’un revenu universel élevé. Et « les emplois seraient seulement pour ceux qui en voudraient pour satisfaction personnelle. […] L’un de défis futurs est de savoir comment trouver un sens à la vie .»

Oui, il nous faudra inventer un nouvel usage du temps. L’option otium/scholé nous séduit à priori.
Le cabaret, le lupanar ne nous conviennent guère. Pas davantage le canapé et la bibine.
Ne faudrait-il avec André Gorz promouvoir, instituer une éducation au loisir ? Version otium/scholé s’entend.
De fait, la généralisation de ce qui fut longtemps, trop longtemps le privilège des classes oisives bénéficiant du tripalium imposé aux prolétaires.

La scholé (skolé) une ambition contrariée

Soyons réalistes exigeons tout le possible.

« Il est temps de penser à l’envers : de définir les changements à réaliser en partant du but ultime à atteindre et non des buts an partant des moyens disponibles, des replâtrages immédiatement réalisables. Il nous faut penser à sortir de la société salariale. »

L’abolition du salariat, rien de moins ! Telle était la visée, la vision d’André Gorz, dès 1997, dans « Misères du présent. Richesse du possible. »
Oui, mais les résistances sont vives et puissantes. Sur le plan culturel notamment.

Deux auteurs majeurs sur le sujet qui nous préoccupe : Gunther Anders et Hannah Arendt sont opportunément cités par Cynthia Fleury dans “Les irremplaçables (éd. Gallimard, 2018).

« Arendt et Anders n’auront cesse de dénoncer cette détérioration de la scholé où le « temps »pour soi, pour la culture n’existe plus. Non qu’il ait disparu, mais son sens est dévalué : la culture de masse ne veut pas la culture, mais des loisirs et des articles offerts par l’industrie des loisirs. »

Dans L’obsolescence de l’homme, avec d’autres formulations, Gunther Anders fera le même constat.
A l’époque où l’on vend du temps de cerveaux disponibles… la partie n’est pas gagnée d’avance.
Forte, puissante est la tentation du canapé et de la pizza industrielle.…
Les machines numériques dopées à l’IA, chaque jour, chaque minute occupe davantage le terrain.
L’homme n’est plus qu’un appendice de chair dans une mécanique de fer (Karl Marx).

Fichtre ! Les résistance s’annoncent sévères.

Dans le prochain épisode n°5, nous discuterons de Marxisme et Cybernétique. Disparition tendancielle de la valeur.