Comme chaque année, le Secours catholique a récemment publié son rapport annuel sur l’état de la pauvreté en France. Établi grâce aux données collectées auprès des 600 000 personnes reçues dans les centres d’accueil, il offre une analyse précieuse de la situation des plus démunis. Le tableau dressé cette année est sans équivoque : l’extrême dénuement frappe un nombre toujours plus important de personnes sur le territoire et la protection sociale censée y répondre échoue largement.

La situation d’ensemble s’est détériorée depuis plusieurs années : de 2,5 % en 2000, la part de la population en situation de grande pauvreté est passée à 3,5 % en 2014. Aujourd’hui, le revenu médian des personnes secourues par l’organisation ne dépasse pas 535 euros par mois, un montant bien en deçà du seuil de pauvreté le plus bas (fixé par l’Insee à 40 % du niveau de vie médian des Français, soit 667 euros par mois).

Un phénomène illustre à lui seul la gravité de cette crise sociale : le nombre de personnes sans aucun revenu a considérablement progressé. Parmi les personnes accueillies, ils n’étaient que 14,8 % en 2010 et sont désormais 18,1 % en 2014. Plusieurs milliers de personnes, en majorité des hommes seuls, sont ainsi aujourd’hui totalement laissées pour compte et ne peuvent compter ni sur un salaire, ni sur les différentes aides sociales, ni sur l’entraide de proches et d’amis. Un tel régime de survie interpelle, il doit conduire à s’interroger sur les processus qui rendent possible pareille exclusion hors du champ de l’emploi et de l’aide sociale.

Pour beaucoup, les personnes concernées sont d’abord les victimes d’un système de sécurité sociale dissuasif et sélectif. La pénibilité des démarches, la lenteur de traitement des dossiers et l’extrême complexité des différentes aides et de leurs clauses d’attribution, achèvent souvent de décourager une population déjà éprouvée. Nombreux sont aussi ceux qui soufrent d’un manque d’information sur les droits auxquels ils sont éligibles. C’est notamment le cas des populations étrangères qui représentent le tiers des personnes privées de tout revenu. S’agissant des étrangers sans statut (soit parce que leur demande de titre de séjour est en cours d’examen, soit parce que cette dernière a été rejetée), la situation est pire encore car ils se voient de fait refuser nombre des aides sociales les plus importantes (RSA, prestations familiales) et ne peuvent prétendre à un emploi légal. On comprend dès lors les avantages que représentent l’automaticité et l’universalité du revenu de base : elles libèrent par avance de toute bureaucratie oppressive ou décourageante, annulant ainsi ce tri absurde entre ceux que l’on aide à vivre et ceux qui sont voués à survivre. Le versement automatique du RSA à toutes les personnes en situation de pauvreté serait un premier pas en ce sens.

Réfléchir à de nouveaux moyens d’envisager la vie hors de l’emploi

Outre ces lacunes profondes du système social français, les populations pauvres se heurtent aussi à un marché de l’emploi fermé et hors d’atteinte. Le rapport du Secours catholique observe ainsi une nette diminution des personnes dites « au bord de l’emploi » (en formation professionnelle ou au chômage indemnisé). Elles représentent 14,6 % des personnes accueillies en 2014 contre 16 % en 2010. Chiffre inquiétant : à peine plus de 1 % des personnes rencontrées suivent des formations professionnelles, signe révélateur de la difficulté que rencontrent les populations les plus pauvres à y accéder. La précarité financière, couplé au manque d’informations et à d’éventuelles déceptions concourent à l’expliquer. La mise en place d’un revenu de base donnerait justement à ces personnes une base sur laquelle s’appuyer pour entreprendre de se former. Elle permettrait aussi de répondre à l’augmentation des chômeurs en fin de droits qui doivent souvent rechercher un emploi tout en subissant un déclassement économique.

Enfin, un phénomène s’avère plus préoccupant encore. Le nombre de personnes rencontrées au chômage a augmenté alors même que leur niveau de formation s’est amélioré. L’illettrisme recule et près de la moitié des personnes accueillies a désormais un niveau d’études secondaires. Pourtant, ces progrès ne sont plus aujourd’hui des garanties d’emploi. Il est permis d’y voir le symptôme d’un monde professionnel saturé, qui a vu disparaître nombre de métiers suite aux progrès de l’automatisation et de la numérisation et qui n’est désormais plus capable d’accueillir tous ceux qui se présentent à lui. Pareille situation rend urgent le besoin de réfléchir à de nouveaux moyens d’envisager la vie hors de l’emploi. Le revenu de base en est un.

Loin de se réduire à sa dimension économique, la pauvreté est un phénomène complexe qui n’épargne aucun aspect de l’existence. Privées d’emploi, ces populations sont aussi privées de la reconnaissance sociale qui l’accompagne. Il est révélateur que ce qu’expriment d’abord les personnes accueillies par le Secours catholique soit un besoin d’écoute, de conseil, d’accueil. En un mot : de considération. Et c’est sans doute ce qui justifie aussi largement la mise en place d’un revenu de base universel : abolir ce grand partage de la société entre ceux qui jouissent de la légitimité d’un emploi et ceux qui ont le sentiment d’être au mieux des assistés. Au pire, des abandonnés. La mesure permettrait de mettre fin à cette stigmatisation des chômeurs et rendrait justement possible l’émergence d’une multitudes de projets, professionnels ou non, dans lesquels chacun pourrait s’investir, travailler et recevoir une part de la reconnaissance qui lui est due.

L’amertume et la colère sont aujourd’hui palpables chez les personnes concernées. « On a l’impression de recevoir les miettes d’un repas auquel nous ne sommes jamais invités », estime un groupe à Créteil. Plus que jamais, il semble que le temps soit venu d’instaurer un revenu de base en France pour enfin convier tout le monde à la même table.


Le rapport complet, Statistiques d’accueil 2014, publié en novembre 2015, est disponible en ligne sur le site de l’association. Lire en particulier la page 23. Pour en faire un donc au Secours catholique, suivez ce lien.

Photo : Secours catholique. DR.