Partager l’emploi aujourd’hui, réduire le temps de travail à 28 heures par semaine en créant 5 millions d’emplois, c’est possible avec le revenu de base. Voici comment.

Le Président François Hollande, dans sa lutte désespérée pour inverser la courbe du chômage, a énoncé ce lundi 18 janvier son énième plan de création d’emplois ou plus précisément plan de camouflage des demandeurs d’emplois de la catégorie A des statistiques, en envoyant 500 000 d’entre eux en formation, quitte à gonfler la catégorie D moins étudiée par les médias. A ce plan de transformation des chômeurs en stagiaires s’ajoute une nouvelle prime de 2000€ sur deux ans pour chaque création d’emploi dans les PME et la pérennisation du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (C.I.C.E.) créée le 1 janvier 2013 en allègement de charges. Le C.I.C.E. qui était censé créer des centaines de milliers d’emplois et qui n’a servi en fin de compte qu’à subventionner les dividendes, faute de pouvoir augmenter la production dans des usines en surcapacité face à une demande anémiée.

En 2014 le bilan des politiques de l’emploi est sévère. Cette année, le coût de l’ensemble des mesures de lutte contre le chômage s’élève à plus de 80 milliards d’euros pour la création de seulement 71 878 emplois pour 55 655 destructions de postes (voir ici). Ainsi le coût unitaire de chaque création s’élève pour le contribuable à plus de 1 million d’euros ! Politique de l’offre particulièrement coûteuse pour une efficacité quasiment nulle dans un marché qui, à cause des politiques d’austérité, de l’augmentation du chômage, du blocage des salaires, de la précarisation des emplois, n’a plus les capacités d’absorber une augmentation de la production de biens et de services. La montée des inégalités avec la concentration des richesses et la paupérisation croissante d’une frange de plus en plus grande de la société ne fait qu’accentuer cette stagnation de l’économie. Subventionner une hypothétique création d’emplois et poursuivre l’œuvre de destruction des acquis sociaux pour accroître la compétitivité des entreprises, dans un environnement en surcapacité de production, est vain. La baisse concomitante des coûts de l’énergie et des matières premières n’a eu jusqu’à présent aucun effet sur la relance de l’économie. Tous ces éléments n’ont pas encouragé, faute de marché, l’augmentation des investissements dans l’appareil de production ; ils n’ont conduit qu’à l’augmentation des dividendes distribués aux actionnaires.

En 2016, après quatre décennies de libéralisation des marchés, de mondialisation des échanges et de destruction de l’État social, nos sociétés sont en miettes, épuisées, divisées entre ceux qui s’accrochent encore à un emploi stable et toutes les victimes de cette compétition absurde. La grande majorité ne profite plus à la hauteur de son investissement en temps et en compétences de l’accroissement des richesses. Des salaires trop bas et une augmentation de la charge de travail pour les uns, la marginalisation et la pauvreté pour les autres, tout contribue pour que la majorité de la population voit sa participation dans l’économie réelle diminuer. On constate des excédents de marchandise et une déflation des prix des produits de base comme ceux du pétrole, ce qui ne manquera pas à son tour d’entraîner la chute des prix des actifs financiers et de déclencher bientôt des défauts de paiement. Telle est la situation particulièrement dangereuse dans laquelle se trouve l’économie mondiale.

Avec le développement de la robotique et du numérique et la stagnation de la production, des millions d’emplois vont disparaître si on ne s’oriente pas vers le partage du temps libéré par les évolutions technologiques.

Afin de stimuler à nouveau l’activité, il est temps de changer de paradigme en organisant le partage des emplois tout en redistribuant une partie de la richesse produite par une mutualisation d’une part des revenus d’activité et d’autre part du patrimoine privatisé par une partie de la population de plus en plus réduite (lien).

Semaine de quatre jours et revenu de base

Nous pourrions réduire le chômage en partageant mieux le travail, et profiterions ainsi des gains de productivité offerts par les nouvelles technologies pour accorder plus de temps à nos loisirs ou à nos projets personnels. Et si nous ne le faisons pas, c’est simplement que nous n’avons pas encore admis cette possibilité…” Michel Rocard

Les travaux de Pierre Larrouturou l’ont montré, la semaine de 4 jours n’est pas une hérésie économique, au contraire elle est la seule solution pour partager le travail qui existe encore. Mais la réforme des 35 heures, conduite de façon autoritaire par le gouvernement Jospin en 2000, a fermé la porte à toute évolution dans ce domaine. Pire, dans les pays occidentaux, face à la disparition du travail au profit d’une consommation supplémentaire d’énergie fossile par l’automatisation, avec une croissance qui ne reviendra plus, on tourne le dos à cette réalité en incitant ceux qui ont un emploi à travailler plus et plus longtemps (par l’allongement de la semaine de travail, la durée hebdomadaire en France d’un plein temps est de plus de 38 heures ! Et par l’allongement des carrières professionnelles). Les conséquences sont l’augmentation du chômage, l’accroissement sans fin des dépenses sociales pour réparer les dégâts de la précarité subie, ce qui conduit à l’alourdissement des déficits budgétaires.

Mais la création d’emplois par la réduction du temps de travail doit aussi résoudre la quadrature du cercle qui est celle de libérer du temps sans réduire le salaire pour le travailleur et sans surcoût pour l’employeur.

Le revenu de base inconditionnel est le levier qui donnerait enfin de l’air à notre rapport au travail en viabilisant la semaine de 4 jours tout en luttant contre la pauvreté et la marginalisation et en assurant un budget familial minimum.

Aujourd’hui, l’État consacre plus de 80 Milliards pour tenter de lutter contre le chômage, et la Sécurité Sociale avec la CNAF mobilise 75 milliards pour financer la branche famille et lutter contre la pauvreté avec des résultats bien éloignés des espérances. Ces 155 milliards sont équivalents à la fois au montant de l’impôt sur le revenu, complexe et mité par toutes sortes de niches fiscales qui le rendent particulièrement injuste, et à celui de la CSG qui assure le complément de financement de la Sécurité Sociale. Remplacer les prélèvements de l’IRPP et de la CSG (15 % en moyenne) par une cotisation sur les revenus d’activité de 25%, avec en plus la contribution de ceux qui possèdent un patrimoine, à hauteur de 1.5 % par an (150 milliards), permettrait d’allouer à tous une allocation universelle tout au long de la vie de 600€, allocation qui pourrait être administrée par la CAF.

Ce revenu de base universel et inconditionnel permettrait d’envisager un partage des emplois avec une réduction du temps hebdomadaire à 28h, soit 4 jours.

Actuellement, pour unsalarié dont le salaire brut moyen est de 2850€ (voir ici : salaire brut moyen en France – 2/3 des salaires sont inférieurs), le salaire net est de l’ordre de 2125€ et après déduction de l’IRPP pour une personne seule de 1950€.

Avec une allocation d’un revenu de base de 600€ par personne, le passage de 35 h à 28h par semaine et un salaire brut égal à 85% du salaire initial, les revenus nets de tout impôt pour 4 jours hebdomadaires de travail, seraient maintenus à 1950€. La suppression de la cotisation “patronale” pour les allocations familiales (5.4%) permettant de maintenir à 85% le salaire pour une réduction de 20% du temps de travail, rémunérant ainsi l’augmentation inévitable de la productivité. La journée libérée serait ainsi entièrement financée par ce revenu universel. Pour un salaire minimum de l’ordre de 1400€ brut, l’impact du revenu de base serait encore plus important.

Comme le préconise Pierre Larrouturou, les possibilités de gestion de ce temps libéré sont multiples suivant les corps de métiers, au gré de l’entreprise. Par exemple :

  • 4 jours de travail (28 heures) sur 5 (pour la plupart des salariés).
  • 4 jours sur 5 ½ ou 4 jours sur 6 dans la distribution.
  • 4 jours sur 7 (hôpitaux, transports).
  • 1 semaine libre sur 5.
  • 1 semaine longue, 1 semaine courte (pour les chauffeurs routiers par exemple).
  • 1 week-end de 4 jours toutes les deux semaines.
  • 1 mois libre sur 5 (chercheurs, programmeurs en informatique…).
  • 1 année sabbatique tous les 5 ans (chercheurs…). Etc.…

Avec cette journée supplémentaire libérée chaque semaine, on pourrait créer jusqu’à 25% d’emplois supplémentaires, sans augmentation sensible de la masse salariale. C’est un potentiel de plus de 5 millions d’emplois créés ! Le Président de la République pourrait enfin trouver le moyen efficace d’inverser sa courbe du chômage.

L’assurance chômage, actuellement financée par une cotisation sur les salaires de 6.4% (2.4+4) verrait sa charge diminuer. Une partie des ressources pourrait être affectée à la reconversion et à la formation des salariés. Son financement pourrait basculer sur une cotisation sur l’excédent brut d’exploitation (E.B.E.) allégeant du même coup la part des salaires dans la création de la valeur ajoutée tout en faisant davantage contribuer le capital, les machines, au financement des évolutions imposées par le progrès technique destructeur d’emplois.

Avec ce partage des emplois par une socialisation partielle des revenus, s’enclencherait le cercle vertueux de la machine à transformer le travail subi en travail choisi, l’inactivité forcée en temps libéré, la dépendance en émancipation.

En outre en assurant à tous les membres de la famille cette allocation de base, quelle que soit la situation de chacun des membres, on est assuré de sortir définitivement l’ensemble des travailleurs pauvres, des enfants, des jeunes adultes et des sans-emploi de la pauvreté et de la précarité.

Par les effets d’une telle réforme sur le bien être individuel, il ne fait aucun doute que les dépenses de l’assurance maladie diminueront aussi sans qu’il soit nécessaire d’imposer des budgets d’austérité qui entraînent inéluctablement une réduction des remboursements des soins et le recours à des mutuelles d’assurance privées.

Face à la crise qui menace de tous nous emporter il est impérieux de surmonter les résistances qui empêchent nos dirigeants de prendre les mesures qui s’imposent. L’inaction de nos élites et de nos élus dans ce domaine n’a pas d’excuse et est à terme dangereuse. Afin d’en finir avec des souffrances inutiles chez l’ensemble des travailleurs et des citoyens, il est temps d’imposer le débat sur cette idée dont l’heure est venue. Souhaitons que les amendements portés à l’assemblée sur l’allocation d’un revenu universel et inconditionnel ouvre la voie pour une mobilisation massive sur ce sujet.

« Le revenu d’existence est bien de nature à modifier génétiquement la société. Il n’impose pas une forme préconstruite clé en mains, mais son instauration pousse l’ensemble de la société à se réorganiser spontanément. C’est pourquoi il faut en apprécier ses conséquences dans l’espace et dans le temps. » Yoland Bresson Fondateur de l’A.I.R.E.


Cet article a été initialement publié sur le blog de Guy Valette sur le Monde. Illustration : La Gauche.com. DR.