De bonnes nouvelles pour surmonter la crise sanitaire
Trente nouvelles reçues dans les délais prescrits. Bon chiffre, score honorable.
Comme vous le savez (le subissez), un certain Covid, immatriculé 19 trouble l’époque, oblige à différer nombre d’initiatives. Ainsi du concours initié par le MFRB, qui ne pourra déployer toute l’ingéniosité de la mise en scène pour publiciser les textes issus des « imaginatoires » des autrices et auteurs ayant saisis plumes et claviers.
Qu’importe : C’est autant de gagné ! En effet, le site du MFRB accueillera toutes les nouvelles.
Oui, c’est rien de moins qu’un palpitant feuilleton que nous vous proposons !
Introduction
L’imagination au pouvoir, un slogan et proclamation d’un certain mai 1968 dont l’inspiration libertaire et révolutionnaire ne dura guère, bien au contraire le libéralisme libertarien, un avatar bâtard allait bientôt occuper le devant de la scène politique et l’arrière fond des consciences.
C’est pourtant la célébration uchronique d’un centenaire encore lointain qui nous incita à situer par convention les péripéties des nouvelles aux alentours de 2068.
La consigne donnée pour le concours initié par le MFRB fut très librement interprétée, c’est bien ainsi.
Comme le nota avec sagacité le regretté David Graeber, l’auteur de « Bullshit jobs », « Boulots à la con », la critique et le refus en actes du travail avaient dans les années 70 sérieusement fragilisé l’édifice culturel, idéologique du capitalisme.
Madame Thatcher et Monsieur Reagan, avec la vigueur que l’on sait s’attelèrent à démonter les générosités dangereuses de l’État Providence. Nous pouvons apprécier - pour certains douloureusement – la version hexagonale du néo-thatchérisme de Monsieur Macron…
L’imagination, nous y revenons, qui permet d’intellectuellement construire d’autres mondes possibles, d’initier une « guerre des imaginaires » pour reprendre une formulation d’Alain Damasio.
La bataille n’est pas gagnée d’avance pas davantage immunisée, à l’abri des détournements et récupérations. Herbert Marcuse, un auteur culte des années 70, nous avait prévenu.
Pourtant les cogitations libres, les imaginations non entravées, toujours représentent un danger pour le Pouvoir, les Ploutocrates et les dévots du travail.
La célébration de la valeur travail, a pour fonction de préserver les modalités de la valorisation du capital. C’est un blasphème que de ne pas se joindre au chœur des dévots du boulot.
Entre la fin du travail et le travail sans fin, il nous faut explorer les confins des fictions littéraires pour décoloniser les imaginaires comme nous le conseille le « pape de la décroissance », Serge Latouche.
Brèves rencontres avec quelques auteurs
Evgueni Zamiatine, dans un roman dystopique, « Nous autres » (1920 , éd. Gallimard, 1979), écrit : « L’imagination ! L’imagination ! Voilà le danger ! Il faut intervenir chirurgicalement pour l’extirper ! »
Orwell (1984), et A. Huxley (Le meilleur des mondes), se sont explicitement inspirés de Zamiatine. De nos jours, l’omniprésence numérique, le big brother high-tech des smart phones, la prolifération des « réseaux sociaux », tous ces appareils ont des effets « endo-psychiques » qui formatent les esprits, étouffent les imaginations.
De multiples études, de nombreux livres solidement argumentés, font valoir que le travail comme nécessité pourrait être réduit à mettons 2 h par jour, comme le démontrait le collectif Adret dès les années 70 .
La science fiction appréhendée comme anticipation du monde qui pourrait advenir peut (ré) activer les « imaginatoires » trop souvent étouffées par les proliférations envahissantes des machines numériques.
Précédents les lauréats du concours proposé par le MFRB, parcourons les textes de quelques auteurs qui donne à voir, à concevoir d’autres mondes possibles.
Une anticipation formulée par André Gorz dans Adieux au prolétariat.
« Il faut que le « travail » perde sa centralité dans la conscience, dans la pensée, l’imagination de tous : il faut apprendre,à porter sur lui un regard différent, ne plus le penser comme ce qu’on a ou ce qu’on a pas, mais comme ce que nous faisons »
Quelques années après Les Adieux, il défendra le revenu de base suffisant dans Misères du présent. Richesse du possible. La possibilité-nécessité du revenu ne peut être réduite à l’économie, c’est un projet de civilisation qui est en gestation dans la revendication du revenu universel de base.
Richesse du possible,… approche de quelques anticipations pour en mesurer les possibilités
Proteus. Louis Raffin. Ed. Gallimard,1979.
Dans un ouvrage, contenant de fortes prémonitions, la quasi disparition du travail est mise en scène, la tentation émergente, quasi néo-darwinienne, occupe une bonne partie du livre. Les « surnuméraires » sont laissés pour compte. Extraits de Proteus. Roman de politique fiction par Louis Raffin,
- « … Les robots… Au début les machines ont envahis les campagnes des pays occidentaux, les paysans sont devenus ouvriers et leur production a explosé. Aujourd'hui, les machines chassent les hommes de l'industrie, et même dans les pays à bas salaires connaîtront le même sort, car les machines sont toujours plus puissantes, plus rapides, plus nombreuses et moins chères. Il ne reste plus que le secteur des services, amis nous en sommes délogés aussi ! Les machines ne se contentent plus de remplacer nos bras. L'informatique leur ajoute son intelligence artificielle, qui croît sans fin, contrairement à la nôtre.
[…]
- Les seuls immigrés encore bienvenus sont ceux qui acceptent un salaire inférieur au coût d'une machine et ceux assez qualifiés pour qu'un robot ne puisse pas encore les remplacer, c'est-à-dire chaque jour un peu moins !
[…]
- Ce ne serait pas plus simple de laisser à ces hommes leur travail et leur dignité, de renoncer à les remplacer par des machines, plutôt que d'en faire des assistés sur un îlot perdu pour le restant de leurs jours ?
- S'ils restent des assistés, c'est qu'il le veulent bien ! Quant à leur dignité, vous me faites rire ! Vous voulez que je laisse à ces hommes un travail qu'une machine peut faire ? Où est votre respect de leur dignité dans tour cela ? »
De cette anticipation réaliste, nous pouvons conclure que les mécanismes économiques ne fonctionnent plus. La production cybernétique opère un saut qualitatif dans l 'économie et la production.
Proteus, comme anticipation donne à lire quelques préconisations positives, prospectrices :
« Les salariés remplacés par les machines furent formés aux travaux humains restants pour y partager les emplois des collègues restés en poste. [il s'agit bien de créations d'emplois, de partage du travail, de réduction individuelle et générale du temps de travail]. Tous passèrent ainsi à mi-temps et à mi-traitement, mais le loyer des robots ventait compenser les pertes de salaire de chacun.[…] On venait néanmoins d'y prouver, là aussi, qu'en partageant le bénéfice des machines, la modernisation pouvait entraîner autre chose que la chômage et la baisse des salaires. »
Le loyer des robots, n'est-ce qui économiquement permet le versement d'un revenu de base ? Politiquement, c'est une socialisation de la production, après expropriation (partielle?) des propriétaires des instruments de production, i.e. les capitalistes. Marxisme accompli ? Ou contrarié ?
Marxisme « dépassé »(?), car, de nos jours la fonction du prolétaire devient chaque jour moins utile : « Jour après jour, le capital se passe un peu plus du travail humain pour produire. Le prolétaire n'est plus exploité, il est inutile. »
L'auteur, Louis Raffin, se garde de l'accusation d'utopisme. Dans la page finale, l'un des locuteurs d'affirmer : « Je ne suis pas un rêveur. Les rêveurs sont ceux qui s'imaginent que l'ascension des machines dans le monde du travail se poursuivra sans remettre en cause notre organisation sociale. » (Nous soulignons).
Quelques lignes de Philippe K.Dick dans Loterie solaire. Ed., J’ai lu, 1971.
« AU XXe siècle, le problème de la production avait été résolu. Ensuite c'est le problème de la consommation qui affligea l'humanité ? Dès 1950-1960, les produits manufacturés et fermiers s'empilèrent dans le monde occidental. On en donne autant que possible – mais cela constituait une menace pour le marché libre. En 1980, la solution momentanée fut d'en brûler pour des milliards de dollars, semaine après semaine.[...] La désintégration du système économique fut lente progressive et profonde. (Nous soulignons).
A tel point que les hommes refusèrent de croire en l'exactitude des lois naturelles. Plus rien n'était stable; l'univers était un flux perpétuel.»
Alain Damasio dans Au bal des actifs. Demain le travail. Ed. La Volte, 2017.
« ...taux d’emploi passé sous la barre des 10 % (9,9%)…. Taux d’automatisation globale… Grand pas vers une société désaliénée…
Baromètre 2062 des professions libérées : livreurs 94 %, conducteurs 92 %, vigile 91 %, journalistes 88 %, agent d’accueil 86 %, nettoyage 83 %, soldat 82 %, formateur 80 %, ouvrier non qualifié 73 %, traducteur 72 %, serveur 70 %, juriste 65 %, médecin 62%, professeur 60 %,…
[...]J’étais de la génération « libérée » du travail. […] Le retournement mental avait enfin eu lieu , venu du peuple, et nos élus s’y étaient habilement adaptés:loin d’être une honte, ne pas travailler était devenu quelque chose de positif. L’oisiveté, ce privilège des nobles à la Renaissance, s’affichait à nouveau comme une vertu. Presque un savoir être.
En cette année 2060, vivre du revenu universel (nous soulignons) était majoritairement ressenti comme une véritable émancipation, surtout par les vieilles générations. »
Alain Damasio anticipe les consignes du concours : c’est dès 2060 que la société a trouvé les moyens de mettre le travail à sa place: marginale. La valeur travail n’est plus centrale, la vie vraie occupe le centre. L’usinage du temps n’a plus lieu d’être, le loisir actif, civique est gagné sur la nécessité : c’est l’antique Otium qui est généralisé. Les esclaves mécaniques anticipés par Aristote ont permis l’avènement de l’Otium du peuple.
Nous vivons tous dans un monde meilleur. Karim Berrouka Dans Au bal des actifs. Demain le travail. Dans Au bal des actifs. Idem.
« La cité est une imposture. Son essence est notre soumission. Les tâches que nous réalisons sont inutiles. Les unité automatisées pourraient les réaliser.
[…] Depuis quinze ans l’usine tourne à vide et ne produit rien. Tu te tues lentement pour rien.
[…] Si j’ai bien compris vous percevez le travail comme une sorte d’anesthésiant. Ou de moteur de la soumission. »
Pour nourrir les « imaginatoires », d’autres auteur de (science) fictions sociologiques sont fort recommandables.
. RUR, Robots universels de Karel Capek, est l’inventeur du mot robot.(1920, dans un texte théâtral qui sera mis en scène dans de nombreux pays) repris en 2018 dans L’avant scène Théâtre).
« Il n’y aura plus de pauvreté. Tout le travail sera réalisé par des machines vivantes. On ne vivra plus que pour se perfectionner soi même. »
Un revenu est donc nécessairement accordé à toute la population.
C’est ce qu’ imagine également
. Philippe Curval dans Lothar Blues : « Les humains possèdent une rente à vie. »
. H.G.Wells dans La machine à explorer le temps, une première partie, utopie dans la dystopie décrit un mode de rêve , de richesses partagées, luxe, calme et voluptés (Baudelaire), mais cela ne dure guère… Le sous-sol réserve des surprises.
. De K. Vonnegut il faut lire Le pianiste déchaîné. Tout une partie de la population fait semblant de travailler. La production est presque entièrement assuré par les machines. Travailler est un devoir, même inutile le travail est un impératif catégorique.
. Le collectif Zanzibar avec son Minifeste entend user de la fiction pour désincarner le futur.
Et encore, au cinéma :
. Brazil (magnifique délire politico-poétique !), Le classique Metropolis, Trepalium visible sur arte, situé dans un futur inquiétant et terriblement proche, Bienvenue à Gattaca,… fictions cinématographiques où le travail, souvent trepalium, instrument de torture est radicalement, à la racine, questionné.
. Un film (ancien) : La comédie du travail traite la question sur un mode tragi-comique.
...
Bien d’autres livres et films peuvent alimenter nos « imaginatoires ».
Après cette brève visite chez des auteurs ayant pignon dans les contrées littéraires, il est temps de découvrir les textes des impétrants du concours du MFRB.
Des surprises vous attendent...
Alain Véronèse
Les Nouvelles
“La traversée”
d’Olivier Gardon
22 novembre 2021
“Sans que le virus s’en mêle” d’Angelika Gross
2 novembre 2021
“Le vote”
de Kyllian Cossart
11 octobre 2021
“En 2068 le revenu de base fête ses 45 ans” de Michel Chaudy
30 septembre 2021
“Mané”
de Cathy Bou
22 septembre 2021
“Dieppe, 4 juillet 2068”
de Hélène Coquériaux
12 septembre 2021
“Clara”
de Corinne Palmerini
6 septembre 2021
“Le sens de la fête” de Julie Benedetto
30 juillet 2021
“Je suis, tu es, nous sommes” de Béatrice Testet
16 juillet 2021
“La réconciliation” de Catherine Briand
7 juillet 2021
“La nuit est belle” de Cyrille Divry
25 juin 2021
“Appel à la résistance” de Christophe Barreau
16 juin 2021
“Les cancrelats” de Bertrand Duprat
28 mai 2021
“Une geisha à Paris” d’Émilie Levraut
21 mai 2021
“Revenu”
de Adrien Hugerot
4 mai 2021
“Le chemin au bord de l’eau”
de Gilberte Wable
27 avril 2021
“Modalité d’avenir” de Christian Bergzoll
16 avril 2021
“La limite de Schumpeter” de Jérôme Baud
28 février 2021