Article traduit par le MFRB publié sur The Brussels Times le 02 avril 2020
Le Congrès américain a décidé en mars que la plupart des citoyens américains recevraient un revenu inconditionnel de 1 200 dollars.
Des dizaines de membres du Parlement britannique ont signé une lettre plaidant pour un « revenu de base universel d’urgence ». Afin de faire face à l’impact économique et social de la crise du COVID 19, de nombreux autres pays du monde, de l’Italie à l’Inde, préconisent désormais l’introduction d’un revenu de base inconditionnel.
Vous défendez cette idée depuis le début des années 80. En 1986, vous avez convoqué dans la ville universitaire de Louvain-la-Neuve la première conférence internationale sur le revenu de base, qui a vu naître BIEN, un réseau qui couvre désormais le monde entier (basicincome.org). Et vous avez récemment publié un ouvrage de référence sur le sujet (Philippe Van Parijs & Yannick Vanderborght, Basic Income. Une proposition radicale pour une société libre et une économie saine, Harvard University Press, 2017) déjà traduit en plusieurs langues, dont le chinois et le coréen. Son heure est-elle enfin venue ?
Au cours de ces quarante années, j’ai appris à ne pas m’exciter trop vite. C’est vrai que l’idée vient à droite, à gauche et au centre. Mais il existe plusieurs versions, avec des objectifs distincts.
L’un des objectifs est de garantir que personne ne se retrouve sans revenu pendant des semaines à la suite du blocage imposé par un gouvernement.
Dans de nombreux pays, dont la Belgique, un régime de chômage « technique » ou « temporaire » est déclenché, les travailleurs percevant une prestation équivalant à 70 ou 80% de leur salaire pendant une période limitée. Mais il est plus difficile de concevoir un système qui couvre de manière satisfaisante la catégorie croissante des indépendants, des travailleurs de différentes plateformes, et des travailleurs avec des contrats irréguliers ou « zéro heure ».
Dans plusieurs pays, ce sont les catégories qui ont connu la croissance la plus rapide ces dernières années. C’est ce qui a inspiré la proposition britannique que vous avez mentionnée. Fin mars, plus de 170 membres de la Chambre des communes et de la Chambre des lords ont plaidé pour la mise en place d’un « revenu de base universel d’urgence » pour la durée de la pandémie : un montant équivalent au salaire décent après impôt, à payer chaque semaine à tous les résidents et financé par des emprunts publics.
Comparé aux régimes existants, y compris le soi-disant « crédit universel » du Royaume-Uni, un tel régime véritablement universel aurait l’avantage d’atteindre tous les ménages avec un minimum de bureaucratie.
Mais cela aurait l’inconvénient d’augmenter à un coût élevé le revenu net d’une majorité de personnes dont le problème n’est pas qu’elles ont un revenu trop faible, mais qu’elles ne peuvent pas le dépenser en raison de fermetures de magasins.
On peut aussi argumenter que la dette publique serait inutilement gonflée par une telle mesure, et que quelque chose de plus finement réglé pour faire face à la chute soudaine des revenus des personnes touchées par la crise aurait plus de sens, même si le ciblage est imparfait.
Un « revenu de base d’urgence » est-il différent de ce que l’on appelle « l’argent hélicoptère », une dénomination parfois utilisée également pour défendre un revenu de base universel ?
Le but est différent. Lorsqu’une économie est en récession, une banque centrale voudra la dynamiser en y injectant plus d’argent. Ceci est communément appelé « assouplissement quantitatif » et est généralement réalisé en permettant et en incitant les banques privées à prêter davantage aux entreprises et aux ménages.
Mais alors que les taux d’intérêt approchaient du niveau le plus bas possible, de nombreux économistes ont commencé à plaider pour ce que l’on appelle le « Quantitative Easing for the People », « l’impression » d’argent à distribuer directement aux ménages.
La manière la plus simple de procéder consiste à verser directement le même montant sur le compte bancaire de chaque résident. Bien entendu, un tel paiement a un effet inflationniste, et il est censé en avoir un. Il doit être utilisé lorsqu’il n’y a pas suffisamment d’inflation, et il doit donc nécessairement être temporaire, ce qui est également le cas pour un revenu de base d’urgence ou d’autres mesures destinées à faire face à l’impact immédiat de la pandémie sur les revenus disponibles de nombreux ménages.
Mais son timing optimal est différent. L’argent hélicoptère est à garder en réserve pour le moment où les entreprises pourront rouvrir et accueillir une forte demande.
La crainte parfois exprimée est que, tout comme les entreprises n’investissent pas même lorsque les taux d’intérêt sont très bas, les ménages ne dépensent pas mais accumulent plutôt les revenus supplémentaires qu’ils perçoivent.
Certaines propositions d’ « assouplissement quantitatif pour le peuple » proposent donc que ce paiement soit effectué dans une monnaie « fondante » qui perd de sa valeur avec le temps, afin que les ménages soient encouragés à l’utiliser immédiatement.
Certaines propositions excluent également les ménages à hauts revenus qui ont une moindre propension à consommer. Comme c’est bien expliqué dans un récent article de l’ONG Positive Money , la Banque Centrale Européenne serait bien avisée d’adopter une version de cet « assouplissement quantitatif pour le peuple » dès que les mesures de confinement pourront être assouplies dans la zone euro.
Comment le « revenu de base universel » de 1 200 dollars de Trump s’inscrit-il dans cette distinction entre deux objectifs distincts ?
Le projet de loi adopté en mars par le Congrès américain promet le paiement unique d’une subvention inconditionnelle de 1 200 dollars à tous les résidents dont le revenu annuel brut du ménage est inférieur à 90 000 dollars.
En plus du désir d’être généreux au cours d’une année électorale, les deux objectifs sont pertinents ici : amortir la perte de revenu immédiate de beaucoup et stimuler la demande globale pour l’ensemble de l’économie.
Mais d’après ce que j’ai lu, le défi administratif de toucher un grand nombre de ceux qui ont le plus besoin du tampon est tel qu’il faudra plusieurs semaines avant d’obtenir leurs 1200 dollars.
Quant à la relance macroéconomique, elle fonctionnera vraisemblablement dans les régions du pays les moins touchées par la crise, mais elle se heurtera au blocage pour les personnes les plus touchées.
Vous semblez plutôt tiède face à ces différents développements.
Les mesures proposées ou sur le point d’être mises en œuvre sont utiles et, dans certaines circonstances, elles peuvent fournir le meilleur outil disponible. Mais elles sont toutes intrinsèquement temporaires.
Au delà du court terme, elles ne sont pas viables. Cependant, elles partagent toutes une vertu intéressante. Elles nous font toutes mieux comprendre à quel point nos sociétés et nos économies seraient mieux équipées pour faire face à des défis comme celui-ci si un revenu de base inconditionnel permanent était en place.
Si tel avait été le cas, il ne resterait plus personne sans aucun revenu, attendant la mise en œuvre de programmes ad hoc ou cherchant à savoir comment accéder à des programmes existants dont il n’avait jamais rêvé d’avoir besoin.
Contrairement à un revenu de base d’urgence, un revenu de base permanent n’augmenterait pas le revenu net des riches et n’aurait pas besoin d’être financé par une augmentation massive des emprunts publics. La majeure partie serait payée par ceux dont les revenus ne sont pas affectés par la crise.
Cela ne rendrait pas inutile d’avoir des régimes d’assurance sociale qui protègent à la fois les salariés et les travailleurs indépendants contre une perte de revenu soudaine. Mais ces régimes s’ajouteraient à une sécurité du revenu de base fournie à tous sans condition.
Si un tel revenu de base existait au niveau de l’UE, il fonctionnerait en outre comme une solidarité automatique entre les États membres, le choc étant atténué dans les pays les plus durement touchés.
De plus, chaque fois qu’un assouplissement quantitatif serait nécessaire, le canal serait prêt pour cela, et il suffirait d’une augmentation temporaire, simple sur le plan administratif, du revenu de base régulièrement versé à tous.
Alors, pensez-vous que le moment est venu pour une réforme fondamentale de nos systèmes de protection sociale qui intègrerait un tel revenu de base permanent, même éventuellement au niveau européen ?
Je crois à l’utopisme opportuniste. Les crises peuvent offrir des opportunités de percées majeures.
En Belgique, le suffrage universel masculin est le produit de la Première Guerre mondiale, et un État-providence développé, comme dans de nombreux autres pays, est le produit de la Seconde Guerre mondiale.
Nous ne savons pas à ce stade combien de temps, quelle sera l’ampleur et l’étendue de la crise économique déclenchée par la pandémie de coronavirus. Mais nous devons essayer de profiter de l’élan pour restructurer nos institutions afin de rendre nos économies et nos sociétés plus équitables et plus résilientes.
Après le référendum suisse et l’expérience finlandaise, les campagnes présidentielles de Benoît Hamon en France et d’Andrew Yang aux États-Unis les nombreuses propositions pour un « Revenu de base universel d’urgence » ou pour un « assouplissement quantitatif pour le peuple » en réponse à la crise actuelle peut en outre contribuer à persuader les gens qu’un revenu de base inconditionnel est au cœur de nos besoins.
Pour en faire une réalité dans un contexte national particulier ou au niveau européen, des visionnaires et des militants sont nécessaires, mais aussi, au bon moment, des bricoleurs institutionnels intelligents et des politiciens courageux.
IL FAUT imposer LE REVENU DE BASE Inconditionnel les Etats peuvent le financer ;
J’approuve cette démarche en France on souhaite cette mise en place des associations militent pour cela
[…] Le Brussels Times a posé cinq questions à Philippe Van Parijs autour du revenu de base et du coronavirus. […]