Comment l’Union Européenne peut-elle apporter une réponse aux bouleversements du marché du travail ? Alors que 40% des employeurs peinent à trouver des candidats avec les bonnes compétences, le travail précaire ne cesse d’augmenter. Les prochaines élections européennes auront lieu en mai 2019. Il est temps de mettre le revenu de base sur le devant de la scène. Comment préparer le débat auprès des candidats ?
Aurélie Hampel, membre de l’association européenne pour le revenu de base (UBIE), nous donne quelques pistes. Elle coordonne une délégation de 20 jeunes européens au grand événement European Youth Event à Strasbourg qui aura lieu au Parlement européen en juin. Elle vient de lancer un crowdfunding pour financer ce voyage et vous explique les raisons de soutenir ce projet.
Une précarité grandissante au sein de l’Union Européenne
Commençons par un chiffre-choc : 1 personne sur 4 dans l’Union Européenne (UE) est en situation de pauvreté ou d’exclusion sociale (Eurostat, 2015). Si le taux de chômage a légèrement baissé depuis 2013, il se concentre aujourd’hui en grande partie sur les jeunes (ils sont 3,7 millions sur un total de 18.4 millions de chômeurs), tandis que le nombre de travailleurs pauvres n’a cessé d’augmenter. Enfin, depuis la dernière crise économique et financière, les inégalités se sont creusées entre les États-membres ainsi qu’au sein de ces derniers.
Nous avons un défi commun avec tous les pays d’Europe : réussir la transition de la 4ème révolution industrielle. En effet, avec l’automatisation, la digitalisation et la robotisation, le monde du travail connaît une transformation sans précédent, pour le meilleur et pour le pire. Au-delà des emplois automatisés, il y a un problème de répartition des bénéfices apporté par la technologie : les gains de productivité, dus au travail des machines, ne sont pas traduits en augmentation salariale et profitent principalement aux détenteurs du capital.
Mais les défis ne sont pas seulement liés aux évolutions technologiques. L’Europe connaît aussi de grands changements démographiques, et le marché du travail impose toujours plus de flexibilité, fait émerger de nouveaux types de contrats de travail ainsi que des nouvelles formes d’emploi atypiques moins bien protégés. Le tout est couplé aux problèmes actuels des systèmes de protection sociale que l’on observe, à différents degrés, dans les Etats-membres de l’Union : en particulier les taux de non-recours (35% in France ou 65% au Luxembourg, 70% au Royaume-Uni et 80% en Espagne), des montants inadéquats, une couverture insuffisante, ou encore la stigmatisation réelle ou ressentie par les allocataires sociaux et demandeurs d’emploi en tant que citoyens de second ordre.
Suite à la conjonction de ces différentes dynamiques ‑en particulier l’intégration d’un marché du travail globalisé, la flexibilité du marché du travail, l’automatisation et la financiarisation de l’économie‑, on voit émerger un précariat (néologisme issue de la contraction entre précarité et prolétariat).
Il s’agit d’une nouvelle classe hétérogène d’individus marqués par une insécurité économique chronique, un manque d’accès à des perspectives de long-terme sur le marché du travail et un droit restreint aux prestations sociales.
Tout cela implique donc une augmentation du risque de pauvreté et d’exclusion sociale, ainsi qu’une intensification de la précarité qui justifient le besoin d’un revenu de base afin d’assurer une sécurité économique indispensable à l’existence humaine.
Le revenu de base ne se justifie donc pas seulement pour répondre à l’automatisation d’un nombre croissant d’emplois, il est nécessaire afin de faire face à l’insécurité économique et à l’exclusion sociale qu’elle engendre.
C’est pour cela qu’il est important de garantir un socle commun comme le revenu universel, pour garantir des conditions de vie décentes, quelque soit le statut de la personne.
Si nous sommes ambitieux, nous pourrons alors améliorer la qualité du travail et l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle. En permettant le choix de réduire son temps de travail grâce à ce revenu garanti, il pourrait aussi favoriser une meilleure répartition des emplois.
Un besoin de nouvelles compétences face aux mutations du travail
La digitalisation et la robotisation de l’économie ne font qu’augmenter le besoin de développer de nouvelles compétences. D’après une récente communication de la Commission européenne :
- 40% des employeurs peinent à trouver des candidats avec les bonnes compétences pour croître et innover ;
- La formation tout au long de la vie est devenue une priorité. Mais, seulement une fraction des adultes y ont recours, et sont généralement déjà hautement qualifiés ;
- Les personnes les moins qualifiées sont en situation plus précaire ou en situation de travail fragmenté.
Le revenu de base ne doit pas être vu comme un coût mais comme un investissement dans le futur des citoyens européens. Le revenu de base permet aux gens de se donner du temps pour se former et passer plus facilement du monde professionnel au développement de leurs compétences. Le temps est une ressource rare et n’est pas accessible aux personnes les plus fragilisées. Ni l’âge, ni la situation familiale, ni la situation géographique ne devrait être un obstacle pour réaliser ses projets.
Vers une Europe solidaire et une véritable citoyenneté européenne
Face à l’intensité de ces problèmes économiques et sociaux et à l’ampleur du défi associé aux progrès technologiques, UBIE promeut, parmi ses propositions, l’idée d’un revenu de base européen – un Euro-dividende – afin de développer un modèle social plus juste, stable et efficace à l’échelle de l’Union européenne.
Versé mensuellement à tous les citoyens européens, et d’un montant modeste (200 euros en moyenne et modulé selon le niveau de vie dans chaque Etat-membre), l’Euro-dividende est complémentaire à l’introduction d’un revenu de base national. Il constitue un soutien systémique de l’UE à la politique sociale de ses Etats-membres. Ainsi, il permet de s’attaquer à 4 grandes priorités :
- Réduire la pauvreté et les inégalités de revenu en garantissant la sécurité d’un revenu de base,
- Fournir un revenu venant en complément de celui des programmes sociaux nationaux pour les chômeurs,
- Réduire les déséquilibres économiques et sociaux excessifs entre les pays de la zone euro grâce à son effet de stabilisation automatique.
- Jouer un rôle de stabilisateur démographique en réduisant les incitants financiers qui poussent certains à l’émigration, ou au contraire un rôle d’accompagnement pour ceux qui désirent s’établir ailleurs dans l’Union.
Enfin, même établi à un montant modeste, l’Euro-dividende constitue une matérialisation effective de la citoyenneté européenne et organise une « Europe sociale » à plusieurs niveaux où solidarité nationale et solidarité pan-européenne se renforcent mutuellement.
En juin, nous serons au Parlement européen de Strasbourg
UBIE a été invité à prendre part à la table ronde « Revenu de base : le retour de Robin des Bois ? » organisée par le parlement européen, dans le cadre d’un grand événement jeunesse “European Youth Event 2018” (EYE2018). A cette occasion, plus de 8,000 jeunes seront présents à travers diverses organisations, aux côtés d’eurodéputés et d’importants décideurs européens. Cinq grands thèmes y seront représentés à travers différentes activités : la révolution digitale, les inégalités, la citoyenneté européenne, la sécurité, ainsi que la protection de la planète.
Il est important d’engager plus de dialogue avec les politiques et les organisations de la société civile, pour montrer que les solutions sont déjà là. L’Euro-dividende, le revenu de base agricole, l’éco revenu de base ou encore le revenu de base enfant, sont des propositions que nous développons à l’échelle européenne afin de répondre à ces différents défis.
Avec UBIE, nous avons décidé de former un groupe de 20 jeunes de 10 nationalités pour porter ce message à Strasbourg. Ce sera une grande expérience de citoyenneté européenne ! Nous sommes heureux de compter trois membres du MFRB parmi la délégation !
Peut-on savoir de quel montant serait ce revenu de base ? Est-ce qu’il se substituera aux aides sociales et au chômage ou cela sera t‑il commulable ? Merci !