Alors que le revenu universel s’est installé au centre du débat public depuis plusieurs mois, le Mouvement français pour un revenu de base (MFRB) a organisé lundi 20 février une grande conférence publique dans l’auditorium de l’Hôtel de ville à Paris.
Ni colloque universitaire, ni meeting partisan, l’événement a fait entendre devant une salle comble la diversité des voix qui soutiennent ou réfléchissent aux possibilités d’un revenu versé à tous sans condition ni contrepartie : citoyens, acteurs associatifs, économistes, responsables politiques, entrepreneurs. En rappelant ce qui les rassemble sans esquiver ce qui les sépare.
Le socle qui fédérait l’ensemble des participants tient en trois mots : universalité, individualité et inconditionnalité. Autant de critères qu’un revenu de base se doit de respecter s’il ne veut pas usurper son nom, comme l’a rappelé Nicole Teke, coordinatrice relations publiques du MFRB.
« Sans argent, la liberté n’est qu’un vain mot » (Chris Hughes)
C’est Chris Hughes, co-fondateur de Facebook venu spécialement des Etats-Unis pour participer à cette conférence, qui a ouvert l’événement en répondant (en français !) aux questions d’Aurélie Hampel, coordinatrice internationale du MFRB. Symbole de l’actuel intérêt que porte la Silicon Valley au revenu universel, il a rappelé l’inutilité de faire de la liberté un principe de nos sociétés si l’on ne donne pas aux gens les moyens sonnants et trébuchants de la concrétiser. Chacun doit pouvoir faire les choix qui lui semblent être les bons. Le revenu de base est avant tout un geste de confiance : refuser tout paternalisme, ne pas dicter aux gens le chemin à suivre, leur permettre de faire des erreurs et de rebondir.
“Tout le monde doit avoir la capacité de faire des choix, de créer son destin” (@chrishughes, co-fondateur de Facebook) #rdblaconf pic.twitter.com/EeHXUyCwcF
— MFRB Revenu de base (@revenudebaseFr) 20 février 2017
Hughes a contribué à fonder en décembre 2016 l’Economic Security Project, une organisation américaine regroupant des centaines de personnalités de la société civile qui ambitionne d’étudier, de diffuser et de d’expérimenter les modalités du revenu universel. Si elle se heurte encore à des résistances idéologiques ancrées dans la population américaine, l’idée du revenu universel jouit néanmoins d’un succès croissant aux Etats-Unis. Le mouvement anti-raciste Black Lives Matter l’a ainsi intégrée au nombre de ses revendications, faisant écho à la démarche de Martin Luther King qui, en 1967, fut l’un des premiers à défendre l’idée dans le pays.
Thanks @revenudebaseFr for a great conference and for your work to put the basic income at the heart of the political debate in France !
— Chris Hughes (@chrishughes) 23 février 2017
UNE UTOPIE À PORTÉE DE MAIN
Lors de la première table-ronde, l’accent a été mis sur la manière dont le revenu universel pourrait nous permettre de refonder notre rapport au travail. Si tous les intervenants se sont accordés à dire que le revenu de base offrirait un surcroît de reconnaissance à nombre d’activités aujourd’hui injustement reléguées ou peu considérées (le travail domestique notamment), leurs avis ont divergé quant à savoir quelle position adopter face aux mutations du monde professionnel.
De gauche à droite : Pierre Saglio (ancien Président d’ATD Quart Monde), Emmanuelle Vignaux (région Nouvelle Aquitaine), Antoine Stéphany (coordinateur formation au MFRB), François-Xavier Oliveau (membre du think-tank Génération libre) et Baptiste Mylondo (économiste)
L’économiste François-Xavier Oliveau (membre du think-tank Génération libre) voit dans le fractionnement des parcours professionnels et l’ubérisation en cours un phénomène inéluctable que le revenu universel permettrait d’accompagner en sécurisant l’existence de chacun. Baptiste Mylondo, économiste, répond quant à lui qu’il est dangereux de justifier le revenu de base au nom d’un phénomène – la révolution numérique – dont l’issue demeure encore incertaine et dont la soutenabilité écologique reste discutée. Assumant un positionnement anticapitaliste, il explique qu’un revenu universel d’un montant suffisant doit surtout permettre d’échapper à l’exploitation en donnant à chacun les moyens de refuser un travail indigne. Dans une perspective écologique, il doit aussi encourager une remise en question chez les individus du sens de leurs besoins et couper court au régime actuel de consommation illimitée.
« Le revenu de base reconnaît la contribution de tous à l’enrichissement collectif » (Baptiste Mylondo)
Pierre Saglio, ancien président d’ATD Quart Monde, est intervenu pour mettre en garde contre les risques inhérents à un détournement socialement nuisible de l’idée. Le revenu universel ne saurait être une somme modique qui justifie tous les renoncements. Il est vital de maintenir une forme d’accompagnement : l’immense majorité des personnes au chômage souhaitent retrouver un emploi et dépensent aujourd’hui une énergie immense à cette tâche. C’est le devoir d’une société de les aider.
LE PROCHAIN CHANTIER DU QUINQUENNAT
La conférence a aussi donné lieu à de stimulants échanges sur l’importance et l’utilité des expérimentations. Emmanuelle Vignaux s’est attachée à défendre la pertinence du projet lancé en 2016 par Martine Alcorta (EELV), conseillère régionale de la région Nouvelle Aquitaine : mener une expérimentation inclusive en intégrant au maximum les citoyens à son organisation. Ce n’est qu’à cette condition que l’on permettra aux mentalités d’évoluer et aux idées neuves d’émerger.
Cette ouverture du débat à tous, c’est aussi l’esprit qu’a revendiqué dans la seconde table ronde Charlotte Marchandise, candidate citoyenne de la Primaire.org à l’élection présidentielle de 2017 : soucieuse de s’inscrire dans un processus aussi horizontal que possible, elle n’a pas souhaité fixer définitivement les modalités du revenu universel qu’elle défend pour en laisser la décision aux citoyens.
De gauche à droite : Julia Cagé (représentante de Benoît Hamon), Charlotte Marchandise (candidate LaPrimaire.org), Olivier Le Naire (ancien rédacteur adjoint à l’Express et co-auteur du livre Le revenu de base – une idée qui pourrait changer nos vies), Daniel Percheron (rapporteur de la mission d’information sénatoriale sur le revenu de base) et Jean Desessard (représentant de Yannick Jadot).
Mener des expérimentations permettrait en outre de respecter, d’après Emmanuelle Vignaux, une forme de principe de précaution en s’assurant que le revenu universel n’entraîne pas d’effets pervers (retour des femmes au foyer, abandon des chômeurs à eux-mêmes). Daniel Percheron et Jean Desessard, rédacteurs de la mission d’information sénatoriale sur le revenu de base, ont rappelé que les conclusions de cette mission préconisent la mise en place d’expérimentations. Une telle démarche aurait l’avantage de rassurer les acteurs sociaux qui demeurent sceptiques face à l’idée (syndicats, associations de lutte contre la pauvreté, élus, intellectuels, etc.).
« Vu l’urgence sociale, on n’a pas le temps pour les expérimentations. Ne procrastinons pas ! » (François-Xavier Oliveau)
Le revenu de base, c’est simple et c’est finançable ! @CageJulia #GOrevenudebase #rdblaconf pic.twitter.com/XdRSQxJ3NB
— MFRB Revenu de base (@revenudebaseFr) 20 février 2017
Plusieurs intervenants appellent de leurs voeux une accélération du débat. François-Xavier Oliveau est catégorique : nous ne pouvons nous offrir le luxe d’attendre quelques années face à l’urgence sociale ! Pierre Saglio a rappelé l’humiliation quotidienne que doivent endurer les plus pauvres face aux lourdeurs administratives et à la stigmatisation. L’économiste Julia Cagé, représentante de Benoît Hamon, abonde dans le même sens : le revenu universel est aux portes de l’élection présidentielle et pourrait être appliqué dès janvier 2018 ! Le financement n’est pas l’Everest insurmontable que décrivent certains : beaucoup reverseraient par l’impôt sur le revenu le revenu universel qu’ils toucheraient par ailleurs. Et la France dispose de marges fiscales pour agir : récupérer une partie des aides accordées aux entreprises (le CICE par exemple dont l’efficacité est critiquée) ou encore réformer l’impôt sur le patrimoine (en créant un impôt net de dettes qui s’applique à la fois aux biens fonciers et aux avoirs financiers).
Chris Hughes n’a pas caché son espoir en voyant la vivacité du débat français sur la question : « Avant on regardait la Suisse, maintenant tout le monde aux Etats-Unis regarde ce qu’il se passe en France. C’est très inspirant ! »
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