Du 26 au 28 juin dernier, le réseau mondial pour le revenu de base se réunissait à Montréal pour son 15ème congrès. Cette année, l’événement a fait la part belle aux initiatives citoyennes.

Le Basic Income Earth Network (BIEN) est depuis 1986 le réseau le plus actif et fédère de nombreux promoteurs du revenu de base de par le monde. Créé par un groupe d’universitaires européens à Louvain-La-Neuve (Belgique), ce réseau s’est depuis répandu à travers le monde.

Depuis lors, ce réseau organise tous les deux ans un congrès international qui rassemble des universitaires et activistes du monde entier pour partager et échanger autour des derniers résultats de la recherche universitaire sur le revenu de base.

Organisé il y a deux ans à Munich, c’est le réseau canadien qui a accueilli l’événement cette année. La quinzième édition de cet événement phare, s’est ainsi déroulé au sein de la prestigieuse université de McGill à Montréal.

Comme à chacune de ces éditions, un appel avait été lancé sur le thème de la « Re-Démocratisation de l’économie », permettant à des universitaires du monde entier de proposer des contributions et de venir les présenter devant le parterre des participants au congrès.

Revenu de base et santé

Le riche programme de la conférence aura été marqué par trois plénières particulièrement attendues. Une conférence d’Anna Reid, tout d’abord, qui a détaillé les résultats d’une étude récente de l’Association Médicale Canadienne (AMC), démontrant la relation étroite entre les conditions de santé et les revenus financiers.

Nous savons que la pauvreté en soi est un puissant facteur de maladie”, résume Anna Reid, ancienne présidente de l’AMC. Car la pauvreté n’est pas seulement un niveau de revenu, c’est un état d’être. Le stress, par exemple, contribue largement à certaines maladies comme le diabète ou les maladies mentales. Selon Anna Reid, cela est en grande partie lié au manque d’espoir des gens piégés dans la pauvreté, combiné à un sentiment de honte de ne pas parvenir à gagner assez d’argent pour vivre.

L’une des recommandations majeures du rapport est de lancer un nouveau projet d’expérimentation de revenu de base au Canada, comme cela avait déjà été fait dans les années 1970 au Manitoba.

Les expérimentations indiennes

Le second moment fort de cette conférence fut la présentation de Guy Standing et Renana Jhabvala sur les résultats des expérimentations en Inde. Cette expérimentation, lancée en partenariat entre le SEWA, un syndicats de travailleuses du secteur informel, et l’UNICEF, a permis de mettre en évidence l’effet émancipateur du revenu de base pour les villageois de la région du Madhya Pradesh, qui ont pu bénéficier pendant un an d’un modeste revenu de base.

La présentation a brillé par la richesse des données récoltées lors des enquêtes qui ont eu lieu avant, pendant et après l’expérience. Ces données permettent aux organisateurs de ce projet pilote de démontrer avec assurance combien un revenu de base, même modeste (30% du niveau de subsistance), a rendu possible des améliorations radicales dans les villages, notamment au niveau de la santé des enfants, de l’éducation, du rôle des femmes, etc. « Même six mois après la fin des versements, nous constatons que certains changements perdurent », affirme Guy Standing.

Les résultats complets de l’expérimentation seront présentés en novembre par la publication d’un livre et en décembre lors d’une grande conférence à Delhi.

Les initiatives citoyennes ont intensifié les débats sur le revenu de base”

Enfin, la dernière conférence plénière du congrès réunissait Stanislas Jourdan, coordinateur français de l’initiative citoyenne européenne qui a rassemblé 300.000 signatures en Europe, et Enno Schmmidt, vidéaste auteur du film« Le revenu de base, une impulsion culturelle », co-fondateur de l’initiative fédérale suisse ayant réussi à obtenir un référendum en Suisse. Loin de la théorie et des études universitaires, les deux activistes ont parlé de leur expérience sur le terrain. Stanislas Jourdan a mis en avant le rôle crucial des médias sociaux, « en combinaison avec des rencontres physiques. »

De son côté, Enno Schmidt a fait part du succès de l’initiative populaire suisse en insistant sur la nécessité de détâcher l’idée du revenu de base des débats politiques classiques. « Le revenu de base n’est pas social, ce n’est pas pour ou contre les riches, ce n’est pas une lutte de classe, c’est juste le revenu de base, une impulsion culturelle. Car cette idée à elle seule permet d’agir sur tous les autres sujets brûlants de la société. »

Ces deux initiatives ont reçu les salutations de Philippe Van Parijs, co-fondateur du BIEN, qui commentait le panel : « Ces deux initiatives ont eu un impact majeur sur l’intensité du débat autour du revenu de base, au-delà des milieux universitaires. Jamais l’idée du revenu de base n’a autant été discutée de par le monde. »

La dernière demi-journée du congrès était consacrée à l’Assemblée Générale du BIEN. L’occasion pour un certain nombre d’organisations nationales œuvrant à la promotion du revenu de base de demander leur affiliation au réseau. Ainsi, le Mouvement Français pour un Revenu de Base a ainsi obtenu la reconnaissance de son appartenance au réseau mondial, ainsi que les réseaux Norvégiens et Portugais. Pour la première fois, deux organisations supranationales ont également obtenu leur affiliation : l’alliance européenne pour le revenu de base UBIE et SADC (Southern Africa Development Community).

Précision que cette affiliation ne remet pas en cause l’autonomie des organisations dites « affiliées » mais constitue un gage de leurs pratiques démocratiques et offre une visibilité supplémentaire à ces réseaux. La condition essentielle pour obtenir l’affiliation au BIEN étant de constituer un réseau réellement fédérateur des différents courants faisant la promotion du revenu de base.

Le congrès a été assez largement relayé dans la presse canadienne.
Le congrès a été assez largement relayé dans la presse canadienne.

Enfin, le BIEN devait également décider du lieu de son prochain congrès en 2016. Trois pays ont proposé d’organiser ce congrès : les Pays-Bas, la Finlande et la Corée du Sud. Cette dernière a finalement recueilli l’adhésion de l’assemblée après que les propositions finlandaises et néerlandaises se sont retirées pour permettre à l’Asie d’accueillir pour la première fois un congrès mondial du BIEN. Les jeunes coréens ont d’ailleurs lancé avec enthousiasme l’idée de créer “Basic Income Generation”, un réseau de jeunes activistes souhaitant soutenir le travail du BIEN de manière plus militante et moderne.

Dans un discours d’introduction, Barb Jacobson, présidente du nouveau réseau européen UBIE, a résumé ce qui semble émerger comme l’un des points fort de ce congrès : le rapprochement entre les réseaux militants pour le revenu de base et les universitaires qui planchent sur cette question depuis des décennies :

Jusqu’il n’y a pas si longtemps, je pensais qu’il y avait une grande division au sein du mouvement pour le revenu de base inconditionnel. Une division de classe entre ceux qui étudient le revenu de base, mais qui pour la plupart n’en ont pas vraiment besoin ; et puis ceux qui organisent des actions pour obtenir ce revenu de base, car beaucoup d’entre eux en avaient déjà besoin hier. Les universitaires contre les activistes. Les premiers ont peur que le ‘mauvais’ modèle de revenu de base soit instauré, tandis que les seconds ont peur que rien n’arrive du tout. Aujourd’hui je crois que cette division est plus conceptuelle que factuelle.


Crédits photos : CC Basic Income Canada Network