Nos sociétés libérales modernes adoptent une posture ambivalente sur la propriété : d’un côté une propriété passée des biens acquis et défendus génération après génération et, de l’autre, une propriété de soi où chacun est propriétaire de soi-même à partir d’un certain âge, sans dette réelle envers ceux qui pourtant les ont aidés à devenir ce qu’ils sont : famille, amis et société. Lire la partie 1 et la partie 2 de cette analyse.
Dans ce contexte moderne, naître dans la bonne famille ou avec le bon talent devient primordial. Ce système économique profite évidemment majoritairement à tous ceux qui partent avantagés, par leur naissance ou leurs talents. Il est alors impératif de réexaminer totalement la notion de propriété pour déterminer ce que pourrait être une économie plus rationnelle et plus juste, et trouver un accord plus équilibré, acceptable par tous.
Légitimer la propriété par un revenu de base justificateur permet de fonder rationnellement l’économie.
L’argumentation autour de la justice se résume donc ainsi : la propriété actuelle est d’origine arbitraire, donc injuste. Elle doit devenir consentie pour être juste, par un accord rationnel de tous. Cet accord se trouve dans un revenu de base équivalent à 50 % du PIB* redistribué également à chacun.
Un nouveau contrat social
L’hypothèse de la redistribution des fruits de l’exploitation de la propriété repose sur un accord contractuel des hommes qui se retrouvent à discuter en réalité la justice de la propriété sans recours à la violence, chacun possédant le droit de refuser cet accord s’il ne lui est pas bénéfique, rationnel et juste. L’accord unanime des hommes sur ce contrat social nouveau est l’objectif à atteindre, ce qui lui donne sa valeur mais aussi sa difficulté car chacun peut s’y opposer. Il est indispensable de trouver les termes d’un contrat social de propriété qui puisse convenir à tous.
Ce contrat social de propriété accorderait une liberté économique nouvelle et la sécurité d’une propriété justifiée, deux gains échangés l’un contre l’autre. Il est source de justice si l’accord repose sur une acceptation rationnelle complète de son contenu, et donc la fin de toute revendication sur la propriété contre un revenu redistribué significatif.
L’objectif de ce contrat est simple : obtenir la justice – donc la paix – pour tous, par une économie acceptée par tous.
Cette justice libère les hommes dans le même temps qu’elle pacifie l’économie. Elle est le résultat d’une négociation rationnelle entre hommes qui veulent s’accorder sur un partage de la production contre un accord unanime sur la propriété actuelle, sur soi autant que sur les biens. Parmi ces hommes, quelques-uns ont beaucoup, beaucoup n’ont rien.
Les acteurs de la négociation
Cette négociation qui mobilise tous les hommes dans leurs positions réelles peut se réduire rapidement à celle entre deux hommes aux extrêmes de chaque bord, du plus pauvre au plus riche. En effet, chaque homme se trouve entre ces deux extrêmes et peut donc adhérer aux deux positions de négociation en même temps. Si les deux hommes présents à chacun de ces deux extrêmes sont d’accord avec le résultat obtenu, alors tous ceux se trouvant entre ces extrêmes le seront aussi, puisqu’ils auront à y gagner de chaque côté. L’unanimité de l’accord se trouve donc dans l’accord trouvé entre les extrêmes.
Pour le dire encore plus clairement, la négociation la plus importante et la plus fédératrice est celle qui oppose le plus riche et talentueux des hommes au plus pauvre et démuni des hommes.
Comment négocieraient-ils, le plus riche et talentueux des hommes et le plus pauvre et démuni des hommes ? Trouveraient-ils un accord ? D’un côté, un propriétaire de tout, de l’autre, un propriétaire de rien, négociant l’un pour un statu quo, l’autre pour un changement total. L’un a tout à gagner à ne rien redistribuer de la production, l’autre a tout à gagner à tout redistribuer. La négociation dans leur position extrême et opposée fournit une solution, s’ils arrivent à un accord, que les autres individus plus modérés situés entre ces deux extrêmes pourront également accepter.
Les termes de la négociation
Ce contrat, pour fonctionner, dépend de la capacité des deux parties à trouver un accord sur la redistribution de la production, sur son montant. Le montant idéal à redistribuer doit pouvoir répondre à la double injonction suivante : ce montant doit être suffisamment élevé pour que le non-propriétaire consente à la propriété actuelle injuste et ne doit cependant pas dépasser le maximum acceptable par le propriétaire pour qu’il continue d’exploiter efficacement toute sa propriété.
Il faut donc trouver ce montant optimal qui satisfait deux points de départ opposés, l’un démarrant de 100 % de redistribution, l’autre de 0 %. Une théorie des jeux simple entre deux acteurs rationnels et de même puissance permet de modéliser la négociation entre ces deux extrêmes. Chacun dispose du même pouvoir car chacun peut refuser l’accord s’il ne le satisfait pas et donc refuser l’entrée en société et l’économie.
Le montant auquel ils aboutissent tous les deux après négociation est de 50 % de la production.
Le revenu d’équilibre obtenu doit libérer suffisamment les non-propriétaires de la contrainte économique pour qu’ils acceptent la répartition de propriété actuelle basée sur la violence, sans pour autant supprimer l’incitation égoïste des propriétaires à produire. Ce chiffre de 50 % correspond au partage égal par excellence et répond aux deux questions les plus simples entre ces deux personnes extrêmes : « Que me donnes-tu pour que j’accepte ta propriété, moi qui n’en ai pas ? » La moitié des fruits de la propriété est la réponse la plus équilibrée. Réciproquement, conserver la moitié de la production représente une motivation suffisante au propriétaire qui pose cette question : « Que me laisses-tu de la production pour que j’accepte ta redistribution, moi qui peux choisir de ne pas exploiter ma propriété ? » Ainsi, une négociation rationnelle sur la propriété aboutit à une redistribution à tous de 50 % du PIB (la production de la société entière).
Renoncer à la violence
Le revenu de base permanent et inconditionnel issu de cette réflexion est de 50 % du PIB de son pays ; il fournit à chacun une liberté économique suffisante pour accepter la distribution historique violente des biens et l’exclusivité de la propriété de soi. Le propriétaire conservant la moitié des fruits de ses biens et de soi-même reste très motivé à produire à un niveau élevé. La violence au fondement de l’économie est acceptée car cet échange d’accords est avant tout un échange de renoncements : chacun renonce à la violence, présente et future, puisque la justice est atteinte par la redistribution. Le non-propriétaire renonce à transformer l’arbitraire (la violence de l’appropriation historique et le hasard de soi) tandis que le propriétaire renonce à jouir de la totalité de la production issue de ce qu’il avait conquis, acquis ou reçu. La justice naît de la conclusion de cet accord rationnel sur ce montant.
* Le PIB est une mesure très insatisfaisante de la production d’un pays mais elle permet de penser en termes monétaires cette même production et donc une redistribution en monnaie qui lui est corrélée.
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Cet article engage son auteur et non le MFRB dans son ensemble.
Sébastien Groyer : Expert du capitalisme, docteur en philosophie de La Sorbonne (thèse sur le capitalisme et l’économie de marché), investisseur en capital-risque depuis 15 ans et fondateur du mouvement Equinomy, membre du MFRB.
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Sébastien Groyer publie Destins du capitalisme, Le Quaternaire avec un lancement innovant sur la plate-forme KickStarter le 6 novembre 2017.
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