Une importante mobilisation sociale défendant une initiative législative populaire (ILP) pour un revenu de base a conduit le parlement de la région autonome d’Estrémadure à la préparation d’un projet de loi sur la question. Mais le projet, dans sa version actuelle, est vivement critiqué par les porteurs de l’initiative, la gauche et les syndicats, car il dénature les principes mêmes du revenu de base.
En 2012, une initiative législative populaire (ILP) pour un revenu de base était lancée par une plateforme citoyenne en Estrémadure. Son but était de réunir 45 000 signatures pour présenter une proposition de loi visant à l’instauration dans la région autonome espagnole d’un “droit individuel, universel et inconditionnel” à “un revenu de base” fixé temporairement à 600 euros.
De l’initiative législative populaire au projet de loi
A l’issue de ce processus, la plateforme citoyenne a recueilli 26 386 signatures et n’a donc pas pu présenter légalement sa proposition devant le parlement autonome. Cependant elle a considéré à juste titre avoir reçu une adhésion populaire suffisante pour que les politiques débattent malgré tout de la proposition.
Le vendredi 11 janvier 2013, une rencontre est organisée entre les représentants de la plateforme citoyenne et ceux des différents groupes parlementaires d’Estrémadure, y compris ceux du groupe PP (droite) qui détient la majorité. Trois jours plus tard un premier jet du projet de loi pour un “revenu de base d’Estrémadure” est déposé au bureau de l’Assemblée. Le 2 avril, un projet de loi est inscrit au bulletin officiel de l’assemblée régionale.
La rapidité avec laquelle a été déposé ce projet pousse la plateforme citoyenne à y voir des “manœuvres du gouvernement PP pour éviter l’implantation dans la communauté autonome d’un authentique revenu de base”.
Les principes du revenu de base mis à mal par le nouveau projet de loi
Selon le le projet de loi (pdf) , le montant de ce “revenu de base” pourrait varier entre 372 euros et 692 euros. Il est “fixé à 70% de l’IPREM”, un indicateur public utilisé pour calculer le montant des aides sociales de l’Etat espagnol qui s’élève aujourd’hui à environ 532 euros. Il est prévu qu’un revenu supplémentaire équivalant à 10% de l’IPREM soit aussi versé à chaque autre membre du foyer familial.
Ce nouveau revenu serait compatible, selon le texte, “avec les prestations publiques des autres administrations” mais aussi avec “un salaire inférieur au montant qui correspond à cette aide”. Un bénéficiaire peut donc cumuler son revenu avec un salaire de moins de 300 ou 600 euros (le projet de loi n’est pas clair là-dessus). La mesure, si elle est adoptée, pourrait ainsi favoriser des mini-jobs mal payés comme ceux qui se sont développés en Allemagne ces dernières années. Ce revenu n’est donc pas selon la vision traditionnelle du revenu de base cumulable avec n’importe quel salaire.
Pour pouvoir bénéficier de ce revenu il faut par ailleurs répondre à de nombreux critères : avoir 25 ans sauf dans certains cas, ne pas refuser d’offre de travail selon les conditions fixées par l’administration, ne pas quitter la région pendant plus de 15 jours, justifier d’au moins quatre ans de résidence, scolariser les mineurs du foyer et comble du contrôle social « ne pas pratiquer la mendicité ». Ce revenu est donc loin d’être inconditionnel.
La version actuelle du texte de loi durement critiquée
De son côté, la plateforme citoyenne a publié un communiqué “pour dire non à l’humiliant projet de loi du PP” et appelle à la mobilisation.
Suite aux protestations de ce collectif de citoyens qui avait défendu l’ILP, les partis d’opposition et les syndicats ont eux aussi critiqué le projet de loi. Julian Carretero, secrétaire du CCOO, un syndicat de défense des travailleurs, des chômeurs, des jeunes et des immigrés affirme lui son « rejet absolu » du projet et appelle même à manifester. Selon lui les 13 millions prévus pour financer le projet sont très en deçà des besoins de la population et permettraient de ne venir en aide qu’à 5 000 personnes sur les 65 000 qui sont actuellement dans le besoin. Il dénonce aussi le contrôle bureaucratique exercé sur les plus pauvres.
Le parti pirate d’Estrémadure, dans une analyse publiée sur son blog, affirme que le projet de loi « pervertit le concept de revenu de base ». Les pirates rappellent notamment que si le projet est adopté tel quel il remplacera les AISES, le système d’aides actuel. Or les AISES peuvent être perçues dès 18 ans et pour pouvoir en bénéficier il ne faut justifier que d’un an de résidence. Enfin le montant distribué dans le cadre des AISES est 5% plus élevé que celui du projet de loi.
Les autres partis cherchent à amender le projet de loi. Izquierda Unida (IU), la gauche radicale, après des hésitations, souhaite de son côté que le revenu de base d’Estrémadure devienne un « droit individuel » que l’administration se doit de financer en fonction du nombre des bénéficiaires potentiels. Le parti socialiste espagnol (PSOE) réclame lui, un « plancher » minimum équivalant à 1% du PIB régional pour pouvoir financer le projet.
Un risque d’instrumentalisation politique du revenu de base
La dénaturation des principes du revenu de base par ce projet de loi montre la possible instrumentalisation politique du revenu de base qui peut notamment se faire au détriment de ceux qui sont dans le besoin.
Mais n’éludons pas le point positif de cette affaire. Dans cette région d’Espagne, un mouvement populaire a donc permis au revenu de base de faire irruption sur la scène politique et de gagner en notoriété. Si le projet de loi actuel était amendé pour corriger ses défauts, il pourrait alors déboucher sur une amélioration des aides sociales dans la région.
Au final, le combat politique qui se joue actuellement en Estrémadure rappelle à quel point il est nécessaire de défendre le revenu de base en tant que droit inaliénable, inconditionnel – et donc cumulable avec d’autres revenus.
Télécharger le texte du projet de loi (.pdf, en espagnol)
Crédit photo : Desazkundea