Avec une belle constance qui semble plus témoigner d’une certitude obsessionnelle que d’une capacité à débattre, Jean-Marie Harribey vient de livrer sa dernière chronique contre le revenu de base (1). Cette fois, c’était dans Politis (2).
Reconnaissons à Jean-Marie Harribey qu’il juge légitime la revendication d’un revenu inconditionnel pour que « tout individu puisse vivre dignement ». Mais c’est pour s’en affranchir aussitôt en imposant la condition qui tue. « Tant que le chômage n’a pas été éliminé », il ne pourra s’agir que de « revenus de transferts élevés » qui « doivent assurer la continuité du revenu ». Une sorte de TINA à la Margaret Tatcher (3) : hormis l’emploi salarié, point de salut pour le travailleur. Et encore moins pour le chômeur. On lui accordera donc des allocations de chômage ou le RSA… Mais il doit retrouver un emploi, seul cadre où son activité pourra être productive. Car, selon Jean-Marie Harribey, pour qu’elles soit rémunératrices, les activités doivent être « validées collectivement, soit par le marché, soit par l’État, les collectivités locales ou les associations ». Mais il oublie de nous indiquer les critères de cette validation. S’agit-il de l’utilité publique de ces activités ou s’agirait-il d’autre chose ?
Commençons par les associations. En 2011, les activités « validées collectivement » et donc rémunératrices selon la définition de Jean-Marie Harribey concernaient 1,8 millions de salariés alors que la contribution bénévole au fonctionnement des associations était évaluée à 1,071 millions d’équivalents temps plein (4). Mais où est la différence, en termes d’activité et de productivité, entre un entraîneur de foot bénévole et un entraîneur salarié ? Entre un acteur bénévole et un acteur salarié ? Entre un formateur bénévole et un formateur salarié ?… Alors que l’utilité sociale de ces activités est incontestable, la différence ne porte que sur la rémunération qui, pour une très large part, dépend des subventions de l’État aux associations. La validation collective qui, selon Jean-Marie Harribey, justifie la rémunération est donc… la rémunération elle-même. Dans certains milieux, on appelle cela se mordre la queue.
Continuons avec l’État et les collectivités locales. Fin 2012, la fonction publique employait un peu moins de 5,4 millions de personnes, un chiffre sensiblement identique à 2010 (5). Sans aucun doute, de nombreux besoins de service public méritent la création de nouveaux emplois, mais la dématérialisation des tâches et la robotisation en suppriment, et en supprimeront encore beaucoup d’autres dans les prochaines années. Beaucoup de fonctionnaires ne seraient-ils pas heureux, si leur revenu était assuré, d’occuper leur temps à du bénévolat ou toute autre activité de leur choix plutôt qu’occuper un emploi qu’eux-mêmes jugent inutile ? Car quelle est donc la validation collective d’un bon nombre d’emplois de fonctionnaires si ce ne sont… ces emplois eux-mêmes ? Seconde morsure.
Poursuivons avec le sacro-saint marché de l’emploi. D’ici 2025, la robotisation devrait entraîner la destruction de trois millions d’emplois en France, portant le taux de chômage à 18 % (6). Pas vraiment réjouissant pour celui qui affirme que « le chômage n’est pas une fatalité ». Mais si la solution est « la réduction du temps de travail de telle sorte que tous les individus puissent s’insérer dans toutes les sphères de la société », profitons de cette réduction pour l’accompagner d’un revenu de base suffisant pour tous. Et nous verrons bien ce que les gens ferons de leur temps. Troisième morsure du serpent.
Finissons par l’oisiveté, cette sphère de nos loisirs et du non-emploi dont Jean-Marie Harribey ne parle pas. Le capitalisme n’a‑t-il pas réussi à y introduire « un rapport de subordination » qui devrait, de façon urgente, « être validé socialement pour qu’elle puisse être source de nouvelle valeur monétaire, et non pas simplement de valeur d’usage individuelle » ? Comment les NATU (Netflix, Airbnb, Tesla, Uber) et autres GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) sont-elles devenues les sociétés les plus profitables du monde ? En traçant et en exploitant constamment les données personnelles que nous leur offrons par notre activité sur le réseau mondial, et en récoltant les fruits du travail fourni gratuitement par leurs utilisateurs. Oui, nous engendrons de la valeur dans nos loisirs mêmes, et il y a urgence sociale à ce qu’une large part de cette valeur soit redistribuée à ceux qui la produisent par leur travail, c’est-à-dire à ces nouveaux travailleurs/consommateurs/oisifs que nous sommes tous.
Le revenu de base pour envisager l’emploi sous l’angle de la décroissance
Mais aujourd’hui comme hier, « le salaire du travailleur ne dépasse guère sa consommation courante et ne lui assure pas le salaire du lendemain, tandis que le capitalisme trouve dans l’instrument produit par le travailleur un gage d’indépendance et de sécurité pour l’avenir » (7). Sans nul doute, le capitalisme réussit aujourd’hui cet exploit d’extorquer de la plus-value sur l’ensemble de l’activité humaine, faisant de nous tous et à tout instant des travailleurs dont la valeur, sur ce marché du travail ouvert 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, ne cesse de décroître alors que les profits montent en flèche. Il s’agit aujourd’hui de rendre à l’homme et à la femme le produit de leur travail. Ni plus, ni moins.
Enfin, puisque « travail et revenu sont indissociables », le temps est peut-être venu de procéder à un renversement en faisant dépendre le travail du revenu et non l’inverse. Avoir un revenu pour pouvoir s’adonner à un travail socialement utile, voilà qui garantirait de fait la « validation collective » des activités par le champ démocratique. Et qui permettrait aussi d’envisager l’emploi sous l’angle de la décroissance et de la transition écologique souhaité par les populations mais encore largement ignoré par nos dirigeants politiques. C’est ce que permet de faire le revenu de base. Tout de suite.
(1). Voir, par exemple Le revenu de base inconditionnel : nouvelle utopie ou impensé sur le travail ?, dans Alternatives économiques du 19/05/2014, Le revenu d’existence ou l’impensé sur le travail dans Le Monde du 20/10/2014, Quelle place pour le travail ? dans L’Économie politique, n°67 de juillet 2015.
(2). Travail et revenu sont indissociables, dans Politis n° 1372 du 8/10/2015 et sur le site de Politis (payant).
(3). TINA, pour There is no alternative, célèbre slogan de l’ex-Première Ministre britannique, à laquelle J‑M Harribey aime à faire référence.
(4). Emploi, bénévolat et financement des associations culturelles.
(5). Les collectivités locales en chiffres en 2014, chapitre 8 – 1.
(6). La Tribune du 27/10/2014 : Les robots détruiraient trois millions d’emplois d’ici 2025.
(7). Pierre-Joseph Proudhon. Qu’est-ce-que la propriété ? Publié en juin 1840.
Photo : Paul Falardeau – Flickr – Licence CC BY-ND 2.0.
Il me semble assez clair que vous n’avez pas compris la critique de Jean-Marie Harribey. Je reprends les trois cas que vous développez pour dire que les validations du revenu sont circulaires (comme si Harribey était idiot à ce point).
1) La validation par l’État et les collectivités territoriales : elle se fait bien sûr non pas par le revenu, mais par la décision de la collectivité publique qui est censée attribuer les subventions selon un critère d’intérêt public. Puisque ces collectivités sont élues, c’est donc une validation « démocratique » et donc collective (les représentants sont élus par les citoyens).
2) La validation par le marché : il y a validation à partir du moment où le travail acquiert une valeur marchande, c’est-à-dire, selon la théorie économique dominante, quand le travail en question répond à une demande solvable (en gros, a une utilité). Or les prix sur le marché ne sont pas fixés de façon purement individuelle, mais à l’issue de processus complexes qui tiennent compte des préférences et des moyens financiers de tout un tas d’autres agents économiques (et en ça la validation est sociale).
3) La validation par les associations : il y a deux cas de figure. Soit le travail est salarié, et alors le revenu provient de subventions accordées par les politiques de la ville, des collectivités ou de l’État, et donc (comme expliqué plus haut) relève d’une validation sociale. Soit le travail est bénévole, et en cela n’a pas de valeur marchande ; mais cela ne veut pas dire que le travail fourni n’a pas d’utilité sociale, simplement qu’il n’y a pas de reconnaissance sociale (ni par le marché, ni par les politiques publiques) de l’intérêt de ce travail. En cela, le travail bénévole ne relève pas de la sphère économique, celle qui sert à financer le revenu de base, dont celui des travailleurs bénévoles.
Or l’argument d’Harribey, c’est justement de dire qu’il y a besoin d’un mécanisme qui assure le fait qu’il y a de l’argent qui rentre (autrement dit, des travailleurs salariés) pour financer le revenu de base de tous (y compris des travailleurs bénévoles). Et sans un tel mécanisme collectif, c’est-à-dire si libre à chacun de choisir s’il souhaite produire de la valeur monétaire (cas du travail salarié) ou de la valeur d’usage (cas du travail bénévole), le financement du revenu de base est incertain, voire impossible (comment financer un revenu pour tous de par exemple 600€ s’il n’y a dans les caisses que l’équivalent de 300€ par personne ?).
Enfin, sur la redistribution de la valeur économique créée par le « travail » gratuit des utilisateurs de Facebook, Google et cie : le problème vient du fait que ces entreprises ne reversent rien en termes monétaires à ses utilisateurs. Que ces utilisateurs disposent d’un revenu de base ne change rien à l’injustice, tant que le financement de ce revenu n’est pas pris en charge, en partie au moins, par les GAFA. Et au contraire, ces grandes multinationales ont tout intérêt à ce que les gens disposent d’un revenu de base justifiant leur travail invisible et gratuit, les dispensant même d’avoir à les rémunérer…
J’espère que ces éclaircissements vous permettront de saisir les critiques d’Harribey, qui, si elles sont bien sûr critiquables, ne le sont pas sur la base de vos arguments.
Bien à vous.
[…] Faire dépendre le travail du revenu et non l’inverse – MFRB Avec une belle constance qui semble plus témoigner d’une certitude obsessionnelle que d’une capacité à débattre, Jean-Marie Harribey vient de livrer sa dernière chronique contre le revenu de base (1). Cette fois, c’était dans Politis (2). Taku Fundira, promoteur du revenu de base en Afrique du sud Nous reproduisons ci-dessous l’entretien de Manja Taylor avec Taku Fundira, chercheur principal en économie à l’Institut d’Etudes de la Pauvreté et des Inégalités, et directeur de recherche et promoteur de la campagne BIG (Basic Income Grant, Allocation d’un revenu de base) de la SADC (Southern African Developement Community, Communité de Développement de l’Afrique Australe). Il évoque toute la région de l’Afrique australe. Namibie : Le revenu de base à l’agenda du gouvernement (MFRB) Depuis quelques mois, le revenu de base s’insère progressivement comme une préoccupation majeure du gouvernement namibien. Au retour d’une grande consultation à travers le pays, un rapport en cours d’élaboration devra permettre au Conseil des ministres puis à l’Assemblée nationale d’étudier sérieusement les possibilités de sa mise en place. FINLANDE – Le Gouvernement prépare l’expérimentation du revenu de base – Mouvement Français pour un Revenu de Base Le gouvernement finlandais vient de franchir une première étape pour tenir sa promesse d’expérimenter le revenu de base au cours de son mandat. Et vous, que pensez-vous du revenu de base ? Le 12 octobre 2015 ont été réalisées à Périgueux des interviews de personnes aux profils variés. Il leur a été demandé leur avis sur l’idée du revenu de base inconditionnel. Un groupe de recherche sur le revenu de base fondé en Chine ! – Mouvement Français pour un Revenu de Base Cheng Furui enseigne actuellement à l’Université d’Économie et de Commerce du Hebei. Elle est en train de lancer un nouveau projet de recherche se focalisant sur le revenu de base. Le revenu de base sur les ondes de RFI-Brésil Alors qu’au Brésil, le revenu de base citoyen ou renda básica de cidadania est inscrit dans la Constitution depuis 2004 en tant qu’objectif à long terme, RFI Brésil s’intéresse à son actualité européenne. En effet, le pays de la Bolsa Familia s’intéresse à ce qui se fait du côté du vieux continent et notamment à l’avancée du projet finlandais d’expérimentation d’un revenu de base, à travers un article qui s’appuie sur des points de vue français. Deux revenus de base à instaurer d’urgence : enfants et jeunes Aujourd’hui, la politique familiale française est rendue illisible par sa complexité : il est difficile pour les citoyens d’en comprendre le fonctionnement et d’identifier les bénéficiaires de ses nombreux mécanismes. En effet, la politique familiale combine pas moins de huit mécanismes principaux de redistribution monétaire, sous forme d’allocations ou de réductions d’impôts : les allocations familiales, leur majoration pour âge (à partir de 14 ans), le complément familial (pour un troisième enfant), l’allocation de base de la prestation d’accueil du jeune enfant (entre 0 et 2 ans), l’allocation de rentrée scolaire (de 6 à 18 ans), le supplément de RSA calculé par enfant, la diminution de l’impôt par le quotient familial et la réduction d’impôt pour scolarisation des enfants. Par ailleurs, d’autres prestations sont allouées en fonction de besoins spécifiques, comme les aides au logement, les bourses d’enseignement supérieur ou encore l’allocation de soutien familial. …relatives au projet de loi « numérique » : 3 jours pour soutenir les propositions de l’OLN à la consultation « République Numérique » | La Quadrature du Net Paris, le 16 octobre 2015 — L’Observatoire des Libertés et du Numérique (OLN) a fait le choix de participer à la consultation relative au projet de loi pour une République Numérique dans l’objectif de l’améliorer et de renforcer les propositions positives déjà élaborées par de nombreux participants, afin de promouvoir les libertés dans cette « République Numérique ». Communiqué commun de l’Observatoire des Libertés et du Numérique (OLN) Projet de Loi Numérique : soutenons les (Biens) Communs ! | Framablog […]