Le revenu de base n’est ni l’ambition peu réaliste d’une sortie brutale du capitalisme, ni une roue de secours de ce dernier, mais un moyen d’améliorer un système socio-fiscal qui répond mal à ses objectifs.

Dans un récent article, Guillaume Pastureau questionne la pertinence d’un revenu universel dans le système actuel, estimant que celui-ci tendrait à entériner l’idée – libérale selon lui – qu’il existerait des individus inaptes à produire, dont le revenu de base serait une façon de se ‘débarrasser’. Voyons ses principales objections une à une.

Financement par l’impôt sur la production

Première objection, il serait incohérent de financer par l’impôt sur la production (laquelle dépend du travail) un dispositif dont l’une des conséquences serait de payer les gens à ne pas travailler.

Pour résoudre cette apparente contradiction, il faut sortir d’un biais trop commun en économie : le raisonnement statique ; et au contraire se tourner vers une approche dynamique du problème.

La force du revenu de base [1] vient de ce qu’il permet aux gens de retrouver du temps et des marges de manœuvre pour s’instruire, s’occuper d’eux-mêmes, voir leurs proches à un rythme moins dicté par les divers impératifs actuels. De ce fait, on peut considérer qu’à moyen terme, le revenu de base améliorera la qualité du capital humain, et donc permettra un accroissement de la qualité de la production, plus que de sa quantité, ce qui permettra de trouver à posteriori le financement.

Certes, la mise en place d’un revenu de base significatif (supérieur à 400€) aurait pour conséquence dans les années suivantes d’inciter les gens à quitter leur emploi si la rémunération ne leur semble pas en compenser la pénibilité ou l’ennui, de déménager pour aller vivre dans un lieu plus en phase avec leurs aspirations profondes, etc. Tout ceci aurait des conséquences importantes sur le plan social, mais également sur le plan fiscal.

À nouveau, il nous faut parier sur le fait que les effets dynamiques de moyen-long terme vont positivement contrebalancer les effets de court-moyen terme de mise en place du revenu de base.

La force du revenu de base vient de ce qu’il permet aux gens de retrouver du temps et des marges de manœuvre pour s’instruire, s’occuper d’eux-mêmes, voir leurs proches à un rythme moins dicté par les divers impératifs actuels.

Financement par imposition du patrimoine

Les prélèvements sur le capital – et sur les ‘stocks’ – n’ont guère plus grâce aux yeux de Guillaume Pastureau, qui estime qu’ils ne peuvent constituer une solution viable indéfiniment.

Pourtant, la déthésaurisation, et plus généralement la désépargne, qui sont des prélèvements sur stock, sont des phénomènes tout à fait réalistes : c’est la manière dont les retraites fonctionnent dans la plupart des pays, la France étant une exception de ce point de vue. Cela est possible tant que le prélèvement sur un stock alimente d’autres stocks, sur lesquels auront lieu les prélèvements ultérieurs. En l’occurrence, financer un revenu de base de la sorte dynamiserait l’économie en réinjectant des capitaux oisifs dans le circuit économique.

Plus généralement, on ne voit pas pourquoi il serait néfaste de financer un flux par un prélèvement sur un stock. Pour Maurice Allais, l’impôt sur le capital était préférable à l’impôt sur le revenu, car ce dernier frappe indifféremment les patrimoines en cours de constitution et les patrimoines déjà constitués. Ainsi, le financement d’un revenu social sur la base d’un prélèvement sur le patrimoine entraînerait une redistribution plus juste que celle uniquement basée sur l’imposition du revenu – à fortiori à un moment où, comme le fait remarquer Thomas Piketty dans son dernier ouvrage, le patrimoine se concentre de plus en plus dans le haut de l’échelle sociale, aggravant d’autant les inégalités socio-économiques, d’où l’intérêt de son imposition.

Financement par émission de monnaie

Enfin, si un déficit de financement du système venait à se produire, un financement monétaire direct de la banque centrale pendant plusieurs années est une solution prônée par plusieurs membres du MFRB (Mouvement Français pour un Revenu de Base).

Pastureau 2

Sortir du capitalisme : une fausse bonne idée ?

Guillaume Pastureau, à l’instar de Bernard Friot, considère le revenu de base comme une roue de secours, un allié inavoué – et coupable – du capitalisme, système dont il préfèrerait se passer.

Or, il me semble que dans le contexte actuel, caractérisé à la fois par une importante misère sociale et un délitement des espérances, chercher à supprimer le capitalisme rapidement serait une perte de temps effarante, pour une issue bien incertaine : qui dit que l’on déboucherait sur un meilleur système ? La Révolution Française a bien amené Napoléon Bonaparte à peine une décennie plus tard, soit le plus belliqueux et le plus expansionniste de nos dirigeants historiques [2]. La Révolution russe quant à elle, a accouché du stalinisme, sous lequel les populations étaient affamées et qui s’est avéré aussi polluant que le capitalisme industriel moderne.

Comparativement, le capitalisme européen de 1945 à 1970 – 80, qualifié par Anatole Kaletsky de ‘capitalisme 2.0’, a été un système plutôt humain et épanouissant, en dépit de certains effets secondaires – pollution importante, publicité permanente vantant la société de consommation.

Sans être des fanatiques du capitalisme, on peut considérer, à la suite de Keynes, que l’on peut améliorer ce système au lieu de chercher à le supprimer. Je présente ici deux voies dans lesquelles le revenu de base permettrait d’avancer.

Mieux reconnaître la valeur ajoutée non marchande

Dans la comptabilité nationale, le secteur marchand voit sa production évaluée sur la base de ses recettes (= chiffre d’affaires moins consommations intermédiaires = salaires + profits bruts) tandis que le secteur non marchand voit sa production évaluée sur la base de ses coûts, salariaux et autres.

Hormis le biais d’assimiler la production du secteur non marchand à une simple somme de coûts, cette méthode tend à minimiser son importance dans la création de valeur globale. À l’extrême, le bénévolat, ne présentant aucun coût monétaire, court le risque de passer à travers les statistiques de création de valeur économique sans être comptabilisé.

Il conviendrait de représenter les services publics au sens large – l’économie non marchande – non comme une ponction sur la valeur ajoutée, mais comme une création de valeur sociale. Cette direction dans laquelle la mise en place d’un revenu de base permettrait d’oeuvrer, rejoint d’ailleurs le point de vue de Guillaume Pastureau, selon lequel la création de valeur ne se limite pas à la seule valeur économique. Loin d’entériner la non-productivité d’une partie de la population, le revenu universel est au contraire l’affirmation du fait que tous les individus contribuent à la création de richesse économique et sociale.

Le revenu universel est l’affirmation du fait que tous les individus contribuent à la création de richesse économique et sociale.

Penser l’après-RSA

Dans le système actuel, pour bénéficier du Revenu de Solidarité Active (RSA, socle ou activité) il faut remplir un formulaire de 6 pages dont les formulations ne sont pas des plus évidentes. Cela prend du temps à comprendre, et la moindre erreur dans le remplissage de ce formulaire entraîne un retour vers le demandeur du RSA, ce qui retarde encore le moment où la première somme sera perçue.

Par ailleurs, il existe un décalage d’un trimestre entre les variations de revenu prises en compte dans le calcul du RSA, et le versement du RSA correspondant. Une personne dont la condition économique se dégrade brutalement en juin, ne bénéficiera du RSA qu’à partir de septembre au plus tôt. Si son but est d’aider les gens dans l’urgence, le RSA laisse à désirer.

Pastureau 3

Le système actuel, sous couvert de fournir un filet social, est un dispositif extrêmement lourd, bureaucratique, sous-efficient voire pervers dans la mesure où il désincite les individus à entreprendre des formations[3]. Enfin, le fait de percevoir le RSA est, pour de très mauvaises raisons, stigmatisé socialement.

Toutes ces difficultés expliquent le fait que deux tiers des potentiels bénéficiaires du RSA activité ne le demandent pas (un tiers pour le RSA socle).

Un revenu de base inconditionnel, cumulable avec d’autres revenus, sans contrôle des ressources ni exigence de contrepartie, toucherait tout le monde sans exception, ce qui aurait aussi l’avantage de faire cesser toute stigmatisation.

On pourrait ajouter, finalement, que la mise en place d’un revenu de base, quel qu’en soit le montant, ne s’oppose absolument pas à certaines des mesures préconisées par Guillaume Pastureau comme la limitation du temps de travail contraint, et la réduction tendancielle du temps de travail.


[1] hormis la puissante simplification administrative qu’il permet, et qui permettra de redéployer les personnels de la CAF (Caisse des Allocations Familiales) et des divers organismes sociaux sur des tâches plus ciblées (aide physique et juridique aux personnes en grande détresse, formation, orientation et suivi des demandeurs d’emploi)
[2] à égalité éventuellement avec Louis XIV
[3] le statut de bénéficiaire du RSA (tout comme celui de chômeur bénéficiaire de l’Allocation de retour à l’Emploi – ARE) n’est pas compatible avec celui d’étudiant – sauf dérogation après procédure spécifique auprès d’organismes bien spécifiques : mission locale, etc. -, ce qui n’incite pas les gens dans la précarité à entreprendre des formations pour trouver une meilleure situation

Crédits photos : PaternitéPas d'utilisation commercialePas de modification aenimation, AV Dezign / PaternitéPas d'utilisation commerciale thgmx