Associations, ONGs et syndicats étaient rassemblés sur le thème de la dignité à Tunis pour le douzième forum social mondial, du 26 au 30 mars. Sept membres du collectif ont répondu présents pour porter l’idée du revenu de base lors de cet événement.
Dans la marche d’ouverture du forum social mondial, des tracts violets attirent le regard. De petits groupes épars se forment le long de l’avenue Mohamed V où résonnent les slogans altermondialistes et éclatent les couleurs vives des bannières : on y discute du revenu de base inconditionnel, en français, en anglais, parfois en espagnol. Ces débats sont le prélude à de nombreuses rencontres qui, pendant les 5 jours du forum, alimenteront notre enthousiasme pour présenter le revenu de base inconditionnel comme alternative économique et sociale. Nous avons distribué des flyers et discuté à bâtons rompus avec des gens du monde entier ! Ce fut aussi l’occasion de rencontrer quelques journalistes.
Les objections sont nombreuses et les peurs, tout aussi tenaces des deux côtés de la Méditerranée : « Les fainéants vont en profiter sur notre dos ! » s’exclame Amel, de Nabeul ; « Les jeunes vont utiliser l’argent pour se droguer » s’inquiète une bénévole du Secours Catholique qui travaille en France auprès de personnes en grande difficulté. Le manque de confiance dans les décisions des autres membres de la communauté face à la liberté accordée par le revenu de base, ainsi que la faisabilité du financement sont des questions récurrentes. Nous en avons l’habitude !
Un groupe local à Tunis
Pourtant, l’intérêt suscité par l’idée est palpable. Le succès de l’atelier participatif du mercredi 27 mars en est un exemple probant.
Dans une salle de cours de la faculté des sciences du campus El Manar, les sièges disposés en cercle se sont remplis. Tunisiens, Français, Danois, Canadiens, étudiant, enseignant-chercheur, chômeur, retraité, professionnel des médias sociaux…tous s’expriment et se plient au jeu du débat sur le revenu de base inconditionnel. Bientôt, le groupe se scinde autour de deux thématiques : comment financer le revenu de base ? quelles sont les craintes liées à l’introduction d’une telle mesure ?
Convaincu, Rachdi Nasri, technologue et maître-assistant en économie, enseignant au campus El Manar, propose de constituer un groupe à Tunis afin de mener plus avant la réflexion au niveau local. En quelques jours, plusieurs douzaines d’adresses mail ont été recueillies auprès de participants souhaitant se joindre au groupe en formation. Une projection du documentaire allemand à l’Université et la création d’un groupe de réflexion sont déjà prévues.
Constats caduques
L’intitulé de l’atelier « Revenu décent pour tous : non à la précarité, non à la pauvreté » organisé par Alter Summit nous a incités à nous joindre aux discussions. Une surprise nous y attendait : il n’était en fait question que de constats sur la précarité du travail salarié.
La surprise n’était que feinte car nous avons retrouvé là les réticences traditionnelles de nos amis syndicalistes envers le revenu de base. Après avoir écouté poliment leurs réactions outrées face à l’idée du revenu de base, le Président d’ATTAC Espagne prend la parole et, à notre grand étonnement, nous soutient. Il annonce qu’en Espagne 50% de la rue est acquise à l’idée. Imaginez notre sourire au sortir de cet atelier 🙂
Assemblées de convergence, assemblées de consensus ?
Comme il est de coutume au FSM, le dernier jour, les organisations et participants se rassemblent sur des thématiques générales pour rédiger un texte commun.
Nous avons participé aux deux assemblées les plus en lien avec la thématique du revenu de base :
- Assemblée de convergence « Ici et maintenant un monde alternatif », à Tunis le 29 mars
Initialement perçue comme une assemblée sur les économies alternatives, il s’avère que l’organisatrice et animatrice l’oriente directement sur l’économie sociale et solidaire (ESS). Nous introduisons l’idée du revenu de base comme alternative économique puis comme support des acteurs de l’ESS, qui ont besoin de temps et surtout de moyens de négociation vis-à-vis des employeurs ou des financeurs pour donner du sens à leurs entreprises.
Le mot est lancé : puisque le revenu de base fait débat, nous n’en parlerons pas…c’est bien connu, on ne doit toujours parler que des sujets qui font consensus.
Nous ne nous laissons pas décontenancer par cette première incartade, d’autant que les demandes de flyers violets affluent de toutes parts durant l’assemblée. Les participants étaient visiblement bien moins sceptiques que l’organisatrice sur la pertinence de notre proposition alternative et radicale.
L’idée figurera finalement dans la déclaration commune, sous cette forme : « Établissant les conditions pour fournir un soutien financier universel inconditionnel à tous ses membres, afin de libérer la créativité et l’innovation, ainsi que les activités non rémunérés mais utiles socialement. ».
- Assemblée de convergence « La protection sociale », à Tunis le 30 mars 2013
Organisée par ATTAC, cette assemblée se concentre principalement sur les questions de la santé et du travail.
Tout naturellement, le revenu de base s’inscrit comme support de la protection sociale, en concourrant à éradiquer la misère et en assurant à tous un socle de base. C’est sans compter sur le scepticisme habituel des syndicats et du groupe ATTAC qui tentent rapidement de disqualifier le revenu de base parce qu’il “fait débat”… comme si la question écologique, celle des moyens d’améliorer les conditions de travail ou de santé, ne faisaient pas non plus débat.
Par manque de méthodologie, l’assemblée tourne en rond, mais après quelques interventions musclées qui demandent davantage de propositions que de constatations – dont se contentent les deux textes préparés avant l’assemblée par ATTAC et par un syndicat belge – le revenu de base obtient finalement sa place dans la déclaration commune de l’assemblée : « Que la proposition d’un revenu de base inconditionnel, indépendamment de son âge, de ses origines, de son lieu de résidence, de sa profession, etc. doit être examinée de façon urgente ». Nous en sommes très heureux.
Voici une vidéo retraçant ces échanges :
Ces deux assemblées illustrent, à l’image de Firenze 10+10, l’immobilisme conservateur de certains syndicats, qui peinent à changer leur mode de pensée pour s’adapter à la fois aux nouvelles réalités et aux attentes des citoyens lambda. Symptôme de l’institutionnalisation des acteurs de la lutte qui ne se projettent que dans une posture d’« anti » et n’arrivent plus à formuler de propositions concrètes qui pourraient rendre obsolètes ces institutions ?
Heureux d’avoir fait entendre notre voix
Nous sommes très heureux d’avoir participé à ce forum et d’avoir pu porté l’idée du revenu de base. Nous avons distribué pas loin de 5 000 flyers en français et en anglais ! Certes encore des gouttes d’eau, mais la terre a soif 😉
Et nous n’oublions pas, hormis notre présence au FSM, l’accueil formidable que nous avons eu chez une famille tunisienne et toutes nos discussions sur la Tunisie et son attente de démocratie.
Nous avons pris conscience de la situation très difficile que vivent les Tunisiens et surtout les Tunisiennes, très inquiètes de voir les droits des femmes menacés. Le FSM était aussi un peu en leur honneur, où de nombreux ateliers leur étaient consacrés.
Il est cependant curieux que les médias Tunisiens aient très peu parlé de l’événement. Remarquez, en France non plus, le forum n’était pas à l’honneur à la messe de 20h !
Marie-Laure Le Guen, Damien Vasse, Mathieu Bize, François Plassard, Magali Marc, Mickaël Le Sauce, Carole Fabre
Vidéo et photos (sous licence Copyleft) de Magali Marc
Un commentaire pour souligner une formulation inadéquate. “L’organisatrice” de l’assemblée de convergence sur les alternatives, n’en était que l’animatrice. Les organisateurs en étaient les divers réseaux qui avaient participé aux différents ateliers et n’avaient pas opté pour une déclaration préconçue mais bien issue d’une assemblée délibérante. Elle n’est pas elle-même résistante au revenu de base (pour mémoire, elle a prêté sa voix pour l’enregistrement de la version française du film de promo) mais au procédé qui consistait à vouloir imposer un principe qui n’avait pas été débattu auparavant. Elle a maintenu la proposition en dépit de l’opposition des autres membres en l’aménageant pour faire “consensus” justement. C’est aussi cela la démocratie. Elle invite les initiateurs du revenu de base à revoir leurs méthodes qui peuvent heurter par leur forme impérative, voire autoritaire et sans nuances. On comprend leur enthousiasme militant mais gare à l’arrogance. Bien amicalement