Le livre Destins du Capitalisme, l’Equinomie du Quaternaire, écrit par Sébastien Groyer, membre du Mouvement français pour un revenu de base, fait l’objet d’une campagne de crowdfunding pour son lancement. Interview avec l’auteur.
MFRB : Pourquoi vous intéressez-vous au capitalisme ?
Sébastien Groyer : J’ai commencé à travailler comme investisseur en capital il y a 15 ans et je me suis posé la question de ce qu’était ce système économique (je croyais à l’époque comme tout le monde qu’il s’agissait d’un système) nommé capitalisme. La réalité ne collait pas à la théorie, il avait des défauts que je ne voyais pas dans ma pratique de financement de start-ups mais que j’observais ailleurs. J’ai donc commencé à y réfléchir en même temps que je faisais mes études de philosophie, jusqu’à ma thèse sur le sujet. J’ai ainsi pu découvrir ce qu’est le capitalisme réellement : un pouvoir. Et donc lui trouver une solution, sa transformation, qui se nomme équinomie.
MFRB : Qu’est-ce qui a inspiré le titre de votre essai, Destins du capitalisme ? Notamment, qu’entendez-vous par « destins », ici employé au pluriel ?
S. G. : L’arrivée de la révolution robotique m’a fait réfléchir longuement au futur du capitalisme, à la poursuite de sa route dans la continuité des 40 dernières années. J’ai compris qu’une autre voie était possible, un autre destin, sur lequel je travaillais en commençant par séparer capitalisme et l’économie de marché. Le paradoxe du concept de destin est qu’il est censé être unique, inéluctable, déjà écrit, et donc ne peut être mis au pluriel. Alors que l’idée ici est de résister à la fatalité, de changer le destin du capitalisme au lieu de le subir. Pour souligner le paradoxe, j’ai donc choisi « Destins » au pluriel dans le titre de ce livre. D’un point de vue plus logique, le destin unique est seulement connu par celui qui voit le futur, nous autres humains limités choisissons donc notre destin à chaque instant, dans l’incompréhension du futur qui est la nôtre : tous les destins sont possibles car personne ne sait ce qui est écrit (si quelque chose est écrit)…
MFRB : Quelle signification donnez-vous au capitalisme, le capital n’étant plus limité à des biens ou de l’argent mais associé à pratiquement tout ce qui aurait, d’une façon ou d’une autre, une possible valeur marchande : capital intellectuel, culturel, social, humain, naturel, immatériel… jusqu’au capital symbolique ?
S. G. : Le mot capital a envahi toutes les sphères, signe de sa domination. Comme si la norme comptable qui évalue toute chose comme un actif économique devait s’appliquer à tout et à tous, par un élargissement de l’économie à la société entière… Cette tendance rend encore plus incompréhensible le capitalisme. Toute la problématique de notre conception économique vient de cette définition imprécise du capitalisme : mon but premier a donc été de le comprendre pour le définir précisément. Finalement, le capitalisme est seulement et uniquement « le pouvoir du capital (des actionnaires) dans l’entreprise. » L’économie de marché est donc « le système économique où les prix sont libres et les hommes aussi (liberté de choix de son travail, des produits, d’entreprendre, etc.). »
Une économie de marché non capitaliste est par conséquent possible, une économie de marché post-capitaliste, équitable et équilibrée : une équinomie.
MFRB : Comment qualifiez-vous le système économique dominant aujourd’hui en Occident ?
S. G. : Aujourd’hui, nous vivons dans une économie de marché capitaliste. Remplacez le pouvoir (et non pas la propriété) des actionnaires dans l’entreprise par un autre pouvoir et vous voyez surgir une autre économie de marché ! Par exemple, imaginez que le pouvoir soit donné aux salariés, capables de nommer les dirigeants et de les rémunérer dans leur intérêt. Vous voyez apparaître un système économique, l’économie de marché coopérativiste, que personne ne pourrait confondre avec notre “capitalisme” actuel. La séparation conceptuelle entre capitalisme et économie de marché a de profondes répercussions, en particulier au niveau des qualités supposées du capitalisme, qui se révèlent des qualités de l’économie de marché.
MFRB : Comment parvenir à un accord non violent, ce nouveau contrat social que vous détaillez, sur la répartition entre propriété du capital – souvent acquis par une forme de violence – et fruits de l’exploitation de la propriété à l’heure où la propriété des capitaux se réduit à quelques mains ?
S. G. : Toute la question de la justice de la propriété se trouve là. La propriété a jusqu’à maintenant été arbitraire : personne ne l’a jamais choisie. La répartition de propriété du monde est d’origine violente, la répartition des talents, des gènes, de sa famille est le fruit du hasard. L’arbitraire prédomine, et aucune justice n’en ressort.
Pour apporter de la justice à une propriété arbitraire sans revenir à la violence, le plus simple et efficace est de se concentrer sur la production issue de cette même propriété.
Par un procédé de négociation contractuelle imaginée entre le plus riche et talentueux et le moins riche et talentueux des hommes, nous pouvons aboutir à une solution rationnelle acceptable par tous, car nous nous trouvons tous entre ces deux extrêmes, et pouvons donc bénéficier de chaque avantage des deux positions. Le résultat de cette négociation contractuelle est l’équilibre par excellence, 50% de la production, du PIB. 50% du PIB doit donc être redistribué à tous pour que la propriété soit acceptée, et donc justifiée : la volonté est source de justice, une justice rationnelle de consentement. Les calculs précis aboutissent en France, après les taxes de l’Etat, à un montant de 1000 euros par mois et par adulte, à un revenu de base qui soit source de justice.
MFRB : Philippe Van Parijs parle du revenu de base comme d’un capital-risque qui permettrait à un très grand nombre d’individus de libérer des potentiels de créativité dont nous n’imaginons ni l’étendue ni les effets positifs possibles. Que vous inspire cette vision ?
S. G. : Je ne peux qu’y souscrire, dans ma vision d’un monde transformé par la révolution de la robotique : le quaternaire, nouveau secteur économique qui deviendra dominant après le tertiaire, de services, est ce secteur de la créativité. Instaurer un revenu de base pour donner à chacun les moyens de prendre des risques, de créer son entreprise, son projet artistique, son projet de vie tout court même, est un des arguments et un des avantages d’un revenu de base significatif.
Libérer les individus a toujours été considéré comme un grand risque, alors que les bénéfices ont été bien supérieurs aux défauts. Les libérer économiquement pour qu’ils puissent créer et être heureux fait donc peur, mais est la seule voie positive pour sortir de l’impasse actuelle.
MFRB : Quels sont les facteurs qui favorisent l’instauration d’un revenu de base maintenant, plus que dans les siècles passés ? Sommes-nous ici sur une trajectoire ? Une destinée ?
S. G. : La conjonction des problèmes économiques que nous vivons milite pour l’irruption du revenu de base comme élément essentiel et obligatoire de redistribution au XXIè siècle. Historiquement, le revenu de base a été proposé à des fins de justice, à des fins de partage des gains de productivité issus des révolutions technologiques, à des fins d’équilibre économique, de transformation de l’Etat et à des fins de libération. Toutes ces raisons et conditions sont regroupées de nos jours pour que le revenu de base devienne l’outil de ce siècle pour résoudre une grande partie des problèmes que nous rencontrons en ce moment en tant qu’humanité. Sa simplicité, son efficacité, sa portée en font le futur socle de toute politique économique et sociale libératrice. J’aimerais écrire qu’il s’agit d’une destinée, mais rien n’est jamais sûr avec le futur…
Pour aller plus loin, rendez-vous sur la campagne de crowdfunding du livre.
Photo : CC Peter Kurdulija
Ce serait très chouette de voir autant d’engouement pour l’action qui tend a démontrer une preuve par l’exemple. https://www.kisskissbankbank.com/fr/projects/experimentons-le-revenu-de-base
Ensuite, c’est comme pour les chèques énergie ou pour la sécurité sociale à ses débuts. On peut dire : “Regardez ça marche !” Et quels arguments opposer à cela ?