« Il ne faut pas craindre les destructions d’emplois liées à l’automatisation que permet la 5 G. »
Les Echos, journal de l’optimisme libéral, ve. 2, sa. 3 février 2024, p. 17.
. « Avec la robotisation et l’utilisation des neurosciences, ils [les entrepreneurs] n’ont plus besoin de ces 3500 millions d’êtres humains les plus pauvres, pour faire rebondir le système capitaliste. Ce sont des bouches qui ont faim, qui ont soif, et qui sont inutiles. »
Monique Pinçon-Charlot, dans l’Humanité, dimanche 27 – 28 août, 2019
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Le capitalisme sans frein, le pur capitalisme (Michel Husson).
Aujourd’hui, le libéralisme déchaîné de Maastricht, risque de laisser une importante population au bord de la route, les exclus, les inutiles au monde qui pourrait être contraint à accepter des emplois dévalués permettant tout juste de survivre. Nous pouvons les imaginer parqués, concentrés dans des ghettos tels que figurés dans nombre de récits de science-fiction, dont Tripalium qui est sans doute encore visible sur arte.
Les profondes transformations de l’appareil productif, la robotisation dopée à l’intelligence artificielle va inexorablement supprimer, à l’échelle mondiale, des centaines millions d’emplois. Cette disruption dans l’économie présente de nombreuses similitudes avec la période de la naissance du capitalisme.
C’est au 19ᵉ siècle que le mouvement des enclosures (clôtures), jeta sur les routes des millions de paysans privés des communs, libres pâtures d’où ils tiraient leur subsistance. C’est le moment de l’accumulation primitive analysée par Marx dans le Capital.
Les champs ainsi clôturés, privatisés, furent offerts aux moutons dont la laine rapportait gros en la période.
Thomas More, l’auteur de l’Utopie écrivait, voyant prospérer les moutons et dépérir les paysans : « les moutons mangent les hommes ». Pour remédier à cette catastrophe économique, il préconisa d’alléger la misère en distribuant un revenu que l’on peut considérer comme forme de revenu de base accordé aux nécessiteux. Les masses de paysans faméliques se dirigèrent vers les villes où les manufactures les accueillirent en leur « offrant » des conditions de travail épouvantables et des salaires permettant juste la survie. Les « workouses » emprisonnaient pour rééducation les plus récalcitrants.
Traverser la rue le ventre vide
L’ubérisation qui se développe aujourd’hui est une forme d’abolition du salariat, actualisant la dépossession-paupérisation subie par une grande partie de la paysannerie du 19ᵉ siècle.
Allons-nous assister à un retour à « la vie au jour le jour », fort éloignée des revendications du mouvement ouvrier historique qui voulait se libérer de la subordination salariale ?
Les privés d’emplois décents d’aujourd’hui, vont-ils tels les paysans dépossédés du 19ᵉ siècle, partir sur les routes pour mendier ou se résigner à ne plus être que des quémandeurs d’emplois ?
Vont-ils devoir traverser la rue le ventre vide ? Les récentes réformes de l’Unédic visant à instituer le « besoin » de travailler pour continuer à exister, ont beaucoup fait pour imposer la valeur travail. Les déclarations du premier ministre ne laissent guère de doute sur son appréciation du devoir de travailler…
C’est la crainte de Pierre Souyri dans La dynamique du capitalisme au XXe siècle, publié dès 1983 (Ed. Payot), un livre qui contient des analyses argumentées et fortement prémonitoires. Ainsi dans les pages (publiées de façon posthume) qui traitent de « L’automation, chômage et lutte des classes » nous pouvons lire.
« L’automation, en produisant à une décomposition de la force de travail, bouleverse la dynamique des rapports sociaux. Le capital ne se trouve plus en face de différentes catégories sociales qui œuvrent à l’accomplissement du processus productif et luttent pour accroître le prix auquel elles vendent leur force de travail. Il se trouve confronté aux problèmes que pose l’apparition d’une population grossissante qui, n’étant plus nécessaire à la production, ne constitue déjà plus un prolétariat dans la mesure où sa force de travail n’est plus transformable en marchandise. […]. La stricte logique du capitalisme et de la production pour le profit exigerait que cette surpopulation soit abandonnée à son sort et à sa misère, et qu’en tout cas les dépenses engagées pour l’assister soient réduites au minimum nécessaire pour que les sans-travail ne deviennent pas enragés et dangereux. […].
Comme les allocations versées au sans-travail seraient nécessairement prélevées sur la plus-value ou sur les salaires des diverses catégories de travailleurs encore occupés, ceux-ci auraient tendance à souhaiter la réduction d’une charge qui s’alourdirait à mesure que le nombre de chômeurs augmenterait. Il y aurait inévitablement une connivence de toutes les classes intégrées à l’establishment pour s’opposer durement aux exigences des sans-travail et les refouler vers une situation misérable.
[…] Pourtant, même si le système parvenait ainsi à susciter et à entretenir une opposition et une séparation qui se matérialiseraient finalement dans le développement de ghettos cernés et quadrillés où seraient parqués, réprimés et au besoin décimés la population en surnombre. » (La dynamique..., p. 255, 256)
Acheter la paix sociale
Une version prudente du revenu de base comme investissement « charitable » pour sauver (provisoirement) le système est envisagée par Pierre Souyri.
« Acheter la paix sociale en versant des allocations aux sans-travail ne peut constituer qu’une solution partielle et temporaire aux problèmes que poserait la décomposition de la force de travail par l’automation. Le capitalisme pourrait pendant un certain temps atténuer la violence des antagonismes sociaux en donnant aux déclassés les moyens de survivre. » (Id, p. 258)
Ce qui est ici présenté, c’est la version disciplinaire du revenu de base (rdb). Les faux-frais du capitalisme pour que rien de fondamental ne change. Sont disponibles, au moins d’un point de vue théorique, heuristique d’autres visions du rdb, l’option du MFRB, notamment. Le feuilleton n°9 précisera les analyses et propositions du MFRB et d’André Gorz.
Nonobstant, nous pouvons déjà écrire : le rdb comme « impulsion culturelle », doit être appuyé, actualisé, sur un projet politique de rupture avec le capitalisme, d’exode hors la société salariale. Ce fut l’option et l’espoir d’André Gorz (qui nous a quitté en 2007)…
Si la rupture, l’exode n’ont pas lieu, le pire n’est pas improbable, nous avertit Pierre Souyri.
« En fait, dans une société qui parviendrait à l’automation sans être parvenue à briser la domination du capital, la population en surnombre ne pourrait pas espérer durablement survivre dans son ensemble comme couche improductive, imposant son droit de consommer sans travailler. » (Id. p. 260)
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« Ne pas craindre les destructions d’emplois liées à l’automatisation que permet la 5 G » .
Les échos, journal de l’optimisme libéral.
Ne pas craindre…. Vraiment ?
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La suite au prochain n° (le 8). Speenhamland, une expérience diversement appréciée.